Dans Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry écrit qu’”on est de son enfance comme on est d’un pays”, signifiant le caractère fondamental de l’enfance pour définir qui nous sommes en tant qu’individus. En d’autres termes, notre enfance est une partie intégrante de notre identité, tout comme là d’où on vient. Cette année, entre fiction et documentaire, la Berlinale nous ramène à cette époque un peu éloignée en nous faisant goûter avec nostalgie à cette innocence perdue.
Re Tian Wu Hou (Remains of the Hot Day) est un court métrage signé Wenqian Zhang qui met en scène Qi, une petite fille habitant avec la famille d’origine de sa mère depuis que son père travaille dans une zone économique spéciale de Shenzhen et retourne rarement à la maison. L’action se concentre sur une journée dont on peut deviner la chaleur dehors, jour de vide et de vacances chez une petite-fille, autour duquel les personnages familiaux gravitent. Wenqian Zhang avait déjà réalisé un court documentaire, A long journey home, au sujet de son retour chez lui, dans sa famille en Chine. Le film de cette cohabitation renouvelée a probablement influencé la création de ce nouveau court.
Ce dernier commence avec un plan fixe sur le sol d’une chambre, le terrain de jeux favori des enfants. Une petite fille y chantonne et joue, rejointe rapidement par sa petite sœur. Dans la cuisine, la grand-mère prépare des mets, et un enfant pleure dans son cou. De l’intérieur, on entend sensiblement les bruits de pluie, de rails, la ventilation ou la rumeur du monde dehors. Soudainement, le Mambo no. 5 (A Little Bit of…) de Lou Bega résonne dans la pièce, et on voit la petite fille endormie sur le sol. La musique, l’image simple et saisissante nous donne déjà un goût de nostalgie dans la bouche, mais ça ne s’arrête pas là.
Sans vraiment suivre de fil rouge, Remains of the Hot Day nous raconte une histoire de famille avec ses différents personnages, observés de près ou de loin par la petite fille. Des détails : un miroir dans lequel se reflète le corps abîmé du père se reflète, probablement frappé par les personnes qu’il a licenciées. Au fond de la cour, la mère parle de choses mystérieuses avec un inconnu. Tous deux sont montrés comme des observateurs ni invités ni importants. Et puis la grand-mère à l’intérieur, figure chaleureuse et consolatrice du foyer.
Dans ce court, on apprécie tout particulièrement la place du sol, nous offrant une nouvelle perspective, à hauteur d’yeux d’un enfant. L’enfant qui observe, derrière le coin dans le porte ou dans un reflet, le spectacle des grandes personnes. On traîne dans le salon, ou en-dessous de la table pendant un repas et puis enfin, on entend l’orage qui se prépare après la chaude journée de l’été. Cela ressemble à une ode au temps qui passe lentement pour un enfant qui s’ennuie, un jour de vacances comme les autres dans une maison calme.
Chez la réalisatrice belge Marthe Peters, l’ode à l’enfance est plus brutale, certainement plus crue quant à son innocence et à ses joies. Dans son court-métrage documentaire Kaalkapje (Baldilocks), la réalisatrice reprend les images de la caméra de son père pour revenir sur son passé d’enfant atteinte du cancer. Ces images sont combinées avec de nouvelles images et une voix-off d’enfant, un parti-pris aussi surprenant que touchant. En effet, cette voix d’enfant nous fait entendre la perspective d’adulte de la réalisatrice sur cette période de sa vie, créant un décalage tout à fait particulier.
On est directement plongé dans ses souvenirs avec la présence d’une infirmière à ses côtés, puis on l’accompagne sur sa chaise haute. Elle semble ne pas avoir conscience de la caméra et sourit à l’objectif, à son père.
Il ne s’agit pas seulement de nous montrer un enfant souriant soumis à des traitements quotidiens. Avec des gros plans sur la peau malaxée, pétrie puis palpée, on comprend que certains soins continuent et que l’attention est toujours maintenue. Des mains qui frictionnent une sorte de purée jaune, une craie grasse qui gribouille sur la feuille : un jaune maladif, prenant, un soin des détails que la réalisatrice vient incorporer au montage. On ne voit pas son visage d’aujourd’hui, seulement ce corps massé, la nuque, les cheveux : un spectre sur ce qu’elle est devenue, sur un corps avec des séquelles mais encore fort.
Kaalkapje, cela veut dire “tête chauve” en flamand. Le père de Marthe la surnomme ainsi en riant. Ces images aussi tragiques que dédramatisantes nous offrent un spectacle intime de l’enfance. Ce spectacle est doublé du regard analytique de la réalisatrice, qui revient sur ces années de sa vie.
En fiction comme en documentaire, ces deux courts nous montrent d’une manière à la fois douce et percutante ces moments d’enfance, simples, difficiles, étranges, chauds ou froids, teintés d’une lumière jaune toute particulière, et on sort du cinéma contents d’être revenus en arrière.