As Bestas, long-métrage en langue française et espagnole, récompensé du César du meilleur film étranger 2023, est disponible en DVD. Sorti en 2022, le film a récolté 9 Goyas dont celui du meilleur film et de la meilleure réalisation à Rodrigo Sorogoyen. Denis Ménochet s’est également vu décerner un Goya dans la catégorie du meilleur acteur. Cette consécration critique pour le film s’inscrit dans la lignée des nombreux prix que le réalisateur a reçu pour ses précédents projets avec notamment un autre prix de meilleur réalisateur pour son film El reino. C’est avec un thriller psychologique particulièrement bien mené que Rodrigo Sorogoyen marque le public et la presse, et signe sa première collaboration avec les acteurs Marina Foïs et Denis Ménochet.
As Bestas raconte l’histoire d’Olga et Antoine, un couple de français, qui s’est récemment installé dans un village de Galicie, une région marquée par le dépeuplement et la pauvreté. Nous sommes plongés dans une atmosphère angoissante dès les premières minutes du film. On voit la lutte, filmée au ralenti, de trois hommes essayant de mettre à terre un cheval sur un air de violoncelle lancinant. La scène indique le sujet principal du film, de même que la musique donne le ton ; la lutte acharnée est au cœur de cette histoire. Bien que le couple tente de s’intégrer, Olga et Antoine restent considérés comme des étrangers en dépit de leur apprentissage de la langue locale. Leur caractère étranger est ce qui les condamne quand ils refusent de ratifier un accord pour la construction d’éoliennes dans la région, un projet qui devrait engendrer une grosse somme d’argent et qui est perçu comme la chance d’un nouveau départ par la population.
Le film est un parfait thriller qui maintient une tension permanente dans une économie sans défauts. Loin des films où le silence ne dit rien, ici, il sert constamment l’action et construit une tension palpable. C’est justement parce qu’on ne voit pas d’actions très violentes; d’effusions de sang ou de grandes explosions qui rendraient le danger tangible, que celui-ci en est renforcé. On est plongé dans l’attente d’un « boom » qui ne vient pas. Et dans le silence retentissant de la montagne, le danger semble partout du fait qu’on ne saurait dire où il se trouve exactement. Le secret de ce film est l’hésitation permanente entre l’anormal et le normal. On pense notamment à une plaisanterie que fait l’un des voisins à Antoine, qu’il fait courir pour monter dans une voiture. Celui-ci juge la blague malsaine tandis que son voisin soutient qu’il ne s’agit que d’une taquinerie innocente. Alors comment expliquer le malaise que l’on ressent ? Probablement par cette hésitation; quand tout semble normal sauf un petit détail qui nous crispe, sans savoir pourquoi, et qui nous glace le sang.
Étonnement, la tension du film est renforcée par le calme et la paix de l’environnement dans lequel évoluent les personnages. La nature, vaste et nue, aurait pu être inquiétante mais elle est au contraire profondément paisible. Nul doute, ce sont les hommes qui sont à redouter dans cette histoire. La détresse d’Olga, la femme d’Antoine, grandit à mesure que les tensions montent. Elle est la seule à prendre du recul et à faire remarquer l’absurde de cette situation de tension alors qu’ils sont venus chercher la paix dans les montagnes : « Mais on est pas venus ici pour faire la guerre ». Le calme apparent est cependant toujours perturbé par la musique, tantôt violon strident, tantôt claquettes de flamenco, qui ressemblent à des tambours de guerre, ou encore aux battements de cœurs qui s’accélèrent en sentant l’approche du danger.
Au-delà de la tension, As bestas adopte les codes des westerns avec des discussions graves faites en clair-obscur, parfois totalement plongées dans le noir ; mais aussi ceux des films de mafias et de gangsters à qui le réalisateur empreinte les fameuses discussions autour d’une table ronde pendant un jeu de carte ou de domino. On ne peut s’empêcher de voir dans le rire déplacé d’Antoine lors de l’une de ces discussions une référence au célébrissime « Je suis drôle moi ? » de Joe Pesci dans Les Incorruptibles de Scorsese, symbole de la nature versatile des gens habitués à tuer. Mais contrairement à ces films qui sont caractérisés par un monde masculin de la nuit et des trafics, As Bestas est divisé en deux temps où dominent alternativement les points de vue d’Antoine et d’Olga. Les deux personnages interviennent l’un après l’autre dans l’histoire et nous permettent de voir les différentes façons de se confronter au danger permanent. As Bestas tient sa promesse de suspens tout en nous proposant une mise en scène très élégante. Une réussite absolue.