Coup de projecteur ! La 19ème édition du Festival Cinébanlieue s’ouvre aujourd’hui, le 6 novembre 2024, et prend place entre l’UGC Ciné Cité Paris 19 et Commune Image à Saint-Ouen.
Ce rendez-vous du cinéma français démarre en force avec la projection de Marmaille, le film de Grégory Lucilly. L’histoire suit un adolescent réunionnais de 15 ans, rêvant de breakdance et de métropole, qui voit sa vie bouleversée lorsqu’il est mis à la rue avec sa sœur et doit retrouver ses repères chez leur père.
Dans la sélection de longs, on trouve aussi le premier long Little Jaffna de Lawrence Valin, qui fait suite à son court du même nom (Grand Prix Cinébanlieue en 2017) et nous plongera au coeur de la communauté tamoule à Paris, ou encore Julie se tait de Leonardo Van Dijl (Semaine de la Critique, Festival de Cannes 2024), où Julie, jeune prodige du tennis dans un club prestigieux, voit son rêve compromis par la suspension de son entraîneur mais choisit de taire sa version des faits lors de l’enquête.
Cette année, le festival se place sous le signe de « Mouvement(s) », un thème en lien avec la Grande Cause Nationale du Sport, explorant ainsi le sport comme vecteur de changement social et personnel. La programmation met en lumière une sélection riche et diversifiée de longs et courts-métrages qui, chacun à leur manière, incarnent cette idée de mouvement, qu’il soit physique, social ou culturel.
Pour récompenser les œuvres les plus marquantes, un jury a été réuni, avec à sa tête le rappeur, acteur et producteur Sofiane Zermani. Il sera accompagné de Florence Loiret Caille, qui a été la marraine du Festival Format Court 2024, Salomé Da Souza, qui a reçu le Grand Prix Format Court 2024, Lyna Mahyem et Christophe Taudière.
Le week-end passé, s’est clôturée la 46e édition du festival Cinemed. Du 18 au 26 octobre 2024, des court-métrages audacieux ont été diffusés en compétition, dans la section Panorama ainsi que dans le focus dédié au jeune cinéma marocain. Format Court revient sur trois coups de cœur.
Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? de Faouzi Bensaïdi (France/Maroc)
Dans son court-métrage sélectionné en compétition, Faouzi Bensaïdi fait le portrait d’un cheval acteur dont la condition et la santé importe peu à l’équipe de tournage qui n’a qu’un seul but : clore ce film au plus vite. Seules les performances du cheval comptent, à qui on ordonne, malgré la chaleur insoutenable du désert marocain, de galoper sans cesse devant la caméra. Sans surprise, le cheval finit par s’écrouler…
Sans artifice, sans musique, sans effet et avec seulement peu de montage, le réalisateur parvient à nous toucher et à nous transmettre de l’empathie envers le cheval. Ce dernier, véritable personnage principal du film, se trouve toujours au centre de l’écran. La caméra suit ses gestes et on ne lâche jamais du regard ses grands yeux expressifs.
Les humains, quant à eux, qu’il s’agisse des membres de l’équipe ou bien du vétérinaire venu doper le cheval, ne sont jamais cadrés entièrement. Lorsqu’ils sont au premier-plan de l’image, seuls leurs corps sont visibles, tandis que leurs têtes sont hors-champs, ou bien ils sont filmés de dos. Le médecin qui prépare l’énième piqûre du cheval, n’a que ses mains criminelles cadrées en gros plan, laissant paraître le cheval visible entièrement en arrière-plan. Les humains sont ainsi ironiquement déshumanisés. Ils n’ont pas vraiment de visages ni de corps et leurs dialogues sont uniquement portés sur des questions d’argent et de limite de temps au profit de la vie du cheval, reflétant ainsi leur monstruosité. Le cadre aride du désert renvoie à l’environnement hostile et inhospitalier dans lequel est exploité l’animal. Seuls les deux jeunes hommes chargés du cheval durant le tournage, et qui lui viendront en aide lorsqu’il sera considéré obsolète auront leurs visages cadrés au côté de l’animal au sein d’un très beau plan.
Dans Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?, c’est la subjectivité du cheval qui prime et qui, dans son parcours, révèle la cruauté et la cupidité des hommes. Sans être totalement manichéen, le réalisateur nuance son point de vue en filmant l’espoir et l’humanité qu’incarnent les deux hommes qui viennent en aide au cheval. Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? dévoile la manière dont on peut être obnubilé par des questions en réalité secondaires, jusqu’à en oublier notre humanité.
Il ne faut pas se méprendre devant l’univers coloré, à première vue mignon, peuplé de chats qui communiquent en miaulant dans le court-métrage d’animation slovène Catsland réalisé par Ana Čigon, présenté dans la section Panorama de Cinemed. Le film se dresse en réalité en satire de l’Union européenne et de la manière dont elle traite les réfugiés.
L’animation s’ouvre sur un chat bleu taillant soigneusement sa haie et contemplant son jardin avec satisfaction. L’animal est néanmoins envieux du territoire de son voisin, spacieux, royal avec ses fontaines et statues félines monumentales. Dans cet univers, les chats sont soucieux de leurs propriétés et ne supportent d’ailleurs pas que des chats étrangers puissent fouler le jardin de l’autre. Lorsque des petits chats traversent les différents espaces des chats de Catsland, sans autorisation, le félin bleu est invité, avec d’autres chats au look élégant et chic, chez son voisin richissime pour décider du sort de ces étrangers.
Il n’est pas nécessaire de parler le langage « miaou » pour comprendre le contenu des conversations des chats aisés, représentant nos leaders politiques. Après s’être querellé pour savoir qui gardera les chatons sur son territoire, il est finalement question d’expulser totalement ces étrangers de Catsland. Cette situation résonne avec la politique de certains dirigeants en Europe, particulièrement aujourd’hui avec la montée des partis d’extrême-droite, où les réfugiés ne sont pas considérés comme des êtres humains (ou félins dans le contexte de Catsland) mais comme des fardeaux qui perturbent forcément l’équilibre apparent et dont il faut se débarrasser.
À travers la représentation des chats, le dessin très coloré et les touches comiques et absurdes, la réalisatrice Ana Cigon dresse un monde distant qui ne semble d’abord pas s’apparenter au nôtre. On sourit d’abord devant la manière dont ces chats personnifiés boivent leurs verres de lait dans des verres à cocktails et lisent leurs journaux rédigés en hiéroglyphes félins.
Lorsque l’on s’aperçoit, tout de même très vite, que la réalisatrice nous tend un miroir de la situation en Europe, la vérité est d’autant plus percutante. Le personnage principal, incarnant l’Européen de la classe moyenne aisée, obsédé par sa propriété, nous renvoie à notre propre statut d’Européen et nous pousse à questionner nos prpres privilèges.
Face à une Union européenne qui veut durcir la lutte contre l’immigration, face à la montée de l’extrême-droite dans toute l’Europe, il est nécessaire d’avoir accès à des œuvres originales et audacieuses capables de dénoncer des mesures antisociales. Dans Catsland, la caricature permet d’illustrer très clairement le contraste et l’injustice qui règnent entre les différentes classes sociales.
Ayam de Sofia El Khari (Royaume-Uni/Maroc)
Dans son court-métrage d’animation Ayam présenté dans le focus dédié au jeune cinéma marocain de Cinemed, l’artiste plasticienne et réalisatrice Sofia El Khyari met en scène trois générations de femmes préparant la cérémonie de l’Aïd al-Adha.
Lorsque la grand-mère découvre avec enthousiasme de beaux verres « Made in Morocco » dans sa cuisine, elle décide de servir le thé dans ces récipients pour la cérémonie. La forme se mêle alors avec le fond, le thé se meut en lettre de l’alphabet arabe pour former le titre du film « Ayam » signifiant « jours » en français, mais également « moment ». L’encre noire se dissout pour former les trois femmes principales.
Le titre « Ayam » renvoie donc au moment actuel précieux que partagent ces trois femmes mais également aux anciens jours dont elles se remémorent. La mère raconte la manière dont sa propre mère a dû elle-même subvenir à son éducation à travers les cahiers d’école de son frère. Les deux femmes évoquent l’éducation de leurs propres enfants qu’elles ont dû élever seules, avec un mari absent.
Le court-métrage rend hommage à ces femmes à travers leur courage, mais aussi à travers l’amour qu’elles ont transmis à leur fille et petite-fille. La voix-off de la narratrice évoque l’héritage précieux qu’elle a reçu, du rire, de la force et de l’amour.
Cet amour, on le ressent grâce aux plans sur les mains de la grand-mère, aux câlins chaleureux, et à la complicité qui lient les trois femmes. À travers une quasi-absence de cut et une animation très fluide, les liens familiaux et culturels circulent pour ne former qu’un.
Ayam est un très beau témoignage qui s’inscrit dans la lignée des films de Cinemed qui, au même titre que Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?, et Catslands, nous offrent des regards et des histoires sur différentes cultures issues du pourtour méditerranéen, à travers lesquelles il est possible de s’identifier. Des films qui nous émeuvent, nous font vibrer et continuent à nous faire ouvrir davantage les yeux sur ce monde qui entoure la mer méditerranéenne.
Vous le savez peut-être. La European Film Academy (EFA) remet chaque année ses prix aux meilleurs films européens. Bonne info : le court-métrage fait partie des films primés. Pour établir une liste de courts-métrages, la European Film Academy collabore avec un certain nombre de festivals européens. Lors de chacun d’entre eux, un jury indépendant sélectionne un film qui est nominé dans la catégorie « courts métrages » des European Film Awards. Sur la liste complète des 28 candidats, les festivals participants viennent de nommer 5 films pour les European Film Awards, à retrouver ci-dessous. Les membres de la European Film Academy voteront pour décerner leurs gagnants qui seront annoncés le 7 décembre prochain à Lucerne.
Depuis cette année, l’Académie a conclu un partenariat avec la plateforme Vimeo. La catégorie des courts s’appelle désormais « European Short Film – Prix Vimeo » et le site web de l’Académie accueillera désormais de nombreux vidéos labellisées « Staff Picks » de Vimeo.
Les films nominés sont :
–2720 réalisé par Basil da Cunha (Portugal, Suisse)
– Boucan réalisé par Salomé Da Souza (France) qui a obtenu le Grand Prix du Festival Format Court 2024
Erwan Kepoa Falé a joué dans Dustin de Naïla Guiguet, Prix Alice Guy au Festival Format Court en 2021, Révélé au grand public par son rôle d’ami protecteur dans Le Lycéen de Christophe Honoré, il était à l’affiche cet été de Eat the Night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Ce mois-ci, il était membre du jury de la compétition internationale longs métrages au FIFIB 2024. Le temps d’un entretien, nous sommes revenu.e.s sur le parcours de cet acteur prometteur, dont les rôles de personnalités en marge d’une société normée sont une nouvelle bouffée d’air frais dans le cinéma français.
Erwan Kepoa Falé : C’est un peu arrivé comme ça. Ça m’est arrivé au début de la vingtaine. Je n’ai pas vraiment découvert le jeu en fait, on m’a surtout demandé de m’impliquer dans certains projets. Si on doit parler de découverte du jeu, je ne sais pas, j’en ai fait voir des vertes et des pas mûres à mes parents, j’ai joué un peu toute mon enfance pour pouvoir arriver à mes fins, du coup, le jeu je l’ai découvert comme ça (rires) !
Tu avais commencé par des courts-métrages ?
EKF : Le premier court métrage que j’ai fait, c’était pour une fille qui s’appelle Manon Vila (Akaboum, 2019) qui était en résidence d’écriture au début du FIFIB. C’était un film sur mon groupe d’amis à Cergy. Elle avait rencontré l’un de mes amis qui faisait de la musique et elle avait envie de le filmer et puis un peu de documenter nos vies à tous avec nos différents rêves, à chacun.
Il y avait donc dans ce film une approche documentaire ?
EKF : Du documentaire légèrement fictionnalisé, un peu comme un teen movie.
Et comment as-tu vécu l’expérience de passer du court au long ?
EKF : Ça ne coulait pas de source parce que les courts que j’ai faits, c’était des demandes d’amis d’amis ou de gens de mon cercle d’amis. Quand je suis passé au long, je disais le contraire mais ça s’est quand même fait assez naturellement finalement. On m’a toujours demandé de faire des choses qui étaient, en tout cas identitairement parlant, des choses qui se rapprochaient de moi, de ma vie, donc j’y suis allé assez doucement, il n’y avait rien de trop perturbant.
« Akaboum »
Tu joues régulièrement des rôles de personnes queer, dans des films qui sont aussi queer, en terme d’identité, qu’est-ce que cela représente pour toi ?
EKF : Je n’ai jamais trop bataillé pour m’affirmer ou même été trop engagé dans toutes ces questions-là. Mais, en tout cas, le cinéma, et puis le fait qu’on m’ait demandé de représenter ces identités, ça m’a permis en toute simplicité de m’affirmer et de représenter des minorités, même si je n’aime pas trop ce nom, qui font partie de moi. Ça m’a permis facilement, tranquillement et avec quelque chose que j’aime faire de m’affirmer publiquement.
Il y a peu de films français avec des représentations de personnes queer et racisées. Est-ce que tu penses que c’est en train de changer ?
EKF : Oui, je pense un petit peu, même si en vrai, c’est quand même très lent. Il y a toujours des films ovnis qui apparaissent certaines années mais ça n’a jamais été très pérenne jusque là. C’est sûr que ça change un peu. Déjà moi, on me demande de travailler, je suis rentré dans le « game » comme on dit, donc même si ça avance doucement, oui ça va changer.
« Le Lycéen »
Est-ce que tu trouves que c’est libérateur de jouer ?
EKF : Oui, oui. Justement, parce que jouer des choses qui pouvaient se rapprocher de moi, a été, je pense, parfois thérapeutique. Je ne sais pas si j’avais besoin de me sauver de quoi que ce soit mais en tout cas oui, c’est libérateur grâce au fait juste de matérialiser ou alors de reproduire des choses que j’ai vécues.
Est-ce que tu aimerais passer derrière la caméra ?
EKF : Toutes mes velléités de cinéma, elles ont commencé par vouloir faire des films. Ce que j’ai vite « cuté » parce que voilà… Il faut que j’ai un peu plus confiance en moi. Mais oui, ça serait une belle suite de chemin.
« Dustin »
Tu fais partie du jury longs-métrages pour cette nouvelle édition du FIFIB, comment as-tu abordé cette compétition ?
EKF : C’était une super sélection, j’ai vu des choses qui m’ont touché. Et puis, j’étais avec un jury avec lequel la communication était simple donc j’ai abordé la chose assez simplement. On a aussi été super bien reçu.e.s, et, contrairement à tous les festivals que j’ai pu faire cette année ou cet été, c’est quand même très jeune.
Tu avais des attentes des films ?
EKF : Non, pas du tout. J’ai même été surpris. Ce sont des films produits mais qui sortent un peu des circuits classiques, soit des films indépendants, mais je ne m’attendais pas à ce que ça soit si « indépendant » et à avoir autant de films pertinents. J’ai été agréablement surpris.
« Eat the Night »
Quels sont tes projets à venir ?
EKF : Je viens de terminer un long dans lequel j’ai un rôle secondaire, d’un réalisateur qui s’appelle Félix de Givry. C’est un film sur le harcèlement et la dépression chez les jeunes. Ce n’est pas un film triste mais c’est un sujet important et c’était beau de faire ça. Après le FIFIB, je m’en vais tourner un court métrage d’un couple de réalisateur.ice.s qui s’appelle Jeanne Frenkel et Cosme Castro. Et j’attends avec impatience de tourner enfin ce film de Jean-Sébastien Chauvin, que je connais depuis des années, et qui va réaliser un superbe film sur un amour perdu un peu fantomatique…
Pour finir, comment te définirais-tu ?
