Morad Mostafa est un réalisateur égyptien dont les trois premiers courts-métrages, What we don’t Know about Mariam (2021), Khadiga (2021) et Ward et la fête du henné ont été sélectionnés à Clermont-Ferrand. Son quatrième film, I promise you paradise, est présenté à la Semaine de la Critique 2023. Fidèle au chemin tracé par ses trois films précédents, Morad Mostafa nous livre ici un court-métrage fort et sobre, aux enjeux sociaux sublimés par la beauté formelle.
Eissa vient d’Afrique subsaharienne. Sans un mot, il sillonne une ville d’Egypte, à la recherche d’une embarcation qui permettra à sa compagne et sa fille de traverser la Méditerranée, promesse d’un avenir meilleur.
Sur cette trame relativement simple, Morad Mostafa nous fait suivre quelques heures du parcours du jeune Eissa. Un parcours semé d’embuches : il se relève tout juste d’une bagarre qui a valu la mort à trois personnes et a à charge un bébé qu’il s’agit de faire traverser la Méditerranée. Pourtant, si le décor multiplie quelque peu les marqueurs de pauvreté – murs qui s’effritent, carcasses de voitures abandonnées… -, le réalisateur évite l’écueil du film au thème éculé, qui ne tiendrait que grâce à son sujet.
Silence et immobilité
La gageure de réussir, à partir d’un tel pitch, un film qui séduit surtout par sa beauté formelle repose en grande partie sur les épaules du personnage et acteur principal Eissa/Kenyi Marcelino. La caméra s’accroche à son visage impassible, qui n’exprime ni doute ni douleur. Le court-métrage débute ainsi par un long plan fixe sur ce visage hiératique, qui aimante avec une belle simplicité le regard du public. Plus loin, son corps se détache des murs qui l’entourent comme s’il sortait de l’image.
Ce hiératisme et cette immobilité traversent finalement tout le film. Alors que l’on aurait pu imaginer fébrile l’attente des migrant.es, nous voyons Eissa et sa compagne on ne peut plus calmes, déterminé.es à accepter ce que le destin leur réserve. De même, la caméra les suit avec tranquillité, quand elle ne se contente pas de capter leur image en longs plans fixes.
Cette stabilité s’articule au silence des personnages : si bande son il y a, Eissa reste coi tout au long du film, et seule l’imagination du spectateur et de la spectatrice permet de lui prêter une intention. Seul parle un prêtre qui lui propose – ou enjoint – de lui confier son enfant. Ce refus des paroles rend ambiguës les actions des personnages, mais surtout ce titre, I promise you paradise : le paradis dont il est question est-il l’Europe ou celui promis par le religieux ?
Contraste et opposition
Si le charisme de l’acteur explique en grande partie l’importance qui lui est accordée, sa présence à l’écran est renforcée par le travail du décor et de la photographie. Celui-ci repose en effet sur une opposition subtile entre les scènes d’intérieur, baignées dans un rouge vermillon, et l’extérieur, où le ciel est d’un bleu soutenu.
Ce travail du contraste, au cœur de l’esthétique de Morad Mostafa, apparaît également au sein d’un même plan : la grotte sombre qui abrite un immense lieu de prières s’ouvre sur un ciel clair et dégagé, quand l’attente des migrant.es sur la plage d’Alexandrie a lieu sur une plage au sable blanc, qui s’oppose au bleu chargé du ciel. Ce travail d’opposition est toutefois toujours subtil, jamais trop prononcé, et apparaît sous nos yeux avec l’évidence de la simplicité.
Ce quatrième court-métrage, plein de promesses, nous engage à suivre de près Morad Mostafa, qui prépare son premier long, Aisha ne s’envolera plus.