Comment accueillir la mort ? Est-il possible de l’affronter ? En tout cas, c’est le choix qu’a fait Edwardo, un pêcheur qui a refusé de mourir. C’est également celle d’une grand-mère décidant de raconter cette histoire à sa petite-fille, sachant quant à elle que sa fin est proche. C’est de ces deux histoires qui s’entremêlent que Vincent Fontano revient avec Sèt Lam à la forme filmique et à la présélection des César après son film Blaké (2021).
Dès son titre Sèt Lam, il nous est présenté un objet cinématographique mystérieux et quoique passionnant qui puise dans le créole et la culture réunionnaise. Cela nous est confirmé d’autant plus via l’histoire ici contée d’Edwardo, de son odyssée et de sa contestation devant la mort. Un Edwardo qui nous est introduit dès le début du film par son stoïcisme et sa solitude, un aspect bouleversé par sa rencontre avec la mort, avec sa plongée dans les fonds marins. Rien que de ce prémisse, de son personnage et de son envie de traiter des cultures et des mythologies différentes, le film s’apparente à un OVNI qui explore un terrain malheureusement trop peu visible dans le cinéma français et francophone. En effet, en mettant au cœur de son sujet et de son dispositif le deuil et le rapport à la mort, Sèt Lam se distingue en nous faisant découvrir une iconographie totalement différente de celle chrétienne souvent utilisée.
On y voit une mythologie et une iconographie noire qui se cristallisent dans ce personnage de la mort, loin des représentations européennes, et qui est traité ici avec une grande maîtrise par un auteur qui connaît très bien la Réunion et sa culture. Une mort d’autant plus marquante de par son look, de son costume européen et de ses bijoux africains. Représenté ici comme un melting-pot venant d’une île en mouvement. Une île dont il investit la géographie de ses quartiers et de sa langue, en prenant le parti radical de composer ces dialogues intégralement en créole. En somme, il fait de sa cité, de ce quartier de pêcheurs dans lequel vit Edwardo, un véritable décorum de cinéma absolument passionnant, mettant au cœur de son film un héritage réunionnais, traité ici à travers, entre autres, la forme du conte. Que ce soit à travers la narration de son film ou bien à travers le jeu de ses acteurs toujours en décalage avec leurs univers.
Vincent Fontano utilise ainsi le conte pour nous parler du deuil et de sa posture en tant qu’auteur sur les histoires et leur répercussions sur notre vie. Le film étant lui-même né du deuil de son réalisateur suite au décès de sa grand-mère, cette grand-mère qui est ici la narratrice et le pivot de ce récit. Une thématique qui nous ramène à son dernier film Blaké, un film qui évoquait déjà le conte comme un moyen de s’échapper, d’affronter une réalité d’ennui dans un parking vide.
Cependant, malgré le deuil inhérent au film et à sa genèse, on peut voir dans cette œuvre une fête, une revendication d’une culture, d’une mythologie et d’une vie. Une sorte d’énergie revendicatrice qui se laisse percevoir dès les premières minutes et en particulier via la danse. Dès son premier plan, le film nous happe, ce dernier représentant un jeune homme qui court de toutes ses forces comme pour fuir la caméra. Transposés sur une musique électronique, ses mouvements de bras se transforment pour devenir une vraie danse, un vrai combat contre la montre et contre la mort. Cette transe se prolongera ensuite dans une discothèque, où à l’écart, une grand-mère essaie de rassurer sa petite-fille, effrayée par ces corps en mouvement.
Dès son ouverture, le film nous introduit à cette danse, à cette énergie qui nous suivra pendant tout le film. Une ouverture nourrie par une mise en scène d’une grande richesse. De sa position jusqu’au-boutiste, de raconter plusieurs histoires dans une même œuvre, Fontano nous livre un film au régime de mise en scène multiple, allant de l’intimiste au spectaculaire. Avec un vrai travail dans les scènes de danse sur les corps et leurs sudations, en allant chercher notamment dans le cinéma afro-américain. Cela passe par un travail sur l’image du chef opérateur Vadim Alsayed, de par un noir et blanc tout en contraste absolument merveilleux (lauréat du prix de l’image au dernier festival Format Court), qui permet de mêler à la fois icônes et évolutions des personnages dans leur deuil.
Un noir et blanc et une mise en scène qui atteignent leur sommet dans un climax monstrueux, dans un affrontement final entre Edwardo et la mort. Une danse mortuaire s’organise ou une danse de la vie, qui puise dans la culture réunionnaise à travers le séga et le maloya. Pour nous livrer un ballet, un affrontement qui utilise le montage et la mise en scène pour entremêler ses histoires et nous faire assister à la fin d’Edwardo et de la grand-mère. Un moment figé dans le temps qui nous laisse à la fin avec les yeux mouillés.
De son envie de parler de son héritage et de son mal-être, Vincent Fontano nous livre une œuvre passionnante, un film précieux dans un paysage cinématographique francophone en proie à de nouveaux points de vue.
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Article associé : l’interview de Vincent Fontano