En mer, personne ne vous entend crier ; seul le silence prend le dessus. C’est dans ce silence, au milieu de nulle part, que des hommes, une bande de cinq marins, vont essayer tant bien que mal de se battre contre les éléments. Poussé par Jorick, un personnage incarné par Arieh Worthalter, le groupe décide, le temps d’une nuit, d’aller dans une zone protégée où la pêche semble bien meilleure. Ce n’est qu’après la joie de voir des poissons par centaines sur leur chalutier que le groupe remarque quelque chose qui va les stopper net : le corps d’un enfant. C’est avec cette histoire que Basile Vuillemin nous signe son premier court-métrage produit, après son dernier film auto-produit, Dispersion. Récompensé par le prix du public au festival Paris Court Devant 2023, Les Silencieux est aussi la première incursion dans la présélection des César pour un auteur tel que Basile Vuillemin, qui met autant à mal notre moralité en tant que spectateur.
De son postulat et de son dispositif claustrophobique visant à suivre, sur plusieurs heures, la vie de ces hommes, il en résulte avec Les Silencieux un objet organique. Et ceci dès le début du film, de par la succession de gros plans sur le filet de pêche et sur cette rouille. Cette rouille qui semble avoir pullulé sur tout le bateau et sur nos marins. De cette crasse qui prend possession de leurs corps fatigués, voûtés et marqués par un dur labeur. Le film, par son introduction, joue sur les corps, leurs sudations comme marque d’un métier et d’un système de production où ces hommes finissent broyés. De tout cela, émane une vraisemblance qui nous fait adhérer et nous attacher à la réalité de ces personnages que nous suivons durant le film. Un parti-pris de narration toutefois assez simple, mais qui, au fil des minutes, se verra perverti, notamment via le climax.
Ainsi, le film trouve une certaine efficacité en plaçant ces hommes au centre de son dispositif, notamment le personnage de Jorick. Incarné par Arieh Worthalter, ce dernier nous est montré dès le début comme quelqu’un à part, comme un marginal au sein des marginaux. Mais aussi comme une figure contestataire, étant le seul personnage qui ne nous est pas introduit dès le début du film par sa fonction de marin, mais plutôt par une musique. Un personnage merveilleusement interprété par un Arieh Worthalter méconnaissable et totalement impliqué, qui troque sa longue barbe pour un duvet mal taillée. Avec dextérité, il ajoute énormément à ce personnage, notamment dans sa fluctuation entre des moments de furie et de pur mal-être en silence.
Ce même silence qui prend une part énorme dans le film et qui lui donne son titre. Ici, Basile Vuillemin traite ce silence comme un véritable motif de cinéma, de deux façons distinctes. Dans un premier temps, il est imposé par un environnement hostile dans lequel ces marins essaient de le recouvrir avec de la musique, une musique aux sonorités country, comme une fenêtre sur le monde et un moyen de s’échapper. Dans un second temps, il est traité comme un élément choisi face à un dilemme moral. Ainsi, Basile Vuillemin fait du silence un élément de tension et de suspense. Il joue avec le spectateur, avec notre propre injonction morale envers la situation et les actes de Jorick. Et ceci à travers un climax géré au cordeau qui nous laisse, dans ces derniers instants, avec des hommes qui essaient d’affronter le déni, d’affronter un silence devenu assourdissant. Un parcours initiatique qui se laisse retranscrire à travers le personnage de Malo, jeune matelot, pris sous l’aile de Jorick et qui finira à la fin les yeux dans le vide, comme la totalité de l’équipage.
Ainsi, le film se distingue de par son sujet et son ancrage politique qui lui sont accolés. En abordant la vie de ces travailleurs qui doivent commettre des actes illégaux simplement pour pouvoir payer leur essence, le film place au centre de son sujet des questions liées à l’écologie et à la misère sociale. On pouvait donc s’attendre à un film flirtant avec un certain misérabilisme en plongeant tête première dans la fable sociale. Cependant, ce n’est pas ce que fait Basile Vuillemin avec Les Silencieux.
En effet, on peut y voir un réel travail de la part de Basile Vuillemin et de sa co-scénariste Blandine Jet pour se réapproprier ce sujet à travers le prisme du genre. Le film pose la question en préambule de comment gérer autant de tension dans un endroit aussi isolé qu’un chalutier au milieu de nulle part. De cette question, nous pouvons y voir une sorte de réitération des « 12 hommes en colère » de Sidney Lumet en pleine mer. Un film d’autant plus vénéneux qu’il utilise son ancrage politique comme un vrai outil dramaturgique pour nous laisser, en tant que spectateurs, totalement pantois. Rien qu’à travers ce personnage de Jorrick, précédemment cité et qui, dans son traitement de gros dur, qui s’avère finalement détruit de l’intérieur, va lorgner du côté du thriller. En empruntant notamment chez Michael Mann et chez son archétype de personnage mutique.
Cette réappropriation passe par la mise en scène et la position de Basile Vuillemin, qui se place ici comme un réel auteur formaliste. Sans être programmatique, la mise en scène réussit avec un certain pudisme quant à la condition de ses hommes, à traiter de leur mal-être et de leur ambivalence morale. Un formalisme qui se mêle à la morale sans pour autant être moraliste, c’est là que se trouve la réussite du film et de cette mise en scène maîtrisée.
Consulter la fiche technique du film
Article associé : l’interview du réalisateur