Découverte du côté de chez sa mère Sophie Fillières avec son rôle de fan incontrôlable dans Un chat un chat, ou encore en sœur dans La Religieuse de Guillaume Nicloux, Agathe Bonitzer était cette année sur la Croisette en tant que membre du jury du Prix de la Citoyenneté. Elle présentait également en ouverture de la Quinzaine des Cinéastes le film Ma vie, ma gueule, réalisé par sa mère, dont elle a dirigé le montage final avec son frère Adam Bonitzer. Rencontre.
Dans le film de votre mère Ma vie, ma gueule, il y a une scène bouleversante où les enfants du personnage interprété par Agnès Jaoui se replongent dans les poèmes de leur mère et essayent de réinterpréter leur sens. Était-ce ce que vous avez expérimenté durant le montage du film ?
Agathe Bonitzer : Il est vrai que dans le film, les enfants se replongent dans les cahiers en se demandant si leur mère n’est pas encore dérangée ou si c’est juste de la création. Donc oui, d’une certaine manière, c’est ce qu’on a fait avec mon frère. Après, cette quête de sens des images, nous n’avions pas à la faire parce que nous connaissions déjà le sens du film que voulait donner notre mère. Elle nous a donné des indications et nous en avons beaucoup parlé, donc il n’y avait pas cette recherche. Nous voulions juste faire advenir le film tel qu’il devait être et nous nous sommes attelés à cela, en prenant appui sur une base solide.
Est-ce que le fait d’avoir repris le montage vous a donné envie de passer derrière la caméra ?
A.B : Écoutez, non, pas tellement, je dois dire que c’était quand même beaucoup de pression. J’aime bien l’idée de faire un film et j’en ai déjà eu envie, je sais que mon frère, lui, veut passer derrière la caméra. Mais je trouve que cela demande tellement de ténacité, ne serait-ce que pour créer et partir en quête de financement. Faire des choix, que ce soit pendant le tournage ou en périphérie du projet, est quelque chose que je trouve très difficile.
Pourtant, cette notion de choix se retrouve dans votre travail d’actrice.
A.B : En tant qu’actrice, on est quand même sacrément dirigé et c’est quelque chose que j’adore : faire partie d’une vision et aller dans le sens que le réalisateur ou la réalisatrice veut que je prenne. Cependant, il y a aussi beaucoup d’inconscient quand je joue ; je suis juste mon instinct et les notes du réalisateur ou de la réalisatrice.
Vous êtes ici en tant que membre du jury du Prix de la Citoyenneté, qui récompense un film de la sélection officielle représentant des valeurs humanistes (attribué finalement à Bird de Andrea Arnold, NDLR). Dans le contexte du festival, quelle est pour vous l’importance de ce prix ?
A.B : Il a une grande importance. C’est un prix récent et je trouve que l’idée de récompenser un film qui déploie une pensée humaniste est réellement importante pour l’époque dans laquelle nous vivons. À un moment où toute forme de citoyenneté et, en tout cas, d’humanisme est fortement menacée, je suis super fière de faire partie de ce jury. C’est intéressant de voir tous ces films. Je pense aussi que ce prix doit être décerné à un vrai objet de cinéma, qui me plaise en tant que tel.
Ce n’est pas votre première expérience en tant que jurée, puisque vous faites partie du jury Jean-Vigo qui récompense de nouvelles voix et que vous avez fait partie de l’atelier d’écriture féminin de la Quinzaine, ici, à Cannes. En quoi l’émergence de nouvelles voix alternatives est-elle importante pour vous ?
A.B. : Oui, en effet, je suis marraine de la Quinzaine en Actions, où j’ai pu lire des scénarios écrits dans le cadre de l’atelier Parcours de Femmes. C’est hyper important pour moi de soutenir de nouvelles voix, que ce soit à travers les premiers longs-métrages ou via des courts-métrages, qui sont la voie principale pour ensuite faire des longs. Un cinéaste doit se construire, pouvoir faire des erreurs, et je trouve cela très important de soutenir ces voix. C’est Justine Triet qui disait dans son discours de l’année dernière l’importance de pouvoir faire des erreurs, d’essayer des choses et de trouver son chemin. Et pourtant, on constate que c’est de plus en plus difficile pour les cinéastes de trouver des financements et d’exister au-delà d’un premier long-métrage.