EKF : Je me définirais un peu tête en l’air, passionné, pas assez ambitieux mais ça, ça va avec mon côté tête en l’air. Comment je me définirais ? Les choses positives que je vois chez moi sont : être passionné, et puis les choses négatives : je suis maladroit, très maladroit.
Producteur, réalisateur et scénariste, Alexis Diop vient de présenter au FIFIB Adieu Emile, un court-métrage de fiction relatant la douloureuse rupture entre Emile et Tim sur les réseaux sociaux, ce dernier faisant aussi face au deuil de son propre père. Oscillant entre drame personnel et voyeurisme numérique, Adieu Emile est la suite libre de son précédent court-métrage de fiction Avant Tim, dans lequel le même personnage de Tim découvrait les archives VHS de ses parents avant sa naissance. Le film avait obtenu le Grand Prix Contrebande au FIFIB 2020. Retour sur ces deux films explorant les notions d’amour, de perte et de deuil au temps des empreintes filmiques troubles et des algorithmes.
Format Court : Par les interfaces numériques frontales, Adieu Emile se présente comme une enquête virtuelle obsessionnelle, Tim vivant en parallèle la perte de son père. Comment t’est venue l’idée de traiter la rupture dans ce format ?
Alexis Diop : Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre comment une rupture amoureuse pouvait réactiver le deuil d’un proche, en l’occurrence d’un père. Adieu Emile est autobiographique, comme l’était Avant Tim, centré autour de l’année 2018, durant laquelle j’ai perdu mon père en avril. Quelques mois plus tard, j’ai fait la rencontre d’un garçon avec qui j’ai eu une relation de six mois. La rupture a été dévastatrice pour moi : en regardant les choses rétrospectivement, je pense que la séparation a réactivé une douleur liée à la perte de mon père. Je me suis jeté à corps perdu dans cette histoire d’amour pour combler un vide. Une partie de notre relation était à distance, donc se passait sur les réseaux sociaux.
Adieu Emile est un projet très intime, et personnel. Après avoir raconté l’histoire d’amour des parents de Tim dans Avant Tim par les cassettes VHS, je voulais réfléchir à la façon dont les réseaux sociaux reconfigurent les relations interpersonnelles et amoureuses, et amplifient certains défauts comme la paranoïa, la jalousie et la comparaison. Dans Avant Tim, les VHS permettaient des effets d’accéléré et de retour en arrière, devenus dans Adieu Emile des swipes, des screenshots, des likes et des notifications. J’ai essayé d’intégrer les codes du digital pour raconter ce que j’appelle un “thriller émotionnel”, où les interfaces numériques sont comme une nuée venant assaillir le personnage principal, par exemple avec l’écran se resserrant progressivement en 9:16.
« Adieu Emile »
Dans ton précédent court-métrage Avant Tim, tu joues sur le format du documentaire : on a l’impression de regarder des rushs de VHS véritables, les acteurs jouent dans de très longues séquences, brouillant les frontières de la fiction et de l’archive.
A.D. :Avant Tim a été tourné sur un an ; nous avons commencé par filmer le monologue du père de Tim face caméra, puis ont suivi des allers-retours entre le tournage et l’écriture. Cela m’a permis de réajuster les personnages aux comédiens, d’une manière complètement différente que sur Adieu Emile qui était beaucoup plus scripté. Je m’intéresse aux notions de vrai et de faux, et aux reconstitutions de fausses archives de la façon la plus réaliste possible. Nous vivons dans une époque où il n’y a plus beaucoup de place pour l’ambiguïté et le trouble, et la fabrication d’images dont le statut interroge, perturbe le spectateur me tient à cœur car elles le mettent de fait dans une position active vis-à-vis du film.
Comment as-tu procédé au casting ? Connaissais-tu déjà les acteurs ?
A.D. : Non. J’avais repéré Arthur Beaudoire [Emile dans Adieu Emile] sur Instagram et l’ai rencontré quelques semaines après. Le choix fut assez évident, tandis que le choix de Tim [Benjamin Sulpice] a été plus difficile. Dans un récit autobiographique, il est compliqué de choisir la personne qui va nous incarner, de savoir prendre une certaine distance lorsqu’on le dirige. Le casting de Tim a été beaucoup plus conséquent, en deux tours, avec lecture de lettres, improvisations…
Le personnage de Tim est très touchant dans ses réactions et ses défauts. Comment prendre la distance nécessaire lorsqu’on écrit un personnage inspiré de soi ?
A.D. : Ce n’est pas évident. Il s’agit toujours de projets dans lesquels on s’investit à fond, sans concession. Il faut réussir à capter l’essence de l’intime de l’histoire personnelle, mais s’ensuivent toujours plusieurs couches de réécriture qui mettent à distance cette intimité. La construction dramaturgique à l’étape du scénario, le tournage avec des comédiens et le montage sont autant de décalages qui permettent d’avoir une perspective plus neutre et plus large sur sa propre histoire. C’est le vécu personnel qui touche les gens, certaines émotions traversent toutes les personnes ayant vécu le deuil et la rupture.
« Avant Tim »
Dans tes deux films, on retrouve les mêmes idées de perte, de rupture, de deuil. Ces thèmes seront-ils aussi centraux dans tes prochains films ?
A.D. :Adieu Emile et Avant Tim ont été écrits dans la même lancée, dans la même urgence. Mais il y a effectivement un chapitre qui va se clore avec Adieu Emile. Les questions du deuil, de l’absence et de la perte dans mes prochains films seront peut-être plus en retrait. Dans le projet de long métrage que je développe en ce moment à la Fémis, je me penche sur la manière dont l’emprise amoureuse peut faire vaciller la raison. Les personnages qui perdent pied par amour m’intéressent beaucoup.
L’univers virtuel des interfaces d’Adieu Emile est très riche, avec des faux comptes Instagram, de faux commentaires, de fausses stories, de faux messages. Combien de temps cela t’a-t-il pris de créer tout cet univers factice ?
A.D. : Il faut savoir qu’Adieu Emile est un film à petit budget, bien que produit, au contraire d’Avant Tim, qui était auto-produit. Je savais déjà qu’il allait y avoir un énorme travail de motion design, et qu’il faudrait retravailler les transitions, les heures du téléphone, la charge de batterie… Ce fut un travail monumental. Nous avons créé toutes les galeries photos du téléphone, Instagram et des fiches contacts moi-même. Puis cette base a été retravaillée et retouchée en détails. On a fait des incrustations, j’ai intégré des fonds verts dans la galerie photo pour faire des transitions. Ça a été un travail très long, trois personnes travaillant sur le motion design.
« Adieu Emile »
C’est la seconde fois que tu participes au FIFIB en tant qu’invité, Avant Tim ayant gagné le Grand Prix Contrebande. Que signifie produire de manière indépendante ?
A.D. : La question de l’indépendance est un sujet très vaste. J’ai créé une association de production, Les Films de l’Ermitage, pour avoir une entité juridique qui encadre le film. À l’époque, j’avais personnellement investi la moitié du budget d’Avant Tim, l’autre moitié provenait des subventions du département de l’Eure. J’ai adopté une méthodologie proche de celle du documentaire, avec huit jours de tournage répartis sur un an. Je suis d’ailleurs très reconnaissant de la confiance sans limite que m’ont accordés les deux comédiens des parents de Tim, Maude Sambuis et Benoît Michaud. Néanmoins, cette manière de faire n’a plus été possible lorsque nous sommes entrés dans les circuits traditionnels de production : pour Adieu Emile, il a fallu rationaliser le tournage. On a tourné sur deux sessions en été et en hiver, et les choses étaient plus cadrées. J’ai pu aller au bout de ce que je voulais avec les comédiens, même si on avait moins de marge d’expérimentation.
Tu as un usage très particulier du médium numérique ; tu réutilises les codes de la cassette VHS et des réseaux sociaux de manière singulière et intime, sans les parodier.
A.D. : Cela fait dix ans que je fais des films qui racontent l’histoire d’individus en miroir de celle des technologies. Je tiens beaucoup aux manières de raconter des trajectoires de vie par les technologies contemporaines à une époque. Je pense que chaque technologie témoigne de son temps et d’un regard sur le monde, sur l’intimité. Le rapport que les gens avaient à la VHS dans les années 80/90 est complètement différent de celui qu’on a au smartphone aujourd’hui. Je trouve ces sujets passionnants. Aujourd’hui, on filme tout et n’importe quoi avec le smartphone, grâce à la petite taille des appareils, aux immenses capacités de stockage et aux facilités de l’acte de filmage. Cette légèreté du dispositif du téléphone permet une utilisation illimitée et quasiment libérée de toute charge matérielle.
« Avant Tim »
Avec les réseaux sociaux, il est question d’une image de soi qu’on partage aux autres, ce qui était moins le cas des VHS privées.
A.D. : Oui, il existe un écart monumental entre ce qu’on vit de manière intime et la manière dont on se raconte sur les réseaux sociaux. Cela génère des dynamiques très toxiques de comparaison permanente qui gangrènent nos relations et nous mettent dans des états de dévalorisation de soi et d’anxiété. Je suis moi-même là-dedans, et je voudrais en sortir. Je ne me considère pas technophobe, ni contre les nouvelles technologies, mais il est important de comprendre comment ces dernières affectent nos relations interpersonnelles.
À l’heure des réseaux sociaux, qu’est-ce qu’on laisse vraiment derrière soi ?
A.D. : Les questions de l’empreinte et de la trace me fascinent. Je suis très matérialiste, j’accumule beaucoup d’objets notamment les photos et les VHS, qui ont à mes yeux une charge émotionnelle très forte. Dans Avant Tim, Tim découvre des images de ses parents heureux qu’il ne connaissait pas, et il en est bouleversé. Dans Adieu Emile, Tim se replonge de manière obsessionnelle dans les traces d’une relation qui n’existe plus. Aujourd’hui, tout ce qu’on poste sur Internet y demeurera potentiellement ad vitam eternam, et il est très difficile de savoir le destin qu’auront ces traces dans le futur. Il y a une mémoire collective qui s’est créé en ligne comme un monstre à dix têtes, qui préoccupe certains de mes proches mais qui ne m’effraie pas vraiment : j’ai décidé de lâcher prise. […]
Des Hommes désintéressés présenté cette année en compétition Contrebande, au FIFIB, est le premier long-métrage de François Robic. Son précédent court-métrage, Rien d’important, est en lice pour les César 2025. Il y filmait sa sœur dans le récit d’une journée buissonnière à la campagne. Accompagnée de sa cousine, elle fuyait son emploi d’éboueuse du dimanche pour déambuler dans son village natal. Rien d’important est un doux conte sur les espérances d’une jeunesse hagarde, bercé par une certaine nostalgie et porté par des questions introspectives sur l’avenir. Dans son nouveau film, Des Hommes désintéressés, François Robic revient sur la disparition de Julie Michel, survenu il a plus de 10 ans dans les Pyrénées ariégeoises. Avec tendresse et soucis du détail, il nous montre le quotidien de ses proches en quête de réponse pour qui l’affaire doit continuer. Entre routine et investigation, le film s’inscrit à l’opposée des représentations médiatiques usuelles des faits divers. François Robic dresse ici le portrait très personnel de ceux qui sont toujours là, qui attendent et qui espèrent.
Format Court : D’où est venue l’envie de parler de ce fait divers ?
François Robic : La genèse du film s’inscrit dans un moment un peu particulier qui est celui d’une thèse de recherche création que je fais à la Fémis, consacrée au rapport entre fait divers et territoire dans le cinéma documentaire – c’est un peu aussi la genèse du film qui m’a fait problématiser mon sujet de cette manière, les deux se sont faits à peu près en même temps – mais en tout cas, le cadre de production du film est à la base celui d’un film de thèse. Je m’intéresse à la question du fait divers depuis longtemps, en tant que spectateur mais aussi en tant que cinéaste, puisque j’écris un long métrage depuis plusieurs années sur une disparition dans les Pyrénées. Pour Des Hommes désintéressés, j’ai enquêté sur les disparitions autour de chez moi, pour voir laquelle je pourrais éventuellement traiter dans un film qui serait un documentaire, dans ma zone de travail qui est toujours celle où j’ai fait tous mes films : mon village et les alentours.
J’ai aussi vu un épisode d’une émission de fait divers à la télé sur cette affaire qui était traitée de manière très télévisuelle dans des codes qu’on connait, qui sont les codes des faits divers à la télévision. Dedans, il y avait la mère de Julie Michel (la disparue du film) qui témoignait, Betty Lefebvre, que je trouvais très touchante, et les enquêteurs bénévoles qui eux aussi prenaient la parole. Il y avait juste écrit « enquêteurs bénévoles » sur ma télé, et en fait, je me suis demandé qui ils étaient, pourquoi ils faisaient ça? C’est peut-être ça qui m’intéressait finalement, qui a agité l’envie du film.
Le fait que cela soit mon film de thèse, je pense, m’a aussi désinhibé parce que je ne sais pas si j’aurais osé, si je me serais senti légitime de faire un film sur ce sujet-là, de contacter des gens que je ne connaissais pas du tout, qui avaient vécu une chose si difficile. Là, je ne sais pas, ça m’a décoincé. Aujourd’hui, je suis content parce que j’ai l’impression qu’il ne faut pas avoir peur d’aller vers l’autre quand on fait des films même si ce sont des gens qui sont loin de nous, qui ont des problématiques qui ne sont pas les nôtres. Je pense que tant qu’on est sincère et qu’on est clair dans ses intentions il n’y a pas de problème.
Comment s’est passée la rencontre avec ces personnes ?
F.R : J’ai commencé par contacter Betty (la mère de Julie qui est la disparue du film) et je suis allé lui expliquer mon projet. Je ne voulais pas seulement qu’elle soit d’accord (si elle n’était pas d’accord, je ne faisais pas le film, c’était clair et net), je voulais vraiment qu’elle ait compris mon approche qui était de raconter une disparition et un fait divers d’un point de vue vraiment personnel et au plus proche de gens qui sont concernés, mais qui, en même temps, ne sont ni des avocats ni des policiers. Je ne voulais pas raconter ça depuis le prisme institutionnel parce qu’en fait, c’est presque tout le temps le cas dans la fiction mais dans le documentaire peut-être encore plus. C’est donc parti d’elle et après, j’ai rencontré notamment David qui est enquêteur bénévole depuis 6, 7 ans. Évidemment, la figure de l’enquêteur bénévole est quelque chose qui m’a beaucoup intéressé parce que je trouvais ça très mystérieux et j’avais envie de comprendre pourquoi il faisait ça.
« Des Hommes désintéressés «
Ce film fait preuve d’une grande empathie envers ses personnages, ce qui contraste avec, comme tu le disais, ce que l’on voit d’habitude des faits divers à la télévision, une forme de voyeurisme en plus de quelque chose de très formaté. Comment as-tu abordé cette mise en scène et comment es-tu arrivé à créer cette proximité avec les personnages ?
F.R : Je pense que dans le documentaire il y a toujours du voyeurisme. Je pense aussi que la frontière entre voyeurisme, curiosité, intérêt et empathie, tout ça est poreux. Je crois qu’à un moment donné, quand on s’intéresse vraiment aux choses, ce n’est plus du voyeurisme. Les émissions dont on parle abordent ces sujets-là et ces histoires-là de manière peut-être plus succincte et l’idée n’est pas d’aller vraiment rencontrer les gens, de comprendre ce qu’ils ressentent, c’est de raconter des faits d’une manière qui est souvent très fictionnelle. Ce n’est pas forcément une critique, je suis évidemment grand consommateur de ce genre de contenu, si je suis amené à faire un film pareil, ce n’est pas un hasard non plus, même si je le fais différemment je pense.
