Lucas Malbrun nous confronte dans Margarethe 89 à la violence psychologique du régime d’Allemagne de l’Est. Dans ce court métrage d’animation sélectionné à la Quinzaine des cinéastes, Margarethe, jeune punk contestataire, se fait interner en hôpital psychiatrique après avoir brûlé ses affaires et celles de son petit ami. Dans ce contexte, le climat social et politique est intrinsèquement lié aux questions de l’identité et de la santé mentale.
Le régime autoritaire de la RDA semble triompher à Leipzig en 1989 comme l’illustrent les images de parades militaires accompagnées de chants communistes. Margarethe est internée et fait face à la froideur et à la rigidité des médecins et des autres patients. Le régime exerce une intense surveillance à toute opposition politique en passant notamment par un contrôle des corps. Margarethe est enfermée, contrainte de travailler dans des fours à charbons et d’ingérer des médicaments. Cette “Zersetzung” (dissolution) vise à briser la santé mentale des opposants.
Margarethe trouve un échappatoire dans ses pensées, son imagination, en pensant à ses retrouvailles avec son petit ami Heinrich. Cependant, c’est annoncé des le début du film, Heinrich est un mouchard et collabore avec la Stasi.
Cette histoire d’amour et d’imposture révèle les paradoxes et les tiraillements internes des individus. Heinrich aime sincèrement Margarethe mais pactise toutefois avec le régime. Lucas Malbrun s’inspire de l’histoire d’amour dans Faust de Goethe où la trahison mène à la folie. Ce n’est toutefois pas une vision manichéenne des individus puisque le personnage de traître n’est pas accablé par ses actes. L’imposture de l’amour dans Faust est par ailleurs amenée par un pacte avec le diable, ici la RDA.
Le film met en scène les méthodes du régime pour épuiser et anéantir l’opposition. Ces individus en marge, dans la sous-culture punk notamment, font face à la méfiance et la paranoïa que répandent les mouchards.
Les traits fins aux couleurs douces des crayons feutres de Lucas Malbrun contrastent avec la violence de l’époque. Les plans rapprochés, aux mouvements doux et fluides, où l’on perçoit la fragilité des personnages, s’opposent aux plans larges et statiques dont la symétrie et les lignes droites révèlent l’autorité du régime.
L’attention portée au son et aux sensations révèle toutefois une certaine tendresse dans la froideur du climat social. Certains passages frôlent l’onirisme, les couleurs bleutés et violettes d’une mer où les biens aimés se retrouvent apportent une grande douceur dans l’agitation anxieuse des opposants politiques.
Si le régime ne perdure pas après 1989, année qui marque la chute du mur de Berlin, et que la lutte pour éliminer l’opposition perd de son sens, les traumatismes et la mémoire du régime persistent. Margarethe représente cette lutte, par sa sensibilité et son engagement, et ainsi le souvenir d’une contre culture émancipatrice.