Présenté en compétition officielle à Cannes, Sanki Yoksan est un court-métrage franco-azerbaïdjanais réalisé par Azer Guliev. Il dépeint l’histoire de Leyla et Samir, deux jeunes aux familles dysfonctionnelles qui ont décidé de partir ensemble pour prendre leur indépendance. Le jour du départ, Samir disparaît sans un mot, laissant Leyla seule et désemparée face à cette fuite avortée. S’il est rare, voire exceptionnel, de remarquer un court-métrage venu de l’Azerbaïdjan à Cannes, la poésie tragique et la mélancolie de Sanki Yoxsan l’est davantage dans le paysage audiovisuel.
En moins de 15 minutes, le récit d’Azer Guliev se distingue par sa densité et sa capacité à révéler minutieusement, plan par plan, le mal-être qui ronge Leyla au quotidien, qui nous plonge au sein de la société azerbaïdjanaise où les traditions patriarcales se heurtent aux rêves de liberté de certains. Par les hors-champ, la focale floue de la caméra et les fonds noirs inattendus, la réalisation fait signe de l’intériorité d’une Leyla souvent filmée de dos, ou en plongée, écrasée par les circonstances de la situation, étouffant au sein des membres de sa familles qui célèbrent bruyamment le mariage de sa soeur.
Le seul lien que Leyla semble avoir avec le monde est auprès de Samir, lien qui éclate dès le début du récit, l’abandonnant à un univers environnant scindé en deux, entre hommes et femmes enfermés dans des rôles stéréotypés (les activités de lutte et de danse similaires aux derviches tourneurs pour les uns, la cuisine et la préparation du mariage dans le foyer pour les autres). Ce n’est seulement lorsqu’elle est seule, regardant le champ désolé au loin, que son horizon mental s’étend à perte de vue, toujours aussi incertain.
Les jeux de miroirs entre Samir et Leyla sur une vitre de voiture ou à un bureau reflètent les identités poreuses de deux individus en quête de sens, confondues avant de se séparer dans le mutisme le plus total. Dans la composition et la palette chromatique, Leyla existe toujours en opposition silencieuse avec l’environnement qu’elle veut quitter. Au voile rose dans les gymnases mornes, au regard vide lors d’une célébration de mariage, au silence assourdissant à la lecture de la prose maladroite de Samir, Milana Hasanova, interprète de Leyla, nous livre une performance épatante d’un personnage dont l’existence physique est difficile, et dont l’esprit mental est perdu au loin.
Azer Guliev ne s’encombre pas de verbes inutiles et filme avec précision et sobriété les présences intouchables et brouillées de fantômes du présent, dont le mystère enveloppe progressivement l’âme d’une jeune femme qui a encore tout à vivre. En azerbaïdjanais, Sanki Yoxsan se traduit par “Comme si tu n’étais pas là”, qu’on pourrait ici attribuer à la disparition de Samir. Pourtant, le film est d’abord l’histoire d’un acte manqué, peut-être celui de Leyla, acte profondément désenchanté, où les aspirations pour le futur sont aussi éphémères et artificielles, que les étoiles projetées sur le mur par sa lampe de chevet. Un film qui n’aura à prouver sa place dans la compétition du prestigieux Festival de Cannes.