Clermont-Ferrand, aperçu labo

Retour sur la séance L4 de la compétition labo de Clermont-Ferrand où expérimentation et inventivité sont au cœur de la programmation.

Le Festival de Clermont-Ferrand a ouvert ses portes vendredi dernier à Clermont-Ferrand. Comme chaque année, ce rendez-vous incontournable du court métrage nous présente une multitude de films partagés dans plusieurs catégories dont quatre compétitions : la nationale, l’international, la labo et celle des films immersifs. Nous reviendrons dans cet article sur la labo qui propose un terrain d’expérimentation innovant. De quoi appâter la curiosité, animer le regard et surprendre l’imaginaire. Parmi 27 films répartis en 5 programmes, nous nous attarderons sur le quatrième composé de cinq films, cinq propositions uniques et variations complètement différentes allant d’une immersion intrigante dans une boîte de nuit pour phasmes et mantes religieuses, au questionnement militant de super-héros du quotidien dans un Liban tourmenté.

Qui aurait cru qu’une caméra à hauteur d’insectes dans l’espace clos d’un club sombre et lugubre pouvait être aussi captivante ? Dans Club Bunker de Marc Weis et Martin De Mattia (Allemagne), aucune parole, seulement un microcosme d’insectes dans un décor miniature. Une forme étrange d’anthropomorphisme s’opère devant nous, mais en réalité ces insectes ne sont pas comparés à des humains, ils sont des créatures confrontés à des espaces humanoïdes. Instinctivement, nous associons leurs comportements à ceux des humains, mais s’ils semblent danser, boire ou aller aux toilettes, rien ne les rend pour autant plus humains. Et c’est ce qui attire dans ce film, on ne peut être que immergé dans cette vision excessivement nette d’une errance de la nature minuscule dans un espace fictif. Cependant, un danger les menace, leur lieu d’enfermement finit par exploser telle la providence d’un retour à la nature, à la verdure de leur habitat naturel.

L’espace fictif est aussi au cœur de Lamento de Jannik Giger et Demian Wohler (Suisse). Dans un décor de sitcom, un couple ne voit pas comment s’exprimer hormis en émettant les sons de célèbres tubes de divas de la pop, tout en les reprenant de manière altérée et étrange. Le décor fictif traduit l’impossibilité de ce couple à communiquer. L’homme et la femme sont contraints à surjouer des chants pour tenter de dialoguer mais cela sonne faux. Attiré.es par la lumière, ces personnages représentent une image fissurée de nos relations, artificielles et bercées de pop culture. L’extravagance de leurs gestes, de leur voix, ne fait qu’accentuer ce propos. Alors, le spectateur est confus, perdu dans cette déambulation à travers le studio. Un spectacle des plus étranges pour un film de faux-semblants, paradoxal, un peu inquiétant et pour autant attrayant.

Le troisième film de ce programme est un documentaire à l’image d’un poème, doux et mélancolique. Réalisé par Tristan Feres et Maky Margaridis, Sol béni (Belgique) parle de football et d’amitié. Les plans tournés à Abidjan à la caméra 16 mm sont d’une beauté rare. Le cadrage et la mise en scène bercent le spectateur à travers l’histoire d’une amitié. Il s’agit de grandir, de se rapprocher et de partir. Le football est le lien qui unit les protagonistes dans cette lente rêverie. En filmant le sport, les gens, la ville, Tristan Feres et Maky Margaridis magnifient Abidjan et ses personnages. On se laisse alors transporter dans ce moment calme et intime, pour en ressortir apaisé.e et songeur.euse.s.

Aferrrado d’Esteban Azuela ou Enferré en français (Mexique) est une plongée VFX dans la chute d’un homme à Mexico. Lui qui aspire à une vie tranquille est propulsé dans la violence et le stress d’affaires peu recommandables. Mécanicien de profession, il se voit confier la mission d’aller confronter une personne qui a un contentieux avec son patron. En parallèle, il espère ne pas rater l’anniversaire de son neveu. Le conflit moral de ce personnage est la trame narrative d’une journée sans fin, mis en image par des effets visuels mouvants et expérimentaux. Dans cette virée PS2 aux images pixelisées, le monde se déforme comme la pensée de cet homme. Le film débute par une mort, la sienne puis se déroule comme un voyage intérieur depuis lequel il observe sa propre descente en enfer jusqu’à sa mort, une boucle infernale vouée à se répéter encore et encore… .

Le dernier court métrage de ce programme, intitulé Ship of fools ou La Nef des fous en français, nous parle du Liban et tout particulièrement d’un personnage hors du commun de Beyrouth. La cinéaste, Alia Haju fuit Beyrouth dans les années 90. Elle y retourne faire ses études et commence à documenter son quotidien puis le conflit libanais de 2008. Elle devient journaliste et travaille comme éditrice de photos de presse lors de la guerre en Syrie. Marquée par la violence de ces images, elle cherche refuge sur les plages de Beyrouth. Alia y rencontre Abu Samra qui s’entraîne en vue de devenir un super-héros. Elle décide de le suivre dans son entraînement tout en questionnant les espoirs de sa ville. Sa rencontre avec Abu est le début d’une amitié et d’un partage sur une façon atypique de militer. Tout en perpétuant des exercices rudes et douloureux, Abu Samra, personnage haut en couleur, est une lueur d’optimisme. Il aspire à devenir le superman libanais, il serait alors capable de vaincre le mal. Le temps défile, les révoltes de 2019 surviennent puis l’explosion du port de Beyrouth en 2020. Alia continue de documenter cela tout en poursuivant son entraînement auprès d’Abu. Ils discutent des manifestations, du mal, de la lutte, et de leurs monstres. Depuis son enfance, Alia imagine des monstres qui émanent de chacun.e de nous. Elle anime ces créatures dans son film, véhicules d’un esprit de révolte intérieure, d’émotions fortes, d’une force enfouie qui n’attend que d’être libérée. En quête d’espoir, d’un nouveau souffle, Alia trouve des réponses en présence d’Abu, et de cette belle amitié naît le courage de continuer sa lutte, de trouver sa force intérieure, et de laisser parler ses monstres.

Garance Alegria

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