Betty essaie aujourd’hui de trouver des réponses et les médias sont un peu son seul moyen d’action. Je savais qu’elle avait déjà participé à des émissions et je trouvais que c’était intéressant aussi de montrer quelqu’un qui, à cause de son histoire qui devient fait divers, est mis face au système médiatique qu’on connait du récit de ces faits-là, et ça, c’est très présent dans le film parce qu’on la voit se faire filmer par des journalistes, participer à une émission. Sinon, pour la question de la proximité, je pense que la grande différence, c’est la question du temps. J’ai filmé tout seul, avec un ingénieur du son qui m’a rejoint sur la moitié du tournage. J’ai passé plusieurs mois avec les personnes que je filme, j’ai filmé énormément de choses qui ne sont pas dans le film. Mon angle, c’était vraiment de raconter l’histoire de cette disparition mais toujours d’un point de vue personnel.
On parlait de l’aspect visuel, je trouve qu’il y a une certaine continuité à l’image avec un de tes précédents courts métrages qui est Rien d’important…
F.R : C’est la même caméra et les mêmes optiques (rires) !
« Rien d’important »
Comment as-tu travaillé cette image ?
F.R : En fait, Rien d’important est un film que j’avais fait dans une économie très légère où j’avais travaillé pour le coup avec une cheffe opératrice qui s’appelle Pauline Doméjean, donc ce n’est pas moi qui filmait, mais on avait réfléchi ensemble à un dispositif très léger qui était celui d’un appareil photo avec des optiques argentiques dessus, pour avoir à la fois quelque chose de discret, malléable, qu’elle pouvait utiliser toute seule, mais en même temps qui avait un grain, une texture des objectifs qui nous intéressaient. On avait pensé ensemble cette configuration-là que je trouvais assez bonne. J’aimais bien l’image du film et on avait filmé en quatre tiers parce que Rien d’important, c’est un film qui, pour moi, est un film de gros plans et de plans larges et je trouve que le quatre tiers est vraiment le format de ces deux valeurs de plans. Là, quand je suis parti en tournage, un peu en catastrophe, tout seul, j’ai un peu repris la même configuration parce que je la connaissais, j’étais à l’aise avec et aussi, je pense que ça permettait à la fois une mise en scène du paysage de montagne, qui se filme bien en quatre tiers parce que c’est un format pratiquement aussi haut que large, donc c’est le bon format pour les paysages qui sont les miens, et puis ça invite à se rapprocher très près des personnes que l’on filme. Donc, cet aller-retour est intéressant et il me semblait bien correspondre au film que je voulais faire qui raconte cette affaire de disparition, ce lieu hyper particulier que je connais bien, et tout ça, dans une logique de grande proximité et de configuration caméra qui est malléable et qui correspondait à un tournage tel que celui que j’ai fait.
Quel était le rapport entre le fait de faire un film, donc l’objet filmique, et ce que ces personnes ont perçu de ce processus ?
F.R : Je leur avais vraiment expliqué avant la façon dont je voulais faire les chose. Mais, forcément, ce ne sont pas des cinéastes donc, ils avaient évidemment compris ce que je leur racontais, mais tout ça était un peu abstrait avant qu’ils voient le film. À la fin du montage, donc avant de finir la post-production et que les choses se verrouillent avec l’étalonnage, le montage son et le mixage, je suis allé leur montrer le film. Il n’y a pas eu d’écart entre ce que je leur avais expliqué, ce qu’ils attendaient et ce qu’ils ont vu. Je pense qu’ils ont vraiment senti que l’intérêt de ce film n’était pas uniquement de raconter cette histoire et de la médiatiser mais aussi, de la montrer d’un point de vue différent, qui est le cœur de ma réflexion de mise en scène. J’avais peur au début de filmer des gens qui connaissaient l’exercice audiovisuel du côté média et pas du côté cinéma, parce que je me disais qu’il y allait avoir des choses à déconstruire chez eux, sur la façon qu’ils avaient de me raconter l’histoire. Je ne voulais pas qu’ils me racontent les choses sous la forme d’entretiens face caméra. Je me suis dit qu’il y allait avoir des choses à déconstruire et, au final, pas tellement. Le fait qu’il y ait aussi eu au cours du tournage des émissions, m’a permis de montrer comment elles sont faites, j’espère pas trop de manière manichéenne non plus. Les journalistes qui viennent les interroger sont là pour faire du contenu, qui certes est très cliché à certains égards, pas toujours très fin et c’est du divertissement à partir d’histoires qui sont tragiques, mais pour des personnes comme Betty ou David, ce sont des choses qui leur servent aussi. Donc, c’est compliqué d’avoir cette subtilité dans la façon dont je les montre, aussi parce que c’est très violent de voir des journalistes qui travaillent avec des gens qui ont vécu des choses aussi dures. J’ai donc essayé de les montrer dans la violence de cet exercice médiatique, sans dénigrer non plus complètement cette chose.
« Des hommes désinteressés »
Parallèlement à cet exercice technique, à cette déconstruction, est-ce que ces personnes avaient aussi, même inconsciemment, des attentes avec ton film pour remettre en lumière l’affaire ?
F.R : J’avais très peur de faire le film et j’ai rencontré un documentariste qui s’appelle Didier Cros pour lui poser des questions, parce que je sais que c’est quelqu’un qui fait souvent des films sur des gens qui ne lui sont pas forcément très proches, parfois sur des sujets difficiles. J’avais vu un film qu’il a fait qui s’appelle La Disgrâce sur des personnes qui ont été lourdement défigurées. J’étais allé le rencontrer pour lui demander un petit peu comment il procédait, parce que moi j’avais juste fait un documentaire sur ma soeur donc c’était hyper particulier, c’était un exercice très différent, en tout cas dans l’approche des gens. Il m’avait dit : « Il faut comprendre pourquoi les gens veulent faire le film, quelle est leur raison, parce qu’ils en ont forcément une s’ils acceptent de faire ça. Il faut la connaître, l’accepter, mais il faut aussi leur expliquer pourquoi toi tu fais le film et ne pas leur mentir sur quoi que ce soit ». Au début, ils [Betty et David] n’avaient pas compris que c’était plutôt du cinéma que du journalisme. Ils m’ont dit « oui c’est bien parce que ça va permettre de médiatiser et nous on veut toujours médiatiser notre combat ». Je leur ai dit que je ne pouvais pas garantir que le film soit beaucoup vu. Je ne pense pas qu’il passera à la télévision, je ne peux pas garantir aussi qu’il sortira au cinéma, je n’en sais rien. J’espère qu’il sera vu par un public de cinéphiles dans des festivals de cinéma documentaire ou de cinéma plus généraliste. « Si vous acceptez de faire le film, vous acceptez aussi de le faire en sachant ça », je leur ai dit dès la première fois que je les ai rencontrés. C’était très clair dès le début et je pense que c’était quelque chose que je leur devais éthiquement.
Que peux-tu dire de l’exercice de passer du court au long ? Même si tu écris depuis un moment un long métrage…
F.R : C’était un tournage par session, ce n’était pas en continu donc je tournais une semaine, j’arrêtais une semaine, je repartais trois jours… C’est un film pour lequel j’ai pas mal sillonné la France : je suis allé en Bretagne, à Auxerre, en Ariège, en Espagne. Le montage du film a duré très longtemps. La monteuse était évidemment ma première collaboratrice dans l’écriture du film. On a dérushé après chaque session de tournage et on a écrit un espèce de scénario documentaire au fil du tournage. Je dois dire que le montage d’un film long, d’un film qui dure 1h, est une autre échelle dramaturgique que j’ai découverte en faisant le film et que j’ai trouvée différente en terme d’intensité et d’ampleur de narration de ce que j’avais pu connaître en court métrage.
« Des hommes désintéressés »
Il y a des chapitres dans ton film, on sent qu’il y a une trame narrative, comment cette écriture « fictionnelle » s’est constituée parallèlement à filmer le réel ?
F.R : En fait, l’enjeu de montage de Des Hommes désintéressés était d’arriver à traiter à la fois le récit du fait divers, qui est cette disparition, et en même temps, le portrait des personnes qui sont filmées, d’articuler l’émotion, le récit intime avec le récit de l’ordre de l’enquête. Ça, c’était vraiment la réflexion au montage, c’est un peu ce qui nous a guidés je crois. L’idée de chapitrer le film est venue en montage parce que c’était une manière de l’ordonner et aussi d’affirmer ma position de cinéaste et de narrateur de manière plus assumée et presque plus autoritaire. Le fait de chapitrer le film, c’est là pour nous dire : il y a un cinéaste documentaire qui a réordonné cette histoire et qui nous la raconte, ce n’est pas caché, et ça, c’était important pour moi.
Et maintenant, quels sont tes projets?
F.R : J’ai terminé l’écriture d’un long métrage de fiction qui s’intitule Le Royaume des aveugles, qui est en cours de production et que j’espère tourner l’année prochaine, au printemps, si tout se passe bien.
La 46 édition du festival international de cinéma méditerranéen, Cinemed à débuté vendredi soir à Montpellier avec l’avant-première du film Prima la vita de la réalisatrice italienne Fransesca Comencini. Fondé en en 1979 à Montpellier, Cinemed projette des films issus du bassin méditerranéen depuis 46 ans. Le festival met un point d’honneur à représenter des longs et courts-métrages qui révèlent la richesse et la diversité culturelle des différentes régions d’Europe du Sud, d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Au-delà de la beauté des paysages méditerranéens, les cinéastes nous offrent un véritable portrait subtil et complexe du monde méditerranéen, révélant leurs réalités contemporaines.
Dans ce climat de guerre et conflit, il est plus que jamais primordial d’avoir accès à ces regards, à ces dialogues et à ces témoignages. Pour le Président du festival Leoluca Orlando, la Méditerranée “est un petit bout de mer que l’on ne veut plus considérer comme une mer qui divise les peuples entre génocides sur terre et sur mer, mais comme un continent d’eau, un continent liquide qui envoie un message de liberté, d’égalité et de fraternité, un continent riche de cultures et d’histoires qui peut unir les peuples.”
Cette année, le festival met également le Maroc à l’honneur avec une rétrospective sur “l’audace du jeune cinéma marocain”. Des longs et courts métrages mêlant différent genres et registres qui constituent la nouvelle vague marocaine.
Scénariste et réalisateur, Rémi Brachet vient de présenter Chère Louise, un film sur l’histoire imaginée de son arrière grand-mère tuée par son mari en 1949, sélectionné en compétition officielle courts métrages du 13e FIFIB (Festival International du Film Indépendant de Bordeaux). On y suit Louise en 1968, en vacances dans un camping en Italie avec son fils et ses petits-enfants, et la vie qu’elle aurait eu si elle n’avait pas été assassinée vingt ans plus tôt. Retour sur son travail et son approche, en regard de son film documentaire La Fin des Rois qui se penche sur la condition des habitantes dans la ville Clichy-sous-Bois en 2019.
Format Court : Dans Chère Louise, tu mets en scène le personnage de ton arrière-grand-mère en 1968, en imaginant les vacances qu’elle aurait pu connaître si elle avait vécu. Comment as-tu développé cette idée de scénario ?
Rémi Brachet : C’était d’abord conjoncturel : à la base, je mène cette enquête aux archives lors de mes études à la Fémis en 2014 en parallèle de mes autres activités professionnelles. J’ai d’abord été curieux après être tombé sur un article du journal Le Parisien de 1949 qui relatait le meurtre de mon arrière-grand-mère par son mari. Ma mère l’avait conservé lorsqu’elle a appris ce secret de famille. J’avais 14 ans à l’époque. De là, je commence à trouver plein d’articles de journaux, je vais voir les fiches d’état civil, je commence à trouver des choses sur mon arrière-grand-mère que je ne connaissais pas, comme le fait qu’elle était divorcée par exemple. Certains éléments étaient classés aux archives publiques, et ça ne s’arrêtait pas : plus je cherchais, plus je trouvais. Une fois l’histoire reconstituée, j’en ai parlé à mon grand-père, qui s’est beaucoup confié au fur et à mesure que je lui apprenais des choses. Ce travail s’est fait en pointillé, sans que je l’ai destiné à quoi que ce soit, je ne me disais pas que j’allais en faire un film. En 2020, mon grand-père décède. Je venais de finir mon film La Fin des Rois, puis je me suis rompu le tendon d’Achille, deux fois, le même. La guérison fut très longue, j’ai eu du temps. À l’époque, j’essayais de concevoir un long-métrage/documentaire, mais mon grand-père était mort, je manquais d’image : un truc classique ne marchait pas. Et puis je me suis dit : “Qu’est-ce qui se serait passé si elle avait vécu ? Qu’est-ce qu’un féminicide ?”. Quand les enfants en parlent, ils disent souvent qu’ils sont tristes de ne pas avoir vécu plus de choses avec leur mère. Je savais qu’il y avait quelque chose à faire avec l’uchronie.
Justement, comment écrit-on une uchronie ?
RB : Ce qui était cadrant, c’est qu’il n’y avait pas de changement de réalité. Je voulais imaginer mon arrière-grand-mère à 70 ans en 1968, dans notre réalité. Concernant son histoire, j’avais une sorte de fiche de personnage. Je savais qui elle était, et ce qu’elle ne pouvait pas être. Dans ma tête, c’était une femme qui n’aurait probablement pas beaucoup voyagé dans sa jeunesse, son fils (mon grand-père) serait resté avec sa première femme bourgeoise, qui aurait les moyens d’emmener sa mère en Italie. Et puis, j’ai imaginé quelles seraient ses vacances, ce qu’elle se serait autorisée.
« Chère Louise »
Que signifie produire de manière indépendante ?
RB : Lorsqu’on fait du court-métrage, il faut trouver les ressources pour vivre. Il faut trouver d’autres projets, se mettre sur d’autres activités. Il faut s’accorder du temps, que j’ai eu lors de ma blessure. Puis, j’ai écrit le film quand mon fils est né, ce qui m’a laissé du temps en sortant du congé paternité. Avec Chère Louise, on a suivi les parcours classiques de financement, avec le CNC par exemple. L’indépendance signifie que ton budget est contraint : tous tes choix artistiques doivent être faits pour maximiser l’usage de ton argent. Tourner en Italie était cher, donc on a tourné une partie en France. La voiture d’époque, les costumes, sont rares. Le cadre des vacances dans un camping simplifiait les choses, au contraire d’un tournage à Rome par exemple. C’est pour ça que je trouve la conception d’un film indépendant super intéressante : on projette des choses très intimes, avec des problèmes très pratiques, comme la création de décors, les cachets des acteurs…
En 2019, tu as fait une résidence de 8 mois dans le cadre d’un Contrat Local d’Éducation Artistique (CLEA) des Ateliers Médicis. Tu en as fait un moyen-métrage, La Fin des Rois, qui se penche sur la condition des femmes à Clichy-sous-Bois. Pourquoi as-tu candidaté ?
RB : J’avais déjà fait une résidence avec les Ateliers Médicis, dans une structure basée à Montfermeil et qui vise à rapprocher de structures culturelles les habitants qui en sont éloignés, pour créer un lien entre l’urbanité et la ruralité. La première fois, c’était dans une école au fond de la Moselle. En 2019, j’ai vu un appel d’offres dans le territoire de Clichy-Sous-Bois. J’avais un peu de temps, je me suis dit : “Pourquoi pas ?”. Ce que j’ai adoré dans le processus de réalisation, c’est le fait d’avoir du temps pour rencontrer les gens et passer énormément de temps avec eux sans la caméra. C’était un luxe.
