Raphaël (Raphaël Thiéry) vit dans le château isolé d’un petit village, seul avec sa mère (Mireille Pitot). Avec un seul œil et une apparence rustique, cet homme, gardien de propriété, apparaît comme une espèce d’ogre au bon cœur. Il est grand et fort, très à l’aise pour les travaux manuels. Malgré son apparence, Raphaël est un géant gentil, dont la sensibilité s’exprime à travers la musique, tout seul le soir, avec sa cornemuse.
La délicatesse de Raphaël n’a pas de place dans son entourage : sa copine, la factrice locale (Marie-Christine Orry), fantasme qu’il l’attaque violemment. Le leader de son groupe musical ne lui permet pas de jouer sa chanson mélancolique, en faveur de morceaux plus joyeux. Sa mère semble le voir plus comme un assistant qu’un fils aimé. Raphaël s’habitue à ce manque d’affect, jusqu’au jour où Garance (Emmanuelle Devos) débarque dans le château.
Héritière de la propriété, cette artiste visuelle renommée fascine le gardien dès son arrivée. L’intérêt est discret, mais mutuel. Il devient très vite sa muse, elle reproduit son corps et son visage dans plusieurs travaux, mais surtout dans une sculpture d’argile, qui deviendra son chef d’œuvre. À l’image, on retrouve un plaisir physique, sensuel, de Garance quand elle touche sa sculpture, qui porte des brusques marques de ses doigts. L’artiste laisse ses éternelles impressions sur son travail, tel que fera cette femme chez Raphael.
Une relation complexe et un peu platonique se noue entre eux. Garance semble être la seule personne qui voit de la beauté en cet homme, dans son corps, dans sa musique. Le regard qu’elle pose sur lui change la façon dont il se perçoit lui-même. Le gardien qui vivait sous l’ombre de la complète discrétion et de la négligence envers lui-même se sent plus confiant, il développe une nouvelle préoccupation esthétique, il apprend à s’imposer.
Les sentiments ressortant de cette relation artiste-muse sont quand même bloqués par une barrière : la hiérarchie sociale.À la fois source d’inspiration et serviteur, Raphael tombe amoureux de cette femme intrigante et mysterieuse, si différente de toutes. En certains moments, tendre et amicale, en d’autres, distante et directive, elle n’oublie pas son statut de patronne, contrairement à lui.
L’une des plus grandes forces du film est sa beauté esthétique. La thématique de l’art se manifeste dans l’image elle-même. Les scènes extérieures ressemblent à des Renoir, à des Singer Sargent, aux intérieurs de Degas. L’homme d’argile contient pour le coup et réveille une vraie passion pour les arts visuels.
L’un des moments les plus réussis de la belle mise en scène d’Anaïs Tellenne est aussi l’une des séquences les plus intimes du film. Raphaël, libéré et pris par un courage soudain, décide de poser nu pour Garance. Sa vulnérabilité est palpable. L’ensemble des éléments du décor, complémentés d’une lumière baroque, forment une image à l’Artemisia.
Dans le DVD édité par Blaq Out le 16 juillet, il est possible de mieux saisir cette belle réinterprétation du mythe du Pygmée, avec des séquences bonus commentées par la réalisatrice, ce qui nous permet d’en savoir plus sur le scénario original et sur les éléments de la narration sur lesquels elle a voulu vraiment se concentrer pour son premier film.
Toujours dans les bonus, nous trouvons le court-métrage Le Mal Bleu, d’Anaïs Tellenne et Zoran Boukherma, qui marque la première collaboration de la réalisatrice avec l’acteur Raphaël Thiery, et qui montre déjà le goût de la cinéaste pour les histoires d’amour non traditionnelles.
La musique, élément essentiel et présent tout au long du film, est aussi mise en avant dans les suppléments. Il est possible de découvrir l’enregistrement de la chanson thème du film, une composition originale d’Amaury Chabauty, par l’Orchestre Symphonique de Budapest.
Anäis Tellenne a su capter la beauté des lieux (une maison de campagne raffinée, l’habitation accueillante de Raphaël, mais aussi la nature environnante) et la mettre au service du cinéma. Son premier long-métrage est bel et bien une démonstration d’amour pour les arts plastiques.