Jiminy de Arthur Môlard

Citation documentaire, filtre vert, musique classique. Les premiers moments du film de Arthur Môlard ressemblent à beaucoup de propositions plus ou moins adroites du cinéma de science-fiction, notamment françaises. Mais, à l’instar de « Juke-box » de Ilan Klipper et de « L’homme qui avait perdu la tête » de Fred Joyeux, deux autres films de la sélection du dernier Festival de Clermont-Ferrand, « Jiminy », propose une vision décalée de la folie face à une normalité défaillante.

Nathanaël (Benjamin Brenière), le héros du film ouvre les yeux, une voix lui parle, posant au spectateur une première question de cinéma : d’où vient donc cette voix intérieure, manifestement celle d’un homme plus âgé ?

La question de cinéma trouve une réponse de science-fiction. La voix provient d’une prothèse « futuriste mais pas tant que ça », appelée le « criquet » que l’on s’implante dans le cerveau afin d’être assisté dans la vie courante, à la manière d’un GPS. Cerise technologique sur le gâteau, la chose peut prendre le contrôle du corps pour les tâches répétitives. On voit donc le héros conduire les yeux fermés dans une scène glaçante dès le début du film.

Nathanaël, dépanneur de criquets, est appelé pour aider des parents ayant équipé leur fils autiste, Oscar (Victor Boulenger). Cas de conscience pour le héros : aidera-t-il plus le fils autiste en lui retirant son criquet, ce qu’il n’a pas le droit de faire, ou devra-t-il faire le jeu pervers des parents souhaitant un enfant idéal en réparant son criquet, ce qui est dangereux pour Oscar ?

La mise en perspective vertigineuse de la figure du dépanneur renvoie immédiatement à son rapport omnipotent vis-à-vis de l’informatique moderne, connectée, celle qui connaît tout de nos vies en temps réel et pour laquelle, parfois, il est question, sinon de vie et de mort, au moins d’un suivi précis de toute notre vie.

Une autre mise en perspective intéressante est la présentation de plusieurs malades accro à la technologie. L’idée est reprise ici mais est traditionnelle du cyberpunk (le fameux mouvement de SF moderne fondé par l’écrivain William Gibson et qui aboutira à « Matrix »).

Denis Lavant interprète justement un de ces malades les plus hauts en couleurs face à l’impressionnante Marie-Stéphane Cattaneo, jeune comédienne jouant au millimètre une figure de médecin opiniâtre.

jiminy

Le concept de transformer le corps en gadget et les pensées en informations peut sembler extrême. Aussi, la force du film de Arthur Môlard est de réussir à nous expliquer simplement et à nous convaincre franchement de l’intérêt de son astuce grâce à un grand dépouillement utilisé comme un atout et qui n’est pas sans rappeler « Bienvenue à Gattaca » d’Andrew Niccol (1997). Surtout, la grande force du film est d’insister, non sans ironie, sur les conséquences de la prolifération d’une telle technologie, à savoir les dangers de l’addiction qu’elle suscite.

L’addiction ne se fait plus via les objets dans « Jiminy », mais via les promesses de modifications de la réalité. Le film entre ainsi clairement dans la science-fiction non technologique et se rend accessible malgré son réseau de références riches. Outre la beauté de sa photo et de sa musique, le film réussit à exposer son univers singulier et sourdement violent avec suffisamment de légèreté pour renvoyer le spectateur à sa propre conscience. C’est finalement un peu le sens de l’astuce de son titre, « Jiminy », venant de « Jiminy cricket », la conscience du « Pinocchio » de Walt Disney.

Georges Coste

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