« La Fin des Rois »
Dans La Fin des Rois, tu suis un atelier de théâtre dans un lycée, mais tu filmes des scènes d’une rare intimité, comme de véritables accouchements. Tu vas dans les appartements des gens, tu travailles avec les services municipaux… Il doit y avoir un travail de dialogue énorme.
RB : Oui. Par exemple, les services d’hygiène allaient dans les résidences dans un état de dégradation horrible, si bien qu’on ne les a pas montrés. Comme avec les accouchements, on ne sait pas qui on va rencontrer. À la différence de l’atelier avec les lycéens, on ne peut pas “pré-travailler” avec de vraies personnes. Le lien se fait avec les gens qui t’introduisent dans le lieu. Certaines personnes n’ont pas accepté qu’on filme chez eux, quand d’autres le faisaient en se disant que c’était l’une des missions du service hygiène, voire que ça allait les aider dans leurs démarches. L’enjeu était d’arriver chez les gens, se mettre dans un endroit sans les gêner. Être là était déjà une forme de violence ; ça nous a incité à une forme de pudeur.
Tu as beaucoup collaboré avec Héloïse Pelloquet, notamment sur La Passagère, Côté Cœur, Comme une grande et L’Âge des sirènes, que nous avions couvert à Format Court. Comment est-ce qu’on co-écrit une histoire ?
RB : Héloïse est ma compagne ; même si ça pourrait poser problème, on travaille souvent sur les mêmes projets : en tant que monteuse, elle a monté La Fin des Rois. Elle travaille avec les mêmes techniciens, les mêmes équipes depuis ses débuts. On retrouve les mêmes personnages, dans les mêmes territoires. Avec Imane [Imane Laurence, qui joue régulièrement dans les films d’H.Pelloquet], ça a été un travail de composition pour une actrice de 16/17 ans qui changeait. Dans La Passagère, un des seconds rôles, Jean-Pierre Couton (qui joue Tony), est un vrai sauveteur en mer, qu’on retrouve dans L’Âge des Sirènes. Le rôle a vraiment été écrit pour lui.
Vous partez des personnages, et vous créez des histoires autour.
RB : Je dirais même qu’on part des personnes. Dans La Fin des Rois, on part de vrais gens et on raconte quelque chose d’eux. Je trouve que ça permet d’être plus juste d’un point de vue moral et éthique. Partir de personnes qui existent est un garde-fou narratif et éthique. Cela crée une relation respectueuse entre toi et les gens que tu filmes.
« Comme une grande »
Je me souviens avoir été très touchée de la justesse des personnages des jeunes filles qui grandissent dans les courts que tu as co-écrit avec Heloïse. En tant qu’homme, comment imagine-t-on ces regards ?
RB : Ce sont des questions passionnantes. Déjà, c’est Héloïse qui réalise, qui travaille elle-même avec des équipes masculines. Je pense qu’il faut réfléchir à la manière de casser son regard. Par exemple, c’est très pertinent de penser le male gaze, mais ça reste un concept ; il n’y a pas d’omnipotence du regard du réalisateur ou de la réalisatrice sur un sujet. Le système a permis certains comportements à cause d’une politique des auteurs exacerbée, sans contre-pouvoir, alors qu’il y a de fait des rapports de domination sur les plateaux de tournages. Changer les comportements signifie aussi reconnaître les apports de chacun dans une œuvre collective. Par exemple, travailler avec des cheffes opératrices décentre le regard.
On peut réussir à redéfinir la construction du regard au cinéma en associant mieux les équipes, en arrêtant la toute-puissance de l’auteur lors du tournage, qui impose son désir aux comédiens. Ce n’est jamais que ton regard d’homme en tant qu’individu : la notion de désir n’est pertinente que si elle est pensée collectivement.
Pour Héloïse, c’est le contraire, et cela lui permet d’avoir plusieurs regards sur ce qu’elle fait. Il est important d’avoir le ressenti des gens, notamment des monteuses, sur certains plans, qui peuvent porter une certaine violence de représentation. Comment, en tant qu’homme blanc cis, changer la manière dont on regarde les choses ? Dans La Fin des Rois, je voulais me pencher sur la question du genre en banlieue, mais ce sont les habitantes qui m’ont guidé, et qui m’ont questionné sur la manière de filmer les gens indépendamment de leur genre, de leur origine. Car les films qui me touchent le plus sont ceux où les gens ne sont pas essentialisés. […] Par exemple, je trouve que le regard posé sur Arletty dans Les Enfants du Paradis en fait une figure forte. Mais il ne suffit pas d’être une femme pour penser les personnages féminins : l’enjeu principal est de décortiquer les rapports de domination et de représentation, et de les changer.
Pour décortiquer des rapports de force, il faut d’abord les conscientiser.
RB : Oui, et cela passe par la diversité des équipes. Certes, les choses changent du côté des comédiens, mais les scénaristes ou les chefs-opérateurs sont souvent des hommes blancs. Il s’agit aussi de permettre à des gens de tous horizons de faire davantage de films pour multiplier les regards. Pour moi, ça passe même jusqu’aux stagiaires qu’on choisit sur un plateau, sur la diversité des regards qu’on aura.
« Chère Louise »
Dans Chère Louise, le féminicide est traité comme un tabou absolu. Dans La Fin des Rois, lorsqu’on demande à Ouahiba, lycéenne, pourquoi elle s’est tue après son agression, elle répond que “les gens n’ont pas à savoir”. Comment comprendre le silence de la violence contre les femmes ?
RB : Pour moi, il s’agit d’abord des rapports de force et de domination. Est-ce qu’il y a la place, dans notre société, pour accueillir ces discours ? On le voit dans le procès de Mazan, combien il est difficile d’être crue et entendue. La société n’est pas prête à entendre cela. Cela me touche, car c’est une forme de responsabilité collective qu’on a de réussir à écouter. Je pense que Ouahiba, qui s’est affirmée au montage comme un personnage principal, se sentait assez en confiance pour se confier à nous sur son agression, puis à la caméra, ce qui a aussi été le cas de mon grand-père qui s’est senti assez en confiance pour se confier sur sa propre mère. […] Oui, je suis touché par la violence et le secret, et l’incapacité à les formuler et à les digérer en tant que société.
Cette année, le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux a mis à l’honneur la Lituanie à travers une programmation de courts-métrages variés. Entre le 8 et le 13 octobre, le programme « Le Vacarme des murmures » a exploré les facettes du cinéma lituanien contemporain entre expérimentation, fiction et documentaire. Focus sur trois coups de cœur.
Techno, Mama, Saulius Baradinskas (2021)
Techno, Mama est une fiction de 18 minutes de Saulius Baradinskas centrée autour de Nikita, passionné de musique techno qui n’a qu’un seul objectif, quitter sa Lituanie natale pour aller à Berlin et fréquenter le mythique club Berghain. Entre-temps, Nikita fait des ménages avec sa mère, qui, en plus de le priver de son argent, l’abuse verbalement et physiquement.
Présenté en avant-première en 2021 à la 78ème édition du Festival de Venise, il s’agit du second court-métrage de Saulius Baradinskas, qui place la relation mère-fils et le mal-être de la jeunesse lituanienne étouffée au cœur de son récit. Les jeux de miroirs et les plans rapprochés participent à cette urgence anxiogène de fuite, où la techno est à la fois drogue et sevrage de la réalité insipide de Nikita. Dans ces espaces visuellement claustrophobes, dont l’exiguïté est accentuée par le format carré 1.33 du film, la techno en tant qu’entité à part entière existe de manière puissante.
Entre les barres d’immeubles impersonnelles et déprimantes et les maisons luxueuses que Nikita et sa mère doivent nettoyer, c’est dans les hangars industriels que Nikita se libère réellement dans la musique, laisse s’exprimer sans aucune contrainte son corps, ses désirs et son esprit. Techno, Mama est un film dense et explosif, empli de violence et agressif, ode à la liberté de la jeunesse lituanienne.
Community Gardens, Vytautas Katkus (2019)
Présenté à la Semaine de la Critique 2019, Community Gardens est l’histoire d’une relation entre un père et son fils lors d’un été dans des jardins partagés, ces endroits investis par les urbains cherchant à se déconnecter quelques jours auxquels le titre fait directement référence.
Sans passé ni futur, les protagonistes n’ont ni prénom ni histoire. La chaleur de la palette chromatique et les paysages champêtres composent une toile bucolique d’un été irréel, dont les bords fluides et mouvants de la caméra feraient presque penser aux décors de Varda dans Le Bonheur. Lorsqu’un feu ravage une des maisons, le fils sera amené à reconsidérer ses proches, indifférents et inutiles devant la tragédie qui se joue devant eux.
Si la légèreté des hommes prêtent à sourire au milieu des flammes, Community Gardens est un portrait subtil de la société patriarcale lituanienne qui peine paradoxalement à faire communauté avec ses fils, ses femmes et ses voisins, et dont la nonchalance désintègre silencieusement les liens familiaux. Un conte d’été acerbe et poétique à regarder.
Feedback, Simona Žemaitytė (2022)
Lituanie soviétique, 1988. Un jeune artiste, Saulius Čemolonskas, décide de fuir l’URSS pour s’installer en Angleterre. Des images d’archives sur plusieurs décennies oscillent entre documentaire et expérimental, où les moments erratiques de sa vie quotidienne sont filmés avec grande tendresse dans Feedback de Simona Žemaitytė.
Sur 19 minutes, la réalisatrice, monteuse et professeure met en scène ces archives crues et intimes d’un avant-gardiste musical qui s’est retrouvé apatride malgré lui, artiste génial de la scène expérimentale underground londonienne et réfugié politique au tournant du XXIe siècle.
Des bruits assourdissants cohabitent avec des mélodies harmonieuses pour tisser un récit décousu, notamment à travers les mots d’une de ses plus proches collaboratrices, Laure Prouvost, qui font irruption au milieu du film. Également présenté à l’édition 2022 du Vilnius Short Film Festival, Feedback est un hommage touchant à un artiste que la Lituanie a malheureusement perdu.
Ce mardi 8 octobre 2024 débutait le FIFIB (Festival International du Film Indépendant de Bordeaux), un rendez-vous incontournable pour les cinéphiles bordelais. Face à une actualité violente et désolante, le cinéma est un espace d’espoir et de lutte. C’est ce que met en évidence la programmation de cette 13ème édition marquée par le mot « Désobéir » et qui veut ainsi « partager des films qui pansent nos plaies dans l’imaginaire et nous donnent du courage dans le réel » (Édito).
Chaque année, le FIFIB propose trois compétitions immuables : la compétition internationale longs-métrages, la compétition contrebande (qui met en avant des films qui se font en dehors des schémas de financement classique) et la compétition française courts-métrages. Avec pour but de mettre en lumière le meilleur du cinéma indépendant 2024, ces trois compétitions permettent de découvrir des films innovants et comme le démontre la compétition contrebande, des films nés d’une nécessité de créer. Pour élire les prix de cette édition 2024, deux jurys. Pour les longs métrages, celui-ci est composé de l’acteur Erwan Kepoa Falé (Dustin, Le lycéen, Eat the night), de l’humoriste Nora Hamzawi et du réalisateur et cofondateur de l’association culturelle Chrysalide à Alger : Karim Moussaoui (En attendant les hirondelles, Les jours d’avant). Côté contrebande et courts métrages, le jury est formé d’Emma Benestan, réalisatrice de Fragile et de Animale (son deuxième long-métrage présenté à la Semaine de la Critique à Cannes), de l’actrice Ella Rumpf (César de la révélation féminine en 2024 pour Le Théorème de Marguerite) et de Gala Hernández López, artiste-chercheuse et cinéaste, dont le film La Mécanique des fluides remporta le Grand Prix Contrebande de l’année 2023, ainsi que le César 2024 du meilleur court métrage documentaire.
Parallèlement à cela, le festival comporte de nombreuses catégories hors-compétition avec par exemple un hommage à Pascale Ogier, une rétrospective Miguel Gomes (présent durant le festival), ou encore des focus sur Alain Guiraudie et Coralie Fargeat. D’autres programmes comme « Se Défendre » : une sélection marquée par la nécessité de contrer l’actualité en rendant la parole aux populations dominées avec des films provenant de la Palestine, du Liban ou du Sahara occidental, viennent souligner l’identité engagée du FIFIB.
Les festivaliers pourront apprécier la présence de nombreux.se.s cinéastes venu.e.s présenter leur dernière création au travers de plusieurs avant-premières. Ainsi, se retrouveront Alexis Langlois pour son film Les Reines du drame, présenté lors de la Semaine de la Critique à Cannes en 2024, Ludovic et Zoran Boukherma accompagnés de Paul Kircher pour Leurs enfants après eux, ou encore Agathe Riedinger et son film Diamant Brut découvert au Festival de Cannes en compétition officielle.
Les soirées se poursuivent au village Mably (centre névralgique du festival situé Cours Mably) où les spectateurs peuvent retrouver la projection des épisodes de la série DJ Medhi : Made in France et des DJ set enflammés. Le festival accueille d’autres temps forts constitués d’échanges et de rencontres dans divers lieux culturels de Bordeaux, comme par exemple des rencontres métiers autour des métiers de directeur de la photographie ou celui de costumière, ou la sortie de résidence des lauréat.e.s du C.L.O.S (une résidence artistique pour des cinéastes issu.e.s de pays francophones, organisée avec le soutien de la région Nouvelle-Aquitaine et du CNC).
Le festival se terminera le dimanche 13 octobre avec la Cérémonie de clôture et l’avant-première du film Planète B d’Aude Léa Rapin.
La promotion est nécessaire pour toute sortie de long-métrage. On sait à quel point tout premier long-métrage est fragile, a besoin d’accompagnement, de presse, de promotion, de regards bienveillants, qu’ils viennent de l’industrie, de la presse, des spectateurs, du bouche-à-oreille. Au moment et dans la foulée de Cannes, on n’a pas eu le temps de publier l’interview de Jonathan Millet qu’on suit depuis de nombreuses années. Il a signé Les Fantômes, un thriller social sur fond de crimes de guerre, de réparation et de résilience qui a ouvert la 63ème Semaine de la Critique en mai dernier. Par petites touches, le film, porté par les comédiens Adam Bessa et Tawfeek Barhom, réussit à laisser une trace dans l’esprit, même quelques mois après son visionnage dans une petite salle de cinéma à Cannes. Aujourd’hui, nous publions enfin l’entretien fleuve effectué avec le réalisateur venu du court et du documentaire, accompagné de Pauline Seigland, sa fidèle productrice (Films Grand Huit), et de Laurent Sénéchal, le monteur du film.
Format Court : Il y a quelques années, Jonathan, tu as participé avec Pauline à l’une de nos rencontres professionnelles où tu parlais de brûler le scénario. Est-ce que quelque chose que tu as appliqué sur ce projet ?
Pauline Seigland : Je voulais rebondir sur notre rencontre. Pour ce film, ça a été encore plus vrai que par le passé, il fallait dʼautant plus brûler le scénario au départ. Cʼétait un scénario qui était formidablement construit, qui avait reçu beaucoup de soutiens. La force de Jonathan, ça a été aussi de partir du réel, de la force des comédiens et de ne jamais prendre le scénario comme une bible.
