Le Paris International Animation Film Festival (PIAFF) vient de s’achever. Hébergé une nouvelle fois au Studio des Ursulines, dans le 5ème arrondissement de Paris, il a accueilli pas moins de 6 sélections : court-métrage, horizon, étude, musique, jeunesse et expérimental. Petit coup de projecteur sur la compétition des courts-métrages.
Cette compétition présentait 27 films issus de diverses nationalités, répartis en trois séances de 9 films. La plupart des films abordait des sujets forts, en prise avec l’actualité et la société contemporaine. Les esthétiques brillaient par leur diversité, des marionnettes filmées en stop-motion au dessin animé en passant par le papier découpé.
Hommages et prises de conscience
Si de nombreux sujets d’actualité contemporaine sont évoqués, cela tient pour partie à un point d’honneur du festival : rendre hommage à l’une des nombreuses luttes du monde.
Cette année, ce sont les combats des Iranien.nes que le PIAFF a souhaité soutenir. Le festival a ainsi donné la parole à Sepideh Farsi, réalisatrice iranienne qui présente cette année son premier long-métrage d’animation, La Sirène, au Festival de Berlin, sélectionné dans la section Panorama. Elle a affirmé au PIAFF, à propos des luttes iraniennes contre l’extrémisme religieux : “Je pense qu’on va gagner”.
D’autres hommages, destinés cette fois à saluer le travail de specialistes du cinéma d’animation, ont émaillé le festival. L’un d’eux a ainsi été rendu à Sébastien Roffat, historien de l’animation, décédé en 2022.
Quant au Prix Giannalberto Bendazzi, créé lors de la précédente édition du festival, il a vocation à rendre hommage aux métiers de l’ombre du cinéma d’animation. Cette année, il a été remis à Nancy Denney-Phelps, journaliste spécialisée dans le cinéma d’animation.
Des courts-métrages d’une grande diversité
La diversité de ces hommages est à l’image de la diversité des films présentés. Ainsi, l’Iran lui-même était présent grâce aux deux très beaux films de Shiva Sadegh Asadi : Tache et Satin blanc. Dans de très courts formats (3’40’’ et 2’18’’), la réalisatrice évoque avec sobriété la violence que subissent chaque jour les femmes. Grâce au rythme heurté, nous passons de poupées filmées à des papiers découpés ou du dessin 2D, dont le caractère inanimé évoque la réification subie par les victimes. La cadence hachée participe pour sa part d’une dislocation de la narration à l’image de la dislocation des corps.
Les violences sexuelles et sexistes étaient également présentes dans Oneluv, de la réalisatrice russe Varya Yakovleva. Mais, si la violence des films de Shiva Sadegh Asadi reposait en grande partie sur leur sobriété et l’absence de tout commentaire, Oneluv souffre de sa trop grande évidence. En soulignant son propos là où Tache et Satin blanc se passaient de commentaire, ce film perd de sa force et devient finalement assez banal. Il a toutefois su séduire le Jury du court-métrage qui lui a attribué le Prix de l’interprétation.
Puisque violence il y a, la guerre a également influencé les films sélectionnés. Nuit, du réalisateur palestinien Ahmad Saleh, s’ouvre sur la très belle maquette d’une ville dévastée, dont la beauté séduit bien plus qu’elle ne repousse. Le ciel étoilé se transforme en un sol jonché de bougies, lieux de prières aux victimes des bombes. C’est à la Nuit que la mère d’un enfant disparu adresse sa prière en un chant grave et fort.
Quant à la Letter to a pig de la réalisatrice israélienne Tal Kantor, elle nous fait entrer dans les pensées d’une élève qui écoute un ancien déporté se livrer à un exercice étrange, lire une lettre à un cochon : le rescapé s’était, durant la guerre, caché dans une porcherie, ce qui lui a permis de survivre. L’animal devient alors métaphore d’un ennemi paradoxal, salvateur en dépit du dégoût qu’il inspire. Quelques prises de vue réelles enracinent le dessin dans la réalité, tandis que l’esprit de la jeune fille vagabonde. Si ce moment s’étire un peu, il nous fait ressentir avec beaucoup de précisions le vertige de cette élève dans un dessin en noir et blanc qui fait fi de toute perspective et évoque avec subtilité l’esthétique de l’expressionisme allemand. Un parti pris qui a conquis le Jury du court-métrage, qui lui a décerné le Prix du scénario.
D’autres sujets d’actualité ont été évoqués au PIAFF, comme la transidentité et la transphobie dans Lada, la sœur d’Ivan d’Olesy Shchukina, ou l’uniformité du monde contemporain dans Mon tigre, de Jean-Jean Arnoux. Le premier déçoit toutefois par l’importance du commentaire : une personne en transition nous conte par le menu la libération que fut son changement de genre. Si le dessin fait montre de quelques trouvailles, la voix off qui livre le récit est clairement de trop et transforme ipso facto le film en un spot bien didactique. De son côté, Mon Tigre amuse par sa peinture du monde contemporain, mais ne parvient pas à éviter les poncifs en la matière. Il s’agit là d’un film distrayant, mais qui manque d’originalité.
Un soin particulier a en revanche été porté au travail de l’image dans Ice Merchants de João Gonzalez , qui nous montre un père et son fils aux prises avec la fonte d’un glacier. Le travail des couleurs et la précision du dessin sont à saluer.
Il en est de même pour La Ville magnifiée, d’Isaku Kaneko, qui nous embarque dans une ville incendiée, « magnifiée » par des caméras et des appareils cinématographiques en tout genre, lesquels entreprennent de redonner vie à la ville détruite. La façon dont les couleurs jouent entre elles et les jeux de lumière nous emmènent dans un monde surréel qui rend un bel hommage au septième art. Dans un genre semblable, Isaku Kaneko avait réalisé en 2019 Locomotor et The Balloon Catcher en 2020. La Ville magnifiée a remporté le Prix de la critique et le Prix du public.
Un peu d’humour anglais, enfin, avec le très beau La Débutante, de Elizabeth Hobbes. Le film s’inspire d’une nouvelle de 1936 de Leonora Carrington, qui raconte les horreurs auxquelles est réduite la narratrice pour éviter un bal à la cour de George V. Le texte puise ses inspirations dans l’univers de Virginia Woolf et l’humour d’Oscar Wilde ou de Bernard Shaw. Le court-métrage vaut toutefois pour autre chose que son fil narratif : le rythme du montage et la variété des traits et des techniques font de ce film un petit bijou d’humour britannique, qui a su séduire le Jury court-métrage, ce dernier lui ayant décerné le Prix Sauvage.
Le PIAFF 2023 aura su présenter en trois séances des courts-métrages d’animation variés. Si nombre d’entre eux présentent de façon crue un monde terrible où chacun.e se déchire, l’humour et les appels à l’imaginaire apportent un peu d’espoir salutaire.