Difficile de mettre des mots sur ce dernier café au goût amer, cet au revoir un peu fuyant et douloureux. À la table d’un restaurant, Gaspard et Leila se regardent, se souviennent et essaient de se parler – en vain. Avec douceur, Raphaël Jouzeau traite de la rupture entre deux êtres dans son premier court-métrage d’animation professionnel Les belles cicatrices, en compétition officielle cette année au Festival de Cannes.
Gaspard a besoin d’une bière pour se mettre à parler. On entend ses pensées, interrompues par l’arrivée de Leila, qui elle, commande un café. Les questions sont vagues, les regards tristes. La distance des deux personnages, seulement séparés d’une table, font d’eux des presque inconnus. Il y a comme une timidité de la première rencontre, celle de l’après, où les paroles sont prononcées à demi-mot et les voix s’écrasent sur le sol. Le contraste entre la voix claire de Leila, et celle basse, broyée par la douleur de Gaspard, interprétées respectivement par Fanny Sidney et Quentin Dolmaire, est prenant.
Dans un mélange bleu, rouge, noir, vermillon, Gaspard et Leila se remémorent leurs souvenirs communs. Tout commence quand Leila lui rend son pull : le café se transforme en une soirée alcoolisée. Le bleu électrique et la musique mouvante en font un songe presque irréel. Cet effet est brisé par la discussion qui continue entre les deux, spectateurs omniscients de leur propre mémoire, se disputant le souvenir. La consommation d’alcool est abordée de façon subtile et réaliste, et est le grand sujet de ce court-métrage. Chaque souvenir, chaque parole en est empreint, surtout chez Gaspard, moins timide après deux bières.
La magie de ce court se révèle lorsque Gaspard, bouleversé par la situation, se réfugie sous la table du restaurant. Leila le rejoint, et la nappe se transforme en rideau, rideau qui s’ouvre sur cette immense plage jaune orangée. Les deux s’assoient sur le sable et regardent leur passé, courir sur la plage, se baigner, rire. Le ciel ressemble à une aquarelle, les couleurs sont chaudes : c’est que le souvenir est réconfortant, on aime s’y plonger, surtout lorsqu’on se quitte. Cette nouvelle parenthèse rend de façon particulièrement juste les sensations de l’au revoir, entre ce qui est dit et ce qui est pensé.
Sous la table – ou sur la plage, on assiste à la discussion la plus intime et on comprend d’où vient la mystérieuse cicatrice sur la joue de Gaspard. On est pris par le tourbillon effrayant des vagues, dont l’image filmée contraste avec les personnages animés qui s’y débattent, notamment Leila qui semble noyée par cette réalité. Entre les souvenirs au bord de la mer et le silence embarrassant au café, marqué de tintements de verres et de petites voix, on assiste à ce dernier au revoir, qui nous prend le coeur tant par sa poésie de couleurs que par la triste beauté de cette mémoire partagée.