À l’occasion de la 35e édition du festival Premiers Plans qui s’est tenu en janvier 2023 à Angers, l’équipe de Format Court a identifié 3 courts de coeur.
Euridice, Euridice de Lora Mure-Ravaud (2022) – Suisse [Courts-métrages européens]
Ondina, épanouie et indépendante, partage sa vie avec Alexia, une actrice avec qui se tisse une histoire d’amour passionnelle et unique. Mais un jour, Alexia s’envole pour sa Grèce natale et ne revient pas. Reprenant une interprétation libre du mythe d’Eurydice, qu’Orphée vient voir aux Enfers et qu’il perd pour toujours en se retournant, Lora Mure-Ravaud tisse la fin d’une histoire d’amour aussi charnelle que tragique, rafraîchissante par le choix d’une histoire d’amour lesbienne dans l’Italie rurale. Si certains moments se distinguent véritablement dans le rythme par leur côté rock et intense aux tons chromatiques flamboyants, le motif de l’eau, insaisissable et changeant, suggère néanmoins qu’un élément échappe à Ondina. Cet élément, c’est sa bien-aimée Alexia qui malgré sa passion, s’éloigne inexorablement et définitivement, dans une fuite latente sans retour. Pourtant, son souvenir hante Ondina et l’habite, aussi érotique que désespéré. Dans la mise en scène de suspensions oniriques fantomatiques, Lore Mure-Ravaud explore le thème de l’appartenance de soi à l’être aimé, quitte à se perdre dans cette quête. Un très beau film, délicat et mélancolique, Mention spéciale du Jury.
Runaway de Salomé Kintsurashvili (2022) – Géorgie / Russie [Films d’école]
En Géorgie, un petit garçon de dix ans voit son quotidien bouleversé lorsque son père est obligé d’héberger un criminel en fuite. La réalisatrice, Salomé Kintsurashvili, est diplômée de la Moscow School of New Cinema et impressionne par sa maîtrise de la profondeur de champ et de la composition des cadres, séparant souvent les personnages dans l’impossibilité de communiquer, mais également par la direction de l’acteur jouant le petit garçon (Sandro Baidarashvili). Taciturne, colérique, au visage rêveur et triste, il est pris entre une fascination pour le criminel et la difficulté d’exprimer son malaise suite à la décision de son père de l’héberger, difficulté d’expression si propre aux enfants qui ne trouvent pas les bons mots. Le point de vue de cette irruption soudaine dans le quotidien banal d’une famille de restaurateurs est celui de ceux qui subissent le système mafieux, et d’un enfant qui souffre d’être réduit au silence. On aura rarement vu une scène de danse aussi bien filmée, où le mouvement chaotique de la caméra semble faire écho à l’agitation mentale confuse du garçon, ainsi qu’un retournement de fin magistralement mis en scène. Le film, qui a reçu le Grand Prix du Jury des Films d’écoles à Angers, présage un avenir prometteur à sa réalisatrice, dont on attend avec impatience les prochaines créations.
Le monde en soi de Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck – (2020) – France [Carte blanche à la NEF animation]
Le monde en soi de Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck, présenté dans la section « Carte blanche », est un film d’animation qui raconte l’histoire d’une jeune femme peintre à la santé mentale fragile. Elle rêve de se faire exposer dans une galerie et se démène pour convaincre le gérant de l’intérêt de son travail. Mais alors qu’elle parvient enfin à se faire exposer, elle n’assiste pas à son propre vernissage car, épuisée mentalement, elle doit se rendre dans une maison de repos. Là-bas elle voit passer les saisons depuis sa fenêtre et observe une statue de Camille Claudel qui lui fait face dans le jardin. Le film adopte deux esthétiques très marquées; un dessin sans couleurs, dominé par le blanc, qui caractérise la froideur de la maison de repos où l’artiste est assommée par les médicaments et délaisse le dessin, et les couleurs vives de sa vie quotidienne, rythmée par l’art, les trajets en métro et ses courses dans une ville saturée d’images aliénantes. Si l’ensemble est très agréable à regarder, on relève particulièrement quelques ingéniosités comme la danse nue de la peintre qui balance ses cheveux et s’en sert comme d’un pinceau pour mettre de la couleur dans sa chambre aseptisée. Il y a dans Le monde en soi, l’expression vive d’un grand amour pour l’art, auquel s’ajoute un questionnement sur la conjugaison du féminin et du travail artistique. C’est en somme, un joli film d’animation qui réchauffe le cœur et nous donne envie d’attraper un pinceau et une toile pour combattre la page blanche.