Jonathan Millet : Ce scénario est la résultante de beaucoup de choses que nous avons faites ensemble auparavant, lorsque chaque fois, nous pensions pouvoir aller plus loin que ce que nous avions fait. Dès le début du travail sur le scénario, nous avons senti que nous pouvons tirer profit de nos acquis précédents et des domaines où nous avons maintenant plus d’expérience. Je me suis permis d’ajouter au scénario – comme je savais que ce serait un film sensoriel, sur l’invisible, le toucher, l’odeur – un aspect littéraire, qui me semblait beau à lire. Nous avons eu avec Pauline cette conversation pour essayer, par la forme littéraire, de donner à penser aux gens ce que sera le film. La veille du tournage, ce scénario a été inutile. Le lecteur pouvait imaginer ce qui allait se passer. Mais pour notre travail avec le chef op [Olivier Boonjing], en terme d’images, ça ne servait absolument à rien. Ce n’était pas tant qu’il fallait brûler le scénario pour avancer, c’était simplement qu’il nous était inutile, c’était un document qui pouvait donner aux gens l’envie de nous suivre vers l’endroit que nous allions explorer mais il n’y avait aucune piste pour nous dedans. Un mois avant le tournage, j’ai écrit un autre document, qui était un mélange d’intentions, de réflexions, et qui a été notre document de travail. Ce document, ce sont les intentions de chaque scène. Par exemple, à cette page, on doit pressentir que le personnage pense à son passé. On se demande comme faire. Soit l’opérateur son soit le décor a une idée. Comment influer des idées de cinéma pour faire comprendre quelque chose que nous n’avons pas envie de montrer et d’expliquer ? Nous ne voulions pas dans ce film d’informations, de didactique, mais que l’on puisse saisir et ressentir les choses.
J’ai eu l’impression d’écrire plusieurs courts-métrages, avec ce premier projet de long-métrage et de trouver ma façon d’écrire des mots. J’ai trouvé petit à petit un processus qui me plaît. Effectivement, pour ce film, il y a eu énormément de recherches, de documentations, de réel. De tout ce réel, je n’en garde que 10% dans cette histoire parce qu’on est dans le prisme du personnage principal. Pour moi, écrire un scénario, c’est renoncer à beaucoup de choses pour trouver vraiment la ligne mère du film. Il y a eu plusieurs étapes : la première, un document très court, d’une page, avec mon personnage et les grandes étapes. C’est une page que je pouvais faire lire à ma productrice pour lui montrer mon envie de film.
P.S : Ce qui est très beau cʼest que cette page est faite aussi de dessins et de flèches, pas seulement de texte. Cʼest déjà un échafaudage.
J.M : Ce nʼest pas tellement cette page qui compte, cʼest plutôt le fruit dʼune confiance et dʼune envie. Le retour de Pauline ne serait pas “nonˮ mais plutôt “trouvons vers où aller pour que ce soit bienˮ.
P.S : La vérité, cʼest quʼil y avait déjà tout sur cette page, la grande image et les questions fondamentales du film. On a assez peu changé de trajectoire. Ce nʼest pas le cas de tous les films, de trouver tout de suite comment le fond et la forme prennent corps ensemble.
La grande image, selon toi, cʼest laquelle pour Les Fantômes ?
J.M : La grande image, cʼest toutes celles qui nʼy sont pas. Il y a beaucoup dʼimages très fortes dans le film, de la guerre, de la violence, de la torture, du trauma, et elles nʼapparaissent jamais dans le film. Je crois que les images les plus fortes sont celles que le spectateur doit se fabriquer au fond de lui. En lʼoccurrence dans le film, elles sont créées par du hors-champs ou du son qui peuvent les déclencher chez le spectateur. Chaque spectateur a vu un film différent, porté et chargé de ses propres images qui relèvent de la violence de ses traumas. Le grand théâtre des opérations du film, cʼest dʼaller au cœur de son personnage, du tourbillon de ses pensées, de pouvoir accéder à ça. Cʼest un film de ressentis, qui vient explorer les sensations de notre personnage, donc il ne faut pas dʼimages qui surplombent, dʼimages archétypes. Cʼest à nous, public, de les créer.
Peux-tu évoquer davantage la documentation ? Cʼest un film qui fait penser aux traques des criminels de guerre nazis. On sait que de nombreux d’entre eux se sont retrouvés en Syrie où ils ont formé au renseignement les tortionnaires des opposants et des partisans de la révolution syrienne. Est-ce que cʼest quelque chose qui a alimenté la matière de ton film ?
J.M : Complètement. La matière est absolument foisonnante. À partir de ce sujet, il y a des centaines de livres à écrire. J’ai d’abord essayé de me concentrer sur le contemporain de cette histoire, la Syrie des dix dernières années, les réfugiés de guerre et ces récits-là. J’avais vraiment envie d’être implacable sur toute cette matière. J’ai passé beaucoup de temps à écouter le plus de récits possibles et à progresser. C’est l’endroit où j’ai de la curiosité. La sensorialité du film vient du réel. Des gens qui sortent de prison mʼont raconté qu’ils ont passé deux ans dans le noir et ont développé un rapport à l’ouïe particulier ; sʼils entendent des pas qui sont à plus de 15 mètres, ils ont l’impression que quelqu’un va ouvrir la porte et venir les tuer ; dans la cellule, c’est avec leurs mains quʼils trouvent l’endroit où se mettre… Mon but au moment de la dernière version d’écriture était d’avoir un matériel extrêmement précis pour pouvoir être sûr de me donner de la liberté dans la fiction. Je connaissais assez le réel pour ne jamais le trahir. Je suis peu allé ailleurs. Je voulais me réapproprier les codes des films d’espionnage, de traque, etc. Je sentais qu’il fallait tout réinventer à partir des choses que j’ai pressenti dans mon travail de documentation.
Jonathan, tu es passé par le documentaire. Le projet des Fantômes a-t-il pu apparaitre comme vertigineux ? On a accès à des témoignages très durs. Est-ce que la distance de la fiction t’a permis d’arriver jusqu’à ce projet ? Et comment toi, Pauline, tu l’as aidé à garder le cap ?
P.S : Dans ce film, il y a tout ce quʼon avait appris des films précédents mais il y a aussi tous les films quʼon nʼa pas faits, des projets quʼon a commencé, deux longs-métrages par exemple. Dès quʼon a commencé à travailler ensemble sur les courts-métrages, on a très vite parlé des longs-métrages possibles et on a développé deux projets. On nʼa pas du tout été confronté à un échec de financement, ce sont même des films qui avaient reçu des soutiens dʼécriture et de développement. Mais nous, on a senti quʼils nʼétaient pas optimaux pour lʼambition quʼon avait pour le premier film de Jonathan.
J.M : On nʼallait pas pouvoir faire les films tout à fait comme on voulait.
P.S : Le concept même du son et de la forme de ces films nʼétaient pas tout à fait trouvé, comme lʼévidence quʼil y a eu sur les Fantômes. Les Fantômes porte aussi les fantômes des films qui nʼont pas été faits. Cʼest vrai pour les deux films de fiction en projet, cʼest aussi vrai pour un projet de documentaire que Jonathan avait et qu’il a beaucoup préparé, un film sur les victimes de torture dans une clinique qui accueille des gens, surtout des Syriens. Cʼétait difficile dʼavoir le bon point de vue sur cette situation. Finalement les choses qui ne se sont pas faites ont nourri ce film-là. Il a été assez vite, bizarrement, mais parce quʼil y avait des choses qui avaient beaucoup maturé. Cʼest ça qui est beau aussi, de se dire que les projets quʼon peut laisser de côté viennent nous nourrir à un autre moment. Cʼest réjouissant parce que cʼest difficile quand même de faire des films. Il faut être très serein sur le fait que tout arrive à point nommé et que tout nourrit à un endroit ou un autre.
J.M : Sur la question de la fiction, je n’ai pas l’impression de renoncer au documentaire. Je cherche plutôt à savoir comment retranscrire au mieux une vérité parce qu’au fond, pour moi, le réel est un endroit d’inspiration, de curiosité, qui est un déclencheur, où je sens l’envie de faire ce film, de raconter cette histoire. Après, il y a mille façons de le faire. Là, j’ai senti que la fiction était la meilleure manière pour raconter la force de ces récits, la puissance absolue de cette histoire. Faire de ces exilés de vrais héros de cinéma était un vrai projet. Ensuite, pouvoir proposer aux spectateurs de vivre et ressentir cette histoire plutôt que simplement faire un projet qui raconte des faits et des informations. C’est pour ça que j’étais tout à fait à l’aise d’utiliser tous les moyens de la fiction, tout en ayant l’impression que c’était une façon de retransmettre cette réalité qui m’a touché. J’ai passé un vrai long temps en recherche documentaire, j’ai accumulé la plupart de ces témoignages qu’on voit dans le film. On tourne dans des vrais lieux, beaucoup de Syriens jouent leur propre rôle dans le camp des réfugiés. Le matériel du réel est bien là. Par exemple, les témoignages m’intéressent dans cette fiction sʼils sont tels quels, aussi bruts, mais que, nous, spectateurs, les vivions à travers l’émotion du personnage principal. Ce qui nous touche d’abord, c’est son émotion plutôt que l’implacable dureté de ces mots, qui me paraît beaucoup trop frontale à envoyer à un spectateur – dans ma vision du monde en tant que spectateur ! La fiction est donc une manière juste, un endroit où ces mots-là peuvent être entendus pour éviter de balancer de manière trop lourde la dureté du monde à la face du spectateur.
Les Fantômes se rapproche du film de genre, qui, par ailleurs, est basé sur des faits réels. La fiction comme détour, cʼest quelque chose que tu as ressenti au début du projet ou ça sʼest fait chemin faisant ? Cʼétait quelque chose qui animait lʼensemble du processus de création ?
J.M : Le réel a attisé ma curiosité, j’ai eu envie de le raconter, j’ai été emporté. J’ai utilisé les moyens de la fiction pour le raconter. Le genre, c’est une manière de dire que les récits des exilés sont des récits d’aventure, d’espionnage, qui sont plus forts que tous les films écrits par les scénaristes les plus chevronnés. J’entends des récits haletants et c’est ça que j’ai eu envie de raconter ! Cette sensorialité vient du réel. Ces exilés qui doivent se cacher, qui ont vécu la prison, qui risquent à tout moment d’être arrêtés, qui ont vu leurs compagnons mourir, ils ont vécu mille vies. Ils sont à cet endroit-là d’intensité. J’ai envie que mon film ait cette boussole dans son écriture et sa mise en scène. C’est une manière pour moi d’être au plus proche de la réalité des émotions de ceux qui l’ont vécu. Il n’y a pas besoin d’être un naturaliste, au ras du réel, pour dire que c’est vrai. C’est une façon de dire : « Voilà à peu près ce qu’il peut se passer dans l’esprit tourmenté et bouillonnant de ceux qui ont vécu ces histoires ».
En parlant dʼintensité, on peut évoquer lʼacteur principal, Adam Bessa. Quʼest-ce qui a gouverné ton choix ?
J.M : C’était un processus de casting très long, que nous avons suivi ensemble. Nous sommes très liés dans toutes les phases de fabrication des films. Nous avons passé une année à faire du casting, rencontré une centaine de personnes dans 15 pays. Les comédiens arabophones de cet âge sont au Liban, en Égypte, exilés au Canada, en Allemagne, en Belgique. Il était vraiment nécessaire pour ce film de trouver le comédien parfait. Adam a l’intensité requise et ce monde intérieur. Quand je le vois, je peux me dire que ce personnage a traversé tout cela et c’est crédible, c’est quelque chose qu’il a en lui. On ne pouvait pas travailler là-dessus avec lui. Par contre, ce sur quoi nous avons travaillé, c’est de rendre accessible son monde intérieur et de travailler sur les gestes, sa façon de s’asseoir, de boire, de se toucher, de regarder, de passer d’une langue à l’autre, de laisser entrevoir la violence et le passé qui le chargent, sans avoir besoin de l’expliquer, d’être didactique mais pour que le spectateur se dise « je vois, je pressens, je ressens ». Par ce moyen-là et aussi par un travail sur le son et la musique, il fallait avoir accès à Adam. Pour moi, le grand décor du film, c’est l’esprit du personnage. On est avec lui, on vit ses remous intérieurs, sa paranoïa, les légers moments de relâche, de soulagement, la plongée complète dans le noir. C’est à cet endroit-là qu’on doit être. Son corps entier est un véhicule et c’est avec lui qu’on doit être du début à la fin.
Dans la recherche autour du corps, il y a aussi quelque chose de l’ordre de la dissimulation. Tu lʼavais déjà exploré dans tes courts-métrages ?
J.M : Oui, mais pas assez ! J’ai l’impression d’avoir cherché petit à petit le cinéma qui me plaît, qui est un équilibre entre plusieurs choses. J’ai l’impression que ce sont des curseurs sur différentes choses : le rapport au réel, la promesse de cinéma, le sensoriel, le hors-champ… Ce film fait converger ce qui me parle et il me donne l’impression d’avoir trouvé ma direction pour la suite. Ce n’est pas le format du court-métrage parce qu’on peut y explorer la mise en scène. C’est plutôt que j’y suis allé étape par étape à essayer de saisir ma façon de m’exprimer à travers le cinéma et là, j’ai l’impression de l’avoir trouvé. Mon film doit marcher en étant muet, les corps seuls doivent suffire. On a une longue séquence de face à face dans Les Fantômes, les deux personnages sont assis sur des chaises, mais la scène fonctionne si on n’entend pas ce qu’ils disent. Pendant 12 minutes, on voit deux personnages qui se regardent, se jaugent, bougent, et la scène a une force muette. Après on ajoute les dialogues et ça crée une deuxième dimension, quelque chose de troublant. Je crois avoir saisi maintenant comment les corps m’intéressent et comment j’ai envie que le spectateur de façon inconsciente puisse venir palper l’ensemble de ce qu’il doit avoir mais que ce soit exprimé par l’image et donc par les corps.
De quand remonte le projet des Fantômes ?
J.M : Lʼhistoire réelle est arrivée en 2019 et jʼai commencé à lʼécrire en 2020.
P.S : Le film est sorti en 2024, donc on lʼa financé et tourné en trois ans. Cʼest exactement le fondement de notre petite manière artisanale de faire des films [à Films Grand Huit], où tout est basé sur lʼintuition et la confiance. On ne produit que des gens avec qui on a une relation longue, on regarde dans lʼinstant T mais aussi dans 5 et 10 ans. Notre manière de faire, de se surinvestir dans un court-métrage, ça ne fonctionne que si on a une confiance monstrueuse sur le maintenant et lʼaprès, sur lʼinvestissement qu’on met maintenant pour nourrir tout ce qui va se passer dans une filmographie de réalisateur. Un projet qui ne se fait pas nʼenlève en rien mon désir de travailler avec Jonathan et ça ne lui enlève rien lʼenvie de travailler avec nous. Il faut beaucoup de ressources pour accepter que l’année passée est perdue même si on se rend compte que ce n’est pas du tout le cas; parce que ça a sédimenté une idée de cinéma qui vient nourrir la suite. Mais il faut beaucoup de confiance, dʼabnégation, de croyance en lʼavenir pour que ça fonctionne.
J.M : Ça fait 9 ans maintenant que nous travaillons ensemble, nous nous sommes rencontrés autour d’un premier projet de court-métrage. Pauline m’a dit qu’elle aimait le projet mais elle m’a dit aussi : « Je ne signe pas des films mais des auteurs. On ne signe pas pour un film mais pour une continuité. Dès ce premier rendez-vous elle m’a demandé mes projets futurs. Notre travail, c’est ce bloc-là. Parfois, dans ce bloc, un projet ne se fait pas mais transpire dans les projets suivants. La continuité c’est de se dire qu’on crée ensemble un fil de travail où on voit des œuvres émerger et parfois des temps de recherche pour que quelque chose d’autre émerge. C’est quelque chose de global de se dire qu’on fait des films ensemble.