Vous avez fait partie l’année dernière du comité de sélection des courts-métrages de la Quinzaine des Cinéastes. Est-ce que cela vous a permis de mettre en avant une certaine forme de diversité ?
A.B. : Oui, je le pense, et ce que j’ai pu remarqué en recevant des films, c’est l’insuffisance des moyens alloués aux cinéastes de certains pays. Par exemple, il est vrai que nous avions reçu moins de films d’Afrique subsaharienne, et pour moi, l’une des problématiques est de pouvoir offrir plus d’accès au cinéma dans des zones où la culture est moins accessible. C’est pour cela notamment que j’avais envie de participer à la Quinzaine en Actions, parce que c’est vraiment un projet qui essaie de rendre la culture plus accessible, que ce soit en France ou dans d’autres pays. Nous avons besoin de ces points de vue, de cette mosaïque du monde.
Quand on voit le contexte actuel et les réformes à venir, est-ce que cela vous inquiète pour le cinéma français ?
A.B : Oui, oui, je suis très, très inquiète. Heureusement, en France, nous sommes particulièrement chanceux par rapport à d’autres pays. Quand je raconte combien il a été difficile de financer le film de ma mère dans lequel figure Agnès Jaoui, les gens tombent des nues, pensant que la France est le pays où tous les films se font facilement. Je vois aussi la difficulté à faire des films indépendants dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie. Cependant, je constate aussi qu’en France, depuis des années, il devient de plus en plus difficile de faire des films et que les écarts se creusent entre les films à gros budget qui ne rapportent pas forcément beaucoup et les films qui se financent avec moins d’un million d’euros, obligeant des réalisateurs, même connus, à revoir leurs scénarios. Et sans parler de toute la précarisation des festivaliers, des programmateurs et programmatrices. Pour moi c’est hyper important qu’on les entende et qu’on puisse encadrer ces métiers avec des conventions collectives . C’est pour cela que je suis à fond derrière des collectifs comme « Derrière l’écran, la dèche » parce que moi, je vois des amis qui n’arrivent pas à en vivre après 20 ans de carrière.
Comme vous l’avez mentionné, vous êtes très attachée au court-métrage, vous avez pu jouer dans des films comme L’Autre Louis ou Safety Matches. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce format en tant qu’actrice ?
A.B. : Pouvoir travailler avec de jeunes cinéastes m’intéresse. J’aime dialoguer avec quelqu’un qui n’a pas encore réalisé et dirigé beaucoup de films, quelqu’un qui est au début de sa carrière, je trouve cela très rafraîchissant. Et puis avant tout, c’est parce que les projets me plaisent, que je les trouve bien écrits et qu’il y a quelque chose à jouer qui m’intéresse. Pour moi, que ce soit du long ou du court, tant que ça me plaît, je le fais.
D’habitude, les acteurs commencent par le court pour ensuite passer au long, vous, c’est l’inverse.
A.B : Oui, c’est vrai qu’en ce moment je fais plus de courts-métrages que quand j’étais jeune, mais je ne pourrais pas vous dire pourquoi. Cela peut être circonstanciel ou hasardeux, en tout cas, ça me plaît et je ne compte pas m’arrêter d’en faire.
Y a-t-il pour vous une différence dans la façon dont vous abordez un rôle dans un long-métrage, un court-métrage ou encore au théâtre ?
A.B : Pas tellement. Comme j’ai pu le dire, c’est avant tout très intuitif et je me repose beaucoup sur le scénario. Mais je pense que cela dépend d’où je pars et s’il y a beaucoup de texte à apprendre ou pas. Je me souviens même d’une fois où j’ai joué le rôle d’une fille qui travaillait dans la fusion-acquisition. Je me suis un peu renseignée pour comprendre ce que je disais, parce que j’avais l’impression de parler une langue étrangère. Mais je ne suis pas quelqu’un qui travaille à fond. Je ne sais pas trop ce que cela signifie de travailler énormément un rôle, je le sens, mais c’est l’intuition qui prend le relais.
Récemment, on a pu voir des auteurs comme Judith Godrèche se réapproprier ce format comme un objet hybride et militant (avec son court Moi aussi, NDLR). Quel est votre point de vue là-dessus ?
A.B : Je n’ai pas eu l’occasion de le voir, mais je connais bien Judith et je trouve cela super dans notre contexte que la parole se libère et qu’on puisse inciter les autres à témoigner et à parler à travers le médium cinématographique.
Propos recueillis par Dylan Librati