P.S : C’est très beau aussi de se dire qu’on a testé des choses en court-métrage, qu’on a fait ensemble des films sans scénario. Jonathan avait envie d’essayer quelque chose de très précis sur la direction d’acteurs. On a fait ce film en se donnant les moyens, sans être obnubilé par le financement. On s’organise, Jonathan pour que ce ne soit pas trop cher, moi pour qu’on ait suffisamment de moyens. Tout ça nourrit le premier long-métrage. Il y a une marche qu’il ne faut pas louper pour arriver à durer comme cinéaste, c’est un endroit de financement, de visibilité qui est unique. On a une seule chance de faire un premier film et il faut être vraiment bien sûr de ce qu’il se passe à ce moment-là.
J.M : J’en suis conscient, nous en discutons beaucoup. Aujourd’hui, un cinéaste ne peut pas vivre dans sa tour d’ivoire en pensant qu’il faut beaucoup d’argent pour faire un film et qu’il sera fait. Moi, j’essaie d’être autant impliqué que possible dans la réalité de la production. Avec Pauline, nous prenons des décisions ensemble, artistiques comme financières. À toutes les étapes, c’est une discussion ensemble. Les décisions financières ont des impacts sur l’artistique ; s’il y a une région qui soutient, ou tel producteur, distributeur, ça implique des choses. Il faut penser que le film écrit va coûter tant a priori, qu’on peut fabriquer de cette manière et il faut le faire dans l’échange. Au cœur de ça, il y a aussi le fait que c’est un premier film. C’est un moment de bascule. On va peut-être être considéré dans le financement, au moment où il sort, en fonction de son résultat. Depuis quatre ans, on ne parle que de ça, du film qu’on a envie de faire et de la façon dont on a envie de le faire.
P.S : Et de ce qui nous permettra dʼêtre un passeport pour la suite. Cʼest très important parce que si on a pas un peu de prévision, cʼest difficile de naviguer dans lʼécosystème. Cʼest difficile de faire des films et on a intérêt de réfléchir à tout ça.
À propos du casting, lʼacteur, Tawfeek Barhom, est formidable. Il joue le personnage du bourreau, qui nʼest pas à proprement parlé un monstre dans le film mais plutôt un “salaudˮ selon lʼexpression de Sartre, qui prétend être celui qui nʼest pas. Est-ce que cʼest quelque chose qui tʼa habité ? Comment as-tu réfléchi le personnage et pourquoi l’avoir choisi ?
J.M : Ce qui était une évidence, c’est que je ne voulais pas en faire un archétype, un personnage tout noir. On le regarde et on sait que c’est le méchant, avec une grande barbe, des énormes épaules et les yeux vitreux. Ce qui m’intéressait, c’était de raconter un monde plein d’ambiguïtés et que cette ambiguïté porte le film. Le film est sur le doute et le personnage de Tawfeek doit incarner ça. L’acteur a quelque chose d’assez magnétique et le film est un fil vers lui: on va progressivement s’approcher de lui puis le découvrir. Tawfeek a ça de génial qu’il joue deux choses à la fois et en même temps. Il est doux et profondément inquiétant, il est hyper présent et un peu à distance. Ça raconte ce que j’avais envie de dire, un bourreau n’a pas tué des chats à trois ans. C’est un personnage qui s’est retrouvé à un moment dans les méandres de l’histoire, à faire les pires choix du monde et à devenir un monstre. On est la somme de tout ce qu’on a vécu donc ça ne défend en rien ce personnage. C’est une manière de raconter que les choses sont plus complexes que ce qu’elles paraissent. Tawfeek arrive à raconter ça simplement dans son expression et aussi à dire que ce qui s’est passé est passé, moi je veux aller vers un ailleurs et ça crée une nébuleuse qui est celle du regard d’Hamid, joué par Adam, vers lui et qui laisse un peu d’espace pour que le spectateur se projette à cet endroit de la représentation et de la banalisation du mal – un sujet sans fin sur lequel le film ne prétend pas avoir un avis mais plutôt créer un espace de pensée.
Dans quel cadre le Groupe Ouest a pu tʼaider dans lʼécriture ?
J.M : L’écriture du film a été assez rapide. À un moment, j’ai tout mis sur la table et il y a eu plusieurs étapes d’écriture : j’ai dû définir l’intégralité du cadre, les grandes orientations et intentions du film qui sont toutes les lignes de structure du film, la base et la boussole pour tout le long. Cela s’est passé avant le groupe Ouest. C’est né des moments où j’écrivais mes tous premiers longs-métrages de fiction et où, par désir de faire vivre mes personnages, j’écrivais des scènes dialoguées très vite, j’étais trop rapide dans l’écriture. J’ai appris qu’il fallait d’abord trouver la concision pour pouvoir ensuite densifier. Ce n’était pas tant par rapport au réel, c’était plutôt pour l’impression qu’en tant que scénariste, il faut écrire des scènes. Il faut d’abord penser le film et une fois qu’on a trouvé la façon d’être du film, alors on peut dérouler.
P.S : Moi, je travaille avec des gens qui sont cinéastes avant dʼêtre scénaristes. Je pense que personne nʼa de certitude. Jonathan, par sa force de travail, a trouvé une méthode qui lui correspond, mais peut-être qu’elle ne lui correspondra que pour un film, deux peut-être. Et puis, il changera de méthode. Ce qui est magnifique dans le cinéma, cʼest que personne ne sait rien, personne ne sait comment on fait des bons films. La meilleure attitude, c’est l’humilité. On tâtonne et puis on trouve une lumière, on a une intuition, on voit que ça fonctionne. Ce nʼest pas un métier de méthodes mais dʼintuitions. Donc, on fait un peu comme on peut ! Cʼest une manière de jouer à faire du cinéma, et cʼest difficile de déconstruire ça. Tous les matins, pour tenter de bien faire son travail, on se doit de ne jamais jouer à faire les choses. Ce nʼest pas aisé. Tu passes par des choses complexes pour arriver à quelque chose de simple et dans lʼécriture, il y a quelque chose de cet ordre-là.
J.M : Le Groupe Ouest est arrivé dans l’année de l’écriture. Elle était déjà assez aboutie pour que j’arrive à quelque chose de solide. Ce que j’ai trouvé merveilleux dans le Groupe Ouest, c’est l’immense concentration sur le film pendant une journée où 7 autres auteurs et les consultants ne parlent que du film et donc tout se bouscule ; puis, on prend un peu de recul parce qu’on parle des projets des autres, avant de replonger totalement en immersion sur son projet. Ce sont des journées cadrées mais le dialogue continue le soir avec les auteurs et on parle en continu de cinéma. Parfois on trouve exactement l’endroit qui nous bloque à l’intérieur du film d’un autre. Cette immersion dans l’acte d’écriture n’a pas de matière évidente – comme le dit Pauline – pas de lignes à suivre pour que tout se passe comme il faut mais qui est simplement une suite de tâtonnements. Là, c’est comme un hyper tâtonnement. On a été 8 auteurs très proches les uns des autres et il y a eu une émulation de travail continue. En rentrant à Paris, on sʼappelait, on continuait à parler des films. Dans le fond, ça amène à se dire quʼil faut travailler parfois en prenant du recul sur son propre film.
Ce qui change entre le moment où tu fais un court et un long, cʼest toute la promotion du film, avec un recours à un(e) attaché(e) presse, le choix d’une bande-annonce, d’une affiche, .… Comment travaille-t-on avec cette matière quʼon ne connait pas forcément ? Il y a tout un travail qui est complètement différent, comment concevez-vous ça ?
J.M : Nous avons l’impression que chaque endroit où nous parlons du film est important. Comme nous croyons au travail, à chaque fois, nous nous préparons, nous faisons des oraux blancs, nous nous racontons ce que nous allons dire, nous faisons venir des gens, nous débriefons, etc. Cela fait deux ans que nous réfléchissons à comment parler du film. Sur le tournage, ça m’aide d’avoir autant préparé cela, de pouvoir très vite donner des indications et leurs raisons. Quand nous rencontrons l’attaché de presse et que nous donnons des directives, c’est la continuité de ce travail où tout se prépare et se réfléchit et savoir parler de son film me semble l’un des endroits nécessaires dans le fait de réaliser un film.
P.S : Le marketing peut être effrayant. Nous avons vraiment choisi nos mandataires, nos vendeurs internes, notre distributeur et on est aussi très impliqué dans ces choix, les photos, le synopsis, la bande-annonce, lʼaffiche,… On les choisis ensemble et avec des gens qui sont très raccord avec ce quʼest le film. On a travaillé la jonction avec quelquʼun qui est plus éloigné du film.
J.M : On arrive avec un discours construit. Quand le distributeur nous envoie une affiche et quʼon fait des retours, parce quʼon en a regardé des centaines et quʼon a pris des notes, ce quʼon apporte comme remarque ne sont pas des idées vagues mais des réflexions construites, structurées, par rapport au public, etc, sous forme dʼun dialogue commun. Le marketing aujourdʼhui fait partie de la vie du film et on est raccord à ce sujet-là.
Qu’est-ce que vous avez le sentiment dʼavoir appris de ce film et de vous deux ?
P.S : Nous avons beaucoup appris depuis ce film ! Nous avons donné des master classes pour des facultés, et nous nous retrouvons à parler de la vie que nous vivons ! Et ça, c’est étrange. Je suis un peu superstitieuse et j’ai peur que ça disparaisse si j’exprime que je suis bien là. J’ai peur que nous perdions cette manière hyper naturelle que nous avons de fonctionner. Il y a quelque chose d’assez instinctif dans cette manière de collaborer, de correspondre. Nous avons une manière similaire de voir le cinéma, le travail, le quotidien.
J.M : Le long, c’est le prolongement de notre travail, mais avec tout en plus fort et avec plus d’implication. J’ai l’impression que c’était absolument nécessaire que nous nous connaissions et que nous ayons déjà fait des films avant, pour sentir nos zones de travail et de complémentarité. Nous avons créé ensemble un binôme fonctionnel, nous savons exactement comment nous sommes, à quel endroit nous réagissons et comment œuvrer ensemble. Cela affine quelque chose de notre manière de pouvoir penser les films par la suite et de les fabriquer.
Pour ce film, vous avez travaillé avec Laurent Sénéchal. Quelle était votre perception du montage avant de le rencontrer ?
P.S : Je ne me rendais pas compte à quel point le montage et la postproduction pouvaient être aussi importants dans un film. Les courts-métrages, on ne les a pas vécus comme ça. Giacomo [Abbruzzese], a monté lui-même Disco Boy, c’était différent. Il y a eu une façon de brûler ce qui existe et de fabriquer quelque chose de nouveau, encore plus de la partie scénario à la partie tournage. Et dans cette équation, on a eu un formidable associé, Laurent Sénéchal, qui est resté avec nous 22 ou 23 semaines, très longtemps.
Laurent Sénéchal : On a démarré un peu pendant le tournage parce que Jonathan a eu cette bonne idée de vouloir un retour ; donc on s’appelait régulièrement le weekend. J’essayais de lui donner mes sensations à froid et c’était assez utile. Ça a mis du temps parce que tout simplement, le montage peut être très long quand on est exigeant et c’est le cas de Jonathan et de Pauline.
P.S : La partie montage et postproduction a été capitale sur ce film, cʼest une énorme partie du film.
L.S : En montage, vous avez initié quelque chose dans lequel je me suis retrouvé, le fait de beaucoup montrer. Tous les réalisateurs ne sont pas capables de ça, mais Pauline et Jonathan m’ont proposé de montrer le film une fois par semaine à partir d’un moment pour beaucoup l’éprouver, pour sentir comment la salle réagit, pour ne pas être dans de fausses certitudes pendant très longtemps. Cette façon de faire est très forte. En arrivant vers la fin, on a une espèce de connaissance du film, parce qu’on a essayé énormément de choses. C’est un film où les informations arrivent au compte-gouttes donc la manière dont le spectateur va apprécier ou non ce qu’on lui propose de conjecturer. Le film se passe dans la tête du spectateur, c’est ce qu’il y a de plus précieux. Et ce film a été très difficile à faire. Cette méthode que vous avez proposée était très intéressante parce que ça nous a permis d’être dans l’artisanat mais en connaissance de cause, avec des retours de la salle, d’expérience de cinéma.
Tu as monté Anatomie dʼune chute, quelle différence as-tu pu vivre ?
L.S : En termes de temps, le montage a pris 38 semaines pour Anatomie dʼune chute ; mais le film était encore plus long. Justine est tout aussi exigeante que Jonathan et Pauline. Mais c’est aussi son quatrième film donc elle a réussi à imposer une durée où elle était sûre d’avoir tout exploré. Pour Les Fantômes, on est sorti nous aussi de la salle de montage avec la sensation d’avoir tout exploré.
J.M : La différence avec nous cʼest que cʼest un film avec très peu de rushes.
L.S : On sentait régulièrement qu’on avait une seule option dans les 5-6 prises qu’on faisait. Il y avait une espèce dʼéconomie. Il y a eu quelque chose de raisonnable par rapport au nombre de prises, un principe de réalité sʼest imposé au tournage. Mais on a quand même eu le loisir, au montage, d’être dans lʼexigence, dans la précision, et ça cʼest un vrai courage de production de miser là-dessus, parce que ça représente des coûts. Mais le film nʼaurait pas du tout été pareil sans ce temps de réflexion et de maturation.
P.S : On se donne cette possibilité tous ensemble, c’est une affaire d’intelligence de travail.
Pourquoi vous avez pensé à lui ?
P.S : Qui ne pense pas à Laurent ?
J.M : Laurent a lu le scénario dans un cadre non-professionnel. Il était intervenant aux Ateliers dʼAngers. Cʼétait lʼun des endroits où on a pu penser la façon de le fabriquer après. On ne sʼest pas rencontré sur une proposition de montage pour Laurent mais sur ses retours sur le projet.
L.S : J’ai trouvé que le projet sortait du lot pour son ambition. J’avais plein de questions, de réserves. J’avais été assez direct et j’étais plein de doutes. Et Jonathan a eu l’intelligence d’aller vers quelqu’un qui soulève des doutes. C’est un premier film mais il y a déjà beaucoup de maturité parce qu’il n’a pas peur qu’on vienne le bousculer dans des endroits d’auteur. C’est très agréable quand tu es collaborateur. Jʼétais par exemple attaché à l’idée qu’un personnage qui a subi autant de traumas soit pris par de la noirceur. On est resté dans une trame de rédemption, il y a de la lumière pour ce personnage mais la manière, le chemin par lequel on y arrive, n’est pas simple. Jonathan tenait à ce que le personnage aille vers la lumière mais on n’est pas non plus dans un film réparateur. J’ai tenu à le dire dès le début aux ateliers d’Angers. Je trouvais qu’il y avait deux écueils : je trouvais que c’était un film un peu « dossier », « Courrier international » parce qu’édifiant et pansement. Je pense qu’on a vraiment évité ça.
P.S : Laurent était déjà sur les listes…
J.M : On fait des listes pour tout ! Mais quand on lʼa rencontré, je me suis dit quʼil était tellement pointilleux dans ses retours que ça devait forcément être lui le monteur du film.
L.S : Jʼadore les récits et rentrer dans les détails. Je trouve que les auteurs qui savent que le moment du montage permet dʼaller très loin sont les plus malins. Si on ne se pose pas toutes les questions, après on sort le film mais des choses peuvent apparaitre trop tard. Moi jʼaime bien quand on secoue les films dans tous les sens au montage pour être à peu prêt sûr quʼon a tout fait et de notre mieux pour raconter lʼhistoire.
J.M : Il était piquant dans ses retours, cʼétait un moment où le scénario était écrit dʼune certaine manière où tout le monde nous faisait des retours élogieux. Pauline et moi, on était les seuls à se dire quʼil y avait encore du travail et que ce nʼétait pas du cinéma mais de la littérature. Mais nous, on savait quʼon allait repartir à zéro en commençant à tourner.
P.S : Ce qui te tire vers le haut, cʼest ceux qui te critiquent et qui sont constructifs. La complaisance cʼest ce quʼon doit éviter tout le temps. Il y en a beaucoup dans ce métier mais ça ne sert à rien. Le film avait besoin de collaborateurs dans le travail, dans la remise en question, même sur des choses stables.
L.S : Il est possible d’être piquant seulement quand il y a de la force et de la bienveillance en face. Je ne pense jamais avoir été piquant pour un plaisir pervers. C’est parce que je pense que le film est intéressant et c’est gonflé de sortir un premier film avec un sujet comme ça sans être dans les facilités. On fait énormément participer le spectateur mais quand on fait ça, il faut aussi le rétribuer et cet équilibre-là nécessite d’être attentif. On demande mais il faut donner. C’est être bienveillant. Il y a des gens qui n’ont pas le courage et c’est une grande force pour un jeune réalisateur.
J’ai découvert l’ADN du film en cours de route, je pensais l’avoir compris et j’ai fini par découvrir après le premier montage que je n’en avais compris qu’une partie. Jonathan m’a expliqué ses intentions et je ne les voyais pas bien parce que précisément elles étaient sonores. C’est un réalisateur qui s’intéresse au son et à la manière dont le son peut amener une autre lecture des images. Il conduit beaucoup par le son ce qu’il demande au spectateur. Son travail est stimulé par le son et ça n’apparaissait pas beaucoup dans le premier montage. L’image a quelque chose d’assez réaliste, respectueux du réel, avec une vision d’être humble du quotidien d’Hamid et c’est par le son qu’on est allé chercher toute l’intériorité, de l’ordre du trauma, de la sensorialité. Je n’avais pas mesuré à quel point ça allait être comme ça. C’est là qu’on a commencé un nouveau laboratoire.
Ce mercredi 25 septembre 2024, les Comités Court Métrage de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma se sont réunis pour établir les 3 sélections officielles des César 2024, en animation, documentaire et fiction. Voici les 48 films en lice aux prochains César.
Bon à savoir : comme chaque année, Format Court organisera 4 After Short (soirées de Q&A en présence des équipes) en lien avec ces sélections, en partenariat avec l’ESRA.
Courts-métrages en lice pour le César 2025 du meilleur court-métrage d’animation
BEURK ! réalisé par Loïc Espuche PAPILLON réalisé par Florence Miailhe GIGI réalisé par Cynthia Calvi LA PERRA réalisé par Carla Melo Gampert KAMINHU réalisé par Marie Vieillevie PLUS DOUCE EST LA NUIT réalisé par Fabienne Wagenaar MARGARETHE 89 réalisé par Lucas Malbrun PORTRAIT DE FAMILLE réalisé par Lea Vidaković MAURICE’S BAR réalisé par Tom Prezman et Tzor Edery SOLEIL GRIS réalisé par Camille Monnier MISÉRABLE MIRACLE réalisé par Ryo Orikasa LA VOIX DES SIRÈNES réalisé par Gianluigi Toccafondo
Courts-métrages en lice pour le César 2025 du meilleur court-métrage documentaire
AUCUN HOMME N’EST NÉ POUR ÊTRE PIÉTINÉ réalisé par Narimane Baba Aïssa et Lucas Roxo PETIT SPARTACUS réalisé par Sara Ganem BOOLEAN VIVARIUM réalisé par Nicolas Bailleul LA RENAISSANCE réalisé par Nader S. Ayache LE CŒUR AILLEURS réalisé par Laura Tuillier RETOUR À MAMANVILLE réalisé par Stéphane Rizzi LES FIANCÉES DU SUD réalisé par Elena López Riera THE OASIS I DESERVE réalisé par Inès Sieulle MEMORIES OF AN UNBORN SUN réalisé par Marcel Mrejen TORNADES réalisé par Annabelle Amoros NAFURA réalisé par Paul Heintz UN CŒUR PERDU ET AUTRES RÊVES DE BEYROUTH réalisé par Maya Abdul-Malak
Courts-métrages en lice pour le César 2025 du meilleur court-métrage de fiction
A SHORT TRIP réalisé par Erenik Beqiri LES MARQUISES réalisé par Adrien Selbert L’ANNIVERSAIRE D’ENRICO réalisé par Francesco Sossai MÉMOIRES DU BOIS réalisé par Théo Vincent ANUSHAN réalisé par Vibirson Gnanatheepan MONTSOURIS réalisé par Guil Sela APRÈS L’AURORE réalisé par Yohann Kouam LES MYSTÉRIEUSES AVENTURES DE CLAUDE CONSEIL réalisé par Marie-Lola Terver et Paul Jousselin BOUCAN réalisé par Salomé Da Souza NA MAREI réalisé par Léa-Jade CE QUI APPARTIENT À CÉSAR réalisé par Violette Gitton PERDRE LÉNA réalisé par Mathilde Profit CULTES réalisé par David Padilla PLEURE PAS GABRIELréalisé par Mathilde Chavanne L’ENVOÛTEMENT réalisé par Nicolas Giuliani QUEEN SIZE réalisé par Avril Besson ET SI LE SOLEIL PLONGEAIT DANS L’OCÉAN DES NUES réalisé par Wissam Charaf RESET réalisé par Souliman Schelfout GRAND LITTORAL réalisé par Augustin Bonnet RIEN D’IMPORTANT réalisé par François Robic LES LIENS DU SANG réalisé par Hakim Atoui THE MAN WHO COULD NOT REMAIN SILENTréalisé par Nebojša Slijepčević MALGRÉ LA NUIT réalisé par Guillermo García López UNE ORANGE DE JAFFA réalisé par Mohammed Almughanni
C’est la fin de l’été et déjà les premières lueurs de l’automne apparaissent. En ce temps de rentrée, que de mieux que de se remémorer quelques instants estivaux ? Et ainsi, se replonger dans le fameux festival suisse italien de Locarno qui a eu lieu en août. Une rencontre éclectique avec notamment une vaste proposition de courts métrages, mis à l’honneur cet été avec trois compétitions au sein de la catégorie « Pardi di Domani ». Nous y retrouvons une compétition internationale, une nationale et une nommée « Concorso Corti d’Autore » qui regroupe les courts métrages de réalisateur.ice.s établi.e.s.
C’est à cette dernière que nous prêterons attention. « Pardi di Domani » promet « un territoire pour l’expérimentation et les formes innovantes de poésie ». Un pari tenu, puisque parmi les dix œuvres des Corti d’Autore, nous pouvons apprécier un kaléidoscope de visions cinématographiques. Des propositions touchantes, des regards émergents et un goût prononcé pour raconter les histoires. Dix courts métrages qui questionnent notre part d’humanité, de belles visions poétiques qui remettent en question les structures normées et conventionnellement acceptées.
Ces réalisateur.ice.s ont à cœur de nous conter des histoires. Dans The Masked Monster, court métrage coréen, le réalisateur Syeyoung Park nous dévoile un conte horrifique en noir et blanc. Cette fulgurante apparition ou plutôt émanation de nos peurs irrationnelles est telle que nous suivons avec effroi les aventures d’une sœur et d’un frère tourmenté.e.s par les vices les plus cruels de nos existences à l’image de la peur et de la violence. Perdue dans une forêt, la sœur est à la recherche de son frère qu’elle a abandonné en échange d’un sac de riz. Inquiète de sa sûreté, elle essaie de le retrouver au plus profond des bois, prête à marchander avec un corbeau sournois, guide métaphorique d’un destin fatidique. Dans la forêt, se cache aussi une créature masquée. Anonyme, elle est le visage de nos inquiétudes les plus primaires. Tour à tour, c’est contre elle que se débattent nos deux protagonistes, aveuglé.e.s par la peur, occultant les intentions inoffensives du monstre. Car, il n’est de monstre que le nom, le mal que celle-ci représente n’est qu’illusoire puisque rien ne prouve son agressivité. Ainsi, la sœur l’attaque une première fois et prend alors sa place, devenant dorénavant la créature. Sous les traits du monstre orné d’un masque et dans l’incapacité de parler, elle continue de poursuivre son frère, qui finit par l’abattre retranché dans son instinct de survie. Finalement, ces deux êtres voués à se retrouver seront réduits à se confronter dans la violence, sous le regard mesquin du corbeau. Ce conte se rapproche de la fable, miroir de nos peurs, de la crainte de l’inconnu et de la violence réactionnaire. Accompagné d’un univers sonore strident, composé de cris et de percussions, ce film atypique et brutalement beau s’est vu décerné une Mention spéciale au festival.
La violence est aussi au cœur du film français de Caroline Poggi et Jonathan Vinel : La fille qui explose, qui a obtenu une nomination aux European Film Awards en tant que candidat de Locarno. Dans un univers numérique, une jeune femme nous raconte qu’elle ne cesse d’exploser. Son avatar éclate et laisse place à un corps reconstitué de bout en bout et à un visage défiguré. Le film suit la narration de ce personnage qui nous parle de sa relation avec une personne qui ne lui parle plus, de sa solitude et de ses interrogations. Son histoire est celle d’une angoisse, une angoisse générationnelle face à un monde de plus en plus en proie aux atrocités, et d’une question : « Elles vont où toutes ces horreurs ? ». Que devient toute celle violence qui nous entoure ? La fille qui explose y répond : elle est partout. Elle ricoche sur tout ce qui existe, s’infiltre dans nos vies, dans nos corps, dans nos vêtements. C’est esthétiquement choquant, cru, gore et perturbant. On s’interroge alors : est-ce que montrer des horreurs, dénonce l’horreur ? Cela prend sens dans le film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel et fonctionne. Une dystopie inquiétante dans un univers de jeu vidéo et un personnage tourmenté par des troubles existentialistes. Finalement, cette histoire est celle d’une personne à bout, à force d’exploser littéralement, elle finit par chercher à détonner pour de bon et mettre fin à son clavaire. Le film devient ainsi une lettre d’adieu, à l’image de nos tourments. C’est une mise en scène déstabilisante pour un court métrage renversant.
Face à cette violence existe pourtant une lueur d’espoir. Un sentiment qui se manifeste par la tendresse avec laquelle ces réalisateur.ice.s écrivent leurs histoires. Le grand lauréat de cette compétition, un film produit par la Palestine, la France et l’Italie, réalisé par Maha Haj et intitulé Upshot (récompensé du Pardino d’Or) en est l’exemple. C’est avec un regard tendre que la réalisatrice nous dévoile une œuvre bercée par une douceur amer. Dans l’insouciance des discussions d’un couple à la campagne, dans un futur lointain, quelque part, se trame les tourments d’une actualité déchirante. Il et elle sont ancré.e.s dans une routine casanière au maintien de la ferme. Une série de repas se joue devant nous, l’occasion d’évoquer les aléas du quotidien de leurs enfants. Leurs aspirations, l’avenir qu’iels espèrent pour eux, la santé des petits-enfants, des dialogues qui font sourire tant par l’affection qu’ils témoignent que par leur banalité. Cette tranquillité tangible se craquelle à l’apparition d’un journaliste devant leur propriété. En demandant une interview à ce couple reclus de la société, des interrogations surviennent. La réalité rattrape l’insouciance des scènes précédentes. Le journaliste nous révèle qu’iels sont des survivants des bombardements à Gaza et qu’il souhaite recueillir leur témoignage sur leur famille marquée par le drame. C’est le deuil que peint Maha Haj dans son film. La perte et un rappel flagrant des horreurs ignorées. Leurs enfants ne sont que les mirages d’une réalité fantôme, marquée par les espoirs qu’iels auraient voulu pour elleux qui ne sont plus. Vivre au travers de ces souvenirs inventés est une manière de faire face au drame, car comment résister devant l’atrocité de ce qui est advenu et qui continue de se perpétuer sous nos yeux à l’heure actuelle ? C’est avec la plus grande empathie que la réalisatrice aborde le sujet. Ses personnages sont emplis de tendresse. L’absurdité n’est pas celle de leur illusion mais bien celle d’une réalité trop brutale. Le film nous confronte à ce qui ne peut être ignoré, à ce qui est en train d’arriver à des milliers de personnes en ce moment même. Ce Léopard d’or récompense la maîtrise de cette cinéaste et rappelle que l’art est politique, il est vecteur d’une parole, d’une voix qui s’élève pour témoigner de notre monde. Si il est porteur d’espoir, il est aussi une marque dans notre histoire. Et c’est pour cela qu’Upshot émeut autant qu’il est nécessaire.
Les Corti d’Autore sont innovants, inspirants et exigeants. Ces trois courts métrages bouleversants sont un aperçu des dix films qui composent cette compétition animée par un désir cinématographique fort. Les réalisateur.ice.s de cette programmation ont démontré leur talent pour écrire un récit ou expérimenter les formes visuelles. Ces courts métrages suscitent la curiosité, ils sont piquants et touchants, leurs regards témoignent d’une d’envie insatiable de cinéma.
Synopsis : Dans un camp du Service National Malaisien, une étudiante chinoise est ordonnée par l’enseignante pour diriger ses camarades multiraciales pour laver les coussinets sanitaires tachés au milieu de la nuit.
Genre : Fiction
Durée : 23’
Pays : Malaisie, Irlande
Année : 2024
Réalisation : Mickey Lai
Scénario : Mickey Lai
Image : Kah Giap Lee
Montage : Kai Yun Wong
Son : Loi Hooi Yeo
Production : Ninjia Production, Janji Pictures
Interprétation : Li Xuan Siow, Esha Anum, Kaana Selvam, Farah Ahmad
Dans le camp du Service National Malaisien, un groupe de jeunes filles est réveillé en pleine nuit par leur superviseure, car elles doivent aller nettoyer les toilettes et laver leurs serviettes hygiéniques déjà usagées et jetées. Voici le sujet de WAShhh, nouveau film de la jeune réalisatrice malaisienne Mickey Lai, lauréat du Pardino d’Oro pour le meilleur court-métrage international à Locarno.
Dans la culture musulmane malaisienne, il est courant pour les femmes de laver leurs serviettes hygiéniques avant de les jeter à la poubelle. Les locaux croient que cette habitude est non seulement plus hygiénique, mais qu’elle éloigne aussi les démons attirés par le sang.
Cette pratique peut sembler étrange aux spectateurs occidentaux, et elle est certainement désagréable pour les jeunes filles du camp. Alors que Hui, la chef de groupe chinoise, remet en question cette action, on se demande si sa plainte principale concerne l’acte lui-même ou le manque de respect avec lequel ces adolescentes sont traitées par leur enseignante. Les menaces de possession par les démons se nourrissant du sang sont renforcées par l’évanouissement d’une des filles, qui pourrait aussi être simplement attribué à l’épuisement ou au dégoût.
Cependant, l’aspect véritablement captivant du film réside dans la relation entre ces filles multiraciales et multilingues. Le Programme de Formation du Service National Malaisien a été créé en 2003 et a existé jusqu’en 2018, dans le but de promouvoir l’amitié entre des jeunes issus des nombreux groupes ethniques et culturels du pays. Sa durée était de trois mois. La réalisatrice elle-même a participé à ce camp durant son adolescence et son souvenir principal en est la diversité parmi ses camarades. Le spectateur en fait l’expérience, non seulement en voyant tous ces phénotypes différents, mais aussi en les entendant communiquer dans diverses langues, une vision véritablement magnifique qui explore les multiples facettes de la Malaisie.
L’union et la diversité sont les thèmes essentiels de WAShhh. Malgré quelques conflits internes, il est clair que ces adolescentes restent soudées à travers une situation pénible, alors qu’elles pleurent et s’évanouissent en nettoyant intensément une salle de bain commune. Fait intéressant, ces filles sont unies par une représentation absolue de la féminité : le sang menstruel. Tout comme le premier cycle menstruel marque la transition entre la fille et la femme, le camp du Service National est aussi un protocole obligatoire pour les jeunes de 18 ans. Ces filles font face à des rituels de croissance entrelacés en entrant dans l’âge adulte et en nouant des relations avec leurs pairs issus de différents milieux culturels, enrichissant ainsi leurs esprits et leurs capacités sociales.
Le choix du noir et blanc dans le film ne le rend pas seulement plus évocateur du passé, il crée également des visuels percutants pour le sang. Lorsque Hui verse l’eau du seau contenant les serviettes, elle semble presque noire, faisant allusion à la saleté et au dégoût que l’enseignante mentionne constamment. La couleur du liquide pousse le spectateur à presque détacher son action du sang lui-même, et à se concentrer sur l’inconfort que le personnage ressent.
L’espace habité par ces filles est capturé par la caméra à travers de nombreux plans larges, panoramiques et travellings entourant les personnages. De façon militaire, la structure, loin d’être accueillante, est définie par des objets rigides et répétitifs, se multipliant en rangées : des filles raides se présentant pour le service, des petits lits avec des draps plats, des éviers sans aucun produit personnel, comme si personne ne les utilisait régulièrement. Ces rangées illustrent un univers marqué par l’austérité et la discipline.
Regarder l’inconfort des personnages en écoutant les sons du ménage, de l’eau qui coule, et entendre les cris de l’enseignant, fatigue le spectateur. Ces bruits deviennent accablants et chaotiques, ils provoquent une sonorité hyper stimulante qui ajoute au stress de la situation et à l’inconfort vu à l’image.
WAShhh de Mickey Lai réussit à capturer un instant de vie peu documenté, révélant à la fois la richesse et la complexité des traditions culturelles et des interactions humaines. À travers une situation inhabituelle pour les yeux occidentaux, le film explore des thèmes universels tels que la féminité et la solidarité avec une mise en scène sobre, qui nous immerge dans l’univers des personnages. La réalisatrice propose un regard unique sur la transition vers l’âge adulte et la richesse des différences culturelles en Malaisie, tout en offrant un commentaire subtil sur les défis de la croissance.
Sans être habitué à accueillir des festivals au thème précis explorant le fantastique et l’horreur, c’est pourtant bien au cœur de la capitale que nos regards se portent. L’Étrange Festival revient ainsi pour sa 30e édition, qui se déroule jusqu’au 15 septembre au Forum des images. Un retour marqué par une programmation qui se présente comme un trésor pour tout cinéphile ou cinéphage en quête d’inédit, de visions d’auteur jouant avec les règles de plusieurs genres.
Cette édition met au centre de son dispositif une pluralité de sélections et de films qui ne peut que nous enchanter. De l’inédit à la rétrospective, de la fiction au documentaire, de l’émergence de nouveaux auteurs (comme Ryan J. Sloan avec Gazer) à la confirmation de certains talents, tels que Fabrice du Welz, nous ne pouvons qu’être impatients de découvrir, et pour certains de redécouvrir, des œuvres uniques.
Nos yeux seront évidemment rivés cette année sur la sélection internationale variée de courts métrages, allant de la comédie musicale macabre aux œuvres expérimentales sur la famille. Nous suivrons également de près les différentes cartes blanches offertes par des personnalités ayant officié dans le domaine du fantastique et de l’horreur, comme Alexis Langlois (dont nous avons déjà évoqué le prochain long-métrage, Les Reines du drame) et Coralie Fargeat, deux réalisateurs qui nous avaient tous deux enchantés lors du dernier Festival de Cannes.
En laissant la parole à ces nouveaux auteurs, le festival cherche à nous faire découvrir des pulsions insoupçonnées et à nous éveiller à la différence. C’est dans cette célébration de la diversité que cette édition rend hommage au producteur Roger Corman, roi de la série B à petit budget et qui réussit à faire émerger de grands auteurs et acteurs dans les années 60-70 comme Jack Nicholson ou encore Martin Scorsese.
Du court au long une fois de plus, l’Etrange Festival sera couvert par Format Court qui vous livrera ses coups de cœur dans les prochains jours.
Merci pour vos participations : l’appel à films est clos depuis ce 30 novembre 2024, minuit !!!
Plus de 900 films ont finalement été soumis à notre appel à films. Merci à tous et à toutes pour vos candidatures. Le comité de sélection a du boulot !
En 2022 et 2023, nous avions reçu autour de 500 films pour notre festival. Depuis l’an passé, un peu plus de 900 films nous sont soumis. On sent un engouement pour le Festival Format Court et on en est ravi !
⏰ L’annonce de la sélection officielle sera consultable sur le site de Format Court, relayée par ses différents réseaux sociaux, et communiquée aux réalisateur.ices ou producteur.ices par e-mail avant le 1er février 2025. Rendez-vous en salles, pour notre 6ème édition, début avril 2025, au Studio des Ursulines !
Chères toutes, chers tous,
Chères toutes, chers tous,
L’appel à films de la 6ème édition du Festival Format Court est ouvert depuis le 4 septembre 2024. Il se clôturera le mercredi 20 novembre 2024 à 23h. L’an passé, nous avons reçu plus de 900 films. 19 d’entre eux ont été retenus par le comité de sélection. Pas moins de 8 prix dotés (Grand Prix, Prix du scénario, Prix de l’image, Prix de la création sonore, Prix d’interprétation, Prix de la critique, Prix du jury étudiant, Prix du public) ont été attribués par nos troisjurys (professionnel, presse, étudiant) ainsi que par le public !
Vous avez réalisé ou produit un court-métrage (hors film d’école) de fiction, d’animation, documentaire ou expérimental d’une durée de 30 minutes maximum, en prises de vues réelles ou animées, produit après le 1er janvier 2023 ?
Vous avez jusqu’au mercredi 20 novembre 2024 à 23h pour postuler à notre compétition pour la 6ème édition de notre festival. Celui-ci se tiendra du jeudi 3 au dimanche 6 avril 2025, au Studio des Ursulines (Paris, 5e).
Short Screens, une association très active en matière de diffusion de courts-métrages à Bruxelles, organise son 15ème anniversaire cette semaine via un festival (Shorts d’été) de 3 jours et 4 séances au cinéma Aventure. Cela se passera du jeudi 29 au samedi 31 août : une trentaine de courts métrages et de nombreux invités seront mis à l’honneur.
Short Screens #132 : Sound & Cinéma, jeudi 29 août – 19:00
La thématique « son et cinéma » sera abordée avec des courts métrages de fiction, d’animation, expérimentaux et documentaires qui donnera la paroles aux bruiteurs, preneurs de son, musiciens, voix off, et le tout grand David Lynch qui parlera de l’importance du sonore dans son cinéma. Avec le réalisateur Basile Vuillemin qui viendra partager toute son expérience et sa passion pour le montage son, après la diffusion de son film, Les Silencieux (Magritte du Meilleur Court Métrage de fiction 2024)
Short Screens # 133 : Films d’écoles de cinéma belges, vendredi 30 août – 19:00
Pour célébrer ses 15 ans de l’association, la thématique de la toute première séance Short Screens en 2009 sera mise à l’honneur avec des films d’écoles de cinéma belges et des cinéastes de demain. En présence de plusieurs équipes de films.
Short Screens # 134 : Best of 15 ans de Short Screens, vendredi 30 août – 21:30
Des courts métrages coups de poing, de l’émotion, des films engagés, du rire, des fictions, du documentaire, des films expérimentaux, de l’animation, des films d’hier et d’aujourd’hui, de Belgique et d’ailleurs, reflétant un condensé des 15 ans de Short Screens. Suivi d’une soirée festive autour du bar du Cinéma Aventure !
Short Screens # 135 : Séance kids, samedi 31 août – 15:00 * Séance jeune public *
Près de 80 minutes de courts métrages autour de la nature et du vivre ensemble, pour petits et grands, afin de clôturer en beauté cette nouvelle édition des Shorts d’été.
L’adaptation, par Pablo Berger, du roman graphique de Sara Varon Rêves de Robot (Dargaud, 2009) sort en DVD et Blu-Ray chez Wild Side. L’occasion de (re)voir le film et de découvrir, grâce à de nombreux bonus, une partie des secrets de sa fabrication. Mon Ami Robot avait obtenu le Grand Prix Contrechamp à Annecy les prix du Meilleur scénario et Meilleur film d’animation aux Goya 2024.
Dog s’ennuie. Un peu trop timide pour se faire des ami.es, il se sent seul et aimerait se socialiser un peu plus. Il décide alors d’acheter un robot, qui lui arrive par la poste, à la manière d’un jouet commandé sur catalogue. L’étincelle est immédiate et Dog et Robot deviennent inséparables. Jusqu’à ce qu’une sortie à la plage ait raison de la motricité du robot, abimé par le sable. Dog a bien tenté de l’en sortir, mais sans succès. Les mois passent et Robot reste, seul, échoué sur la plage, le métal de son corps de plus en plus rongé par les éléments. Qu’arrivera-t-il de lui et de sa relation avec Dog ? Plus que l’aventure de cette amitié, c’est celle des rêves de ce Robot, qui n’a plus que l’imagination pour s’évader, que nous conte le roman graphique de Sara Varon.
C’est cette trame minimale que le réalisateur Pablo Berger (Blancanieves) a entrepris d’adapter au cinéma pour son premier film d’animation. Il a pour cela conservé le dessin faussement naïf du livre tout en l’extrayant de son indétermination : les murs nus de Sara Varon se recouvrent de briques new-yorkaises chez Pablo Berger, des gratte-ciels apparaissent au loin et de la musique des années 1980 accompagne désormais les rêveries et péripéties imaginaires de Robot.
Plus que l’histoire elle-même, c’est cette résurrection du New-York des années 1980 qui fait l’intérêt du film. La précision des décors y est pour beaucoup, qui laisse entrevoir un espace clair et défini, sans le réduire aux poncifs sur la ville américaine. De même, les différentes occupations auxquelles rêve Robot reproduisent de façon convaincante cette fin de siècle et participent d’une atmosphère un rien nostalgique, comme si les amitiés du chien et du robot étaient avant tout le prétexte à l’évocation d’un monde pas si ancien, mais déjà disparu. De nombreuses références cinématographiques, souvent issues de films de patrimoine, participent de cette nostalgie.
Outre la justesse du dessin, la bande son vaut le détour : si la musique, on l’aura compris, nous accompagne dans ce New-York passé et fantasmé, les personnages communiquent sans parole. Et c’est là une autre grande réussite du film : rendre éloquents ces personnages muets. Pablo Berger et ses animateur.rices ont pour cela créé une grammaire des gestes et des attitudes qui remplace avec bonheur le langage articulé.
Le DVD/Blu Ray propose un long bonus permettant d’accéder aux coulisses de la création. Le réalisateur, mais surtout ses collaborateurs et collaboratrices expliquent comment iels ont créé l’image et la bande son du film, comment iels sont passé.es de prises de vue réelles à l’animation. Les explications sur la restitution d’un New-York révolu, notamment, sont passionnantes, nous permettant d’articuler la bande son au décor et de découvrir que le réalisateur y a lui-même vécu dans les années 1980, ce qui explique sans doute la teinte nostalgique du film. Le passage sur la répartition du dessin et de l’animation entre les équipes vouées aux personnages, celles dédiées au décor et les dernières, qui s’occupent de la couleur, nous fait (re)voir le film d’un autre œil. In fine, le film et les incursions dans les secrets de sa fabrication se complètent avec bonheur et sont susceptibles d’intéresser autant les parents que leurs enfants.
Raphaël (Raphaël Thiéry) vit dans le château isolé d’un petit village, seul avec sa mère (Mireille Pitot). Avec un seul œil et une apparence rustique, cet homme, gardien de propriété, apparaît comme une espèce d’ogre au bon cœur. Il est grand et fort, très à l’aise pour les travaux manuels. Malgré son apparence, Raphaël est un géant gentil, dont la sensibilité s’exprime à travers la musique, tout seul le soir, avec sa cornemuse.
La délicatesse de Raphaël n’a pas de place dans son entourage : sa copine, la factrice locale (Marie-Christine Orry), fantasme qu’il l’attaque violemment. Le leader de son groupe musical ne lui permet pas de jouer sa chanson mélancolique, en faveur de morceaux plus joyeux. Sa mère semble le voir plus comme un assistant qu’un fils aimé. Raphaël s’habitue à ce manque d’affect, jusqu’au jour où Garance (Emmanuelle Devos) débarque dans le château.
Héritière de la propriété, cette artiste visuelle renommée fascine le gardien dès son arrivée. L’intérêt est discret, mais mutuel. Il devient très vite sa muse, elle reproduit son corps et son visage dans plusieurs travaux, mais surtout dans une sculpture d’argile, qui deviendra son chef d’œuvre. À l’image, on retrouve un plaisir physique, sensuel, de Garance quand elle touche sa sculpture, qui porte des brusques marques de ses doigts. L’artiste laisse ses éternelles impressions sur son travail, tel que fera cette femme chez Raphael.
Une relation complexe et un peu platonique se noue entre eux. Garance semble être la seule personne qui voit de la beauté en cet homme, dans son corps, dans sa musique. Le regard qu’elle pose sur lui change la façon dont il se perçoit lui-même. Le gardien qui vivait sous l’ombre de la complète discrétion et de la négligence envers lui-même se sent plus confiant, il développe une nouvelle préoccupation esthétique, il apprend à s’imposer.
Les sentiments ressortant de cette relation artiste-muse sont quand même bloqués par une barrière : la hiérarchie sociale.À la fois source d’inspiration et serviteur, Raphael tombe amoureux de cette femme intrigante et mysterieuse, si différente de toutes. En certains moments, tendre et amicale, en d’autres, distante et directive, elle n’oublie pas son statut de patronne, contrairement à lui.
L’une des plus grandes forces du film est sa beauté esthétique. La thématique de l’art se manifeste dans l’image elle-même. Les scènes extérieures ressemblent à des Renoir, à des Singer Sargent, aux intérieurs de Degas. L’homme d’argile contient pour le coup et réveille une vraie passion pour les arts visuels.
L’un des moments les plus réussis de la belle mise en scène d’Anaïs Tellenne est aussi l’une des séquences les plus intimes du film. Raphaël, libéré et pris par un courage soudain, décide de poser nu pour Garance. Sa vulnérabilité est palpable. L’ensemble des éléments du décor, complémentés d’une lumière baroque, forment une image à l’Artemisia.
Dans le DVD édité par Blaq Out le 16 juillet, il est possible de mieux saisir cette belle réinterprétation du mythe du Pygmée, avec des séquences bonus commentées par la réalisatrice, ce qui nous permet d’en savoir plus sur le scénario original et sur les éléments de la narration sur lesquels elle a voulu vraiment se concentrer pour son premier film.
Toujours dans les bonus, nous trouvons le court-métrage Le Mal Bleu, d’Anaïs Tellenne et Zoran Boukherma, qui marque la première collaboration de la réalisatrice avec l’acteur Raphaël Thiery, et qui montre déjà le goût de la cinéaste pour les histoires d’amour non traditionnelles.
La musique, élément essentiel et présent tout au long du film, est aussi mise en avant dans les suppléments. Il est possible de découvrir l’enregistrement de la chanson thème du film, une composition originale d’Amaury Chabauty, par l’Orchestre Symphonique de Budapest.
Anäis Tellenne a su capter la beauté des lieux (une maison de campagne raffinée, l’habitation accueillante de Raphaël, mais aussi la nature environnante) et la mettre au service du cinéma. Son premier long-métrage est bel et bien une démonstration d’amour pour les arts plastiques.