Juré au festival Jean Carmet qui récompense les seconds rôles et met en lumière les comédiens, Finnegan Oldfield se confie sur son métier d’acteur, et sa réinvention permanente. Acteur polyvalent jouant à la fois dans des courts et des longs métrages, il nous parle avec franchise de la réalité complexe de la profession, de confiance en soi, et de l’écriture de son prochain court-métrage.
Format Court : Tu es l’un des rares acteurs à avoir continué dans le court-métrage. Pourquoi ?
Finnegan Oldfield : Je sais pas vraiment… Ce n’est pas déconseillé de jouer dans des courts-métrages quand tu as déjà joué dans des longs. Après, j’avoue que j’aime bien, car il s’agit de raconter une histoire rapidement ; il faut trouver le moyen de raconter en peu de temps une histoire efficacement. De mes expériences, il faut la même implication que sur un long-métrage pour que ça marche. Si tu ne fais pas de répétitions, si tu te dis : « chouette, on va bien s’amuser en Lozère » (rires), comme une colo, tu pars une semaine avec tes potes, souvent le résultat n’est pas ouf, alors que ça nécessite beaucoup de travail.
En quoi le fait d’avoir joué dans Ce n’est pas un film de cow-boys de Benjamin Parent, un court-métrage qui a lancé ta carrière (Semaine de la Critique 2012), t’a-t-il aidé par la suite?
F.O. : Même en ayant eu un rôle dans un long-métrage avant, c’est vraiment ça qui m’a aidé. J’ai eu le prix d’interprétation à Clermont et ça m’avait vraiment boosté. Je ne sais pas vraiment si ça m’a donné du boulot, mais personnellement, ce truc de concours, ça m’a motivé. C’est sûr que tu ne viens pas avec ton diplôme aux castings. J’avais aux alentours de 20-22 ans, mais maintenant ça pose vraiment la question ; quelle légitimité j’ai, moi, à juger des jeunes espoirs, quand je n’ai jamais eu de prix jeune espoir moi-même ? Si ça se trouve, je suis pas un espoir (rires) ! Maintenant, ça se passe bien, je m’accroche aux projets, mais ce taff, c’est une lutte permanente, où il faut toujours se réinventer ; il y a toujours de la concurrence, tu n’es jamais seul.
C’est vrai qu’après ta nomination aux César, tu aurais pu arrêter le court pour te consacrer uniquement aux longs-métrages. On peut notamment te voir dans Aquariens d’Alice Barsby, un court-métrage récent et audacieux. Qu’est-ce qui te donne envie de continuer ?
F.O. : Avec le court-métrage, j’ai toujours cette peur qu’il disparaisse littéralement. Soyons réalistes, personne ne va filer l’argent pour réaliser un film comme Aquariens. Il faut tous s’y mettre, car c’est une industrie frileuse. Je ne veux pas cracher dans la soupe en arrêtant le court. Il faut donner une chance à Alice Barsby. Parfois je me dis « wouah, ce réalisateur ou cette réalisatrice a l’air incroyable », et l’entente ne fonctionne pas forcément. Le tournage est toujours lourd, c’est une affaire de rencontres, et dans ce sens, le court aide à bien cerner une personne. À la fin d’Aquariens, j’ai appelé Alice en lui suppliant de me rappeler si elle refaisait quelque chose. Sur le papier, c’était un projet très risqué, chelou, dans un monde apocalyptique submergé par les eaux lors d’un dîner de Noël bizarre. Tu peux lire le scénario, et te dire « si c’est raté, c’est bien raté (rires) ! ». Et en fait, elle a réussi.
Dans une interview, tu disais que tu n’aimais pas vraiment quand les réalisateurs te refusaient tes propositions sur les tournages. Comment vois-tu le rapport hiérarchique entre l’acteur et le réalisateur, surtout dans le cadre du festival Jean Carmet qui récompense principalement les seconds rôles et non les réalisateurs ?
F.O. : Je trouve que le rapport réalisateur-acteur est compliqué. Je l’ai compris en parlant avec Hazanavicius. Dans Coupez !, je joue un acteur qui ne s’entend pas avec son réal. En vrai, tu as beau faire ce que tu veux, c’est toujours le réal qui a le dernier mot. Logiquement, outre le producteur, c’est le réal ton vrai patron, c’est lui qui t’as engagé. Certains acteurs se font remplacer au bout de deux semaines après le tournage. C’est le réalisateur qui sera en salle de montage, qui peut décider de te couper si tu l’as bien saoulé avec tes impros. Une de mes meilleures expériences fut sur un court-métrage avec Emilie Noblet, Trucs de gosses. C’était franchement génial. C’était la première réalisatrice qui m’a laissé aller en freestyle à la fin de chaque prise, et elle en gardait parfois quelques-unes. Il y avait une vraie bienveillance dans ce film de fin d’études de la Fémis. J’ai toujours un peu couru après cette relation avec d’autres réalisateurs. Mais ça m’est déjà arrivé de bosser avec des gens qui te coupent, qui veulent que j’arrête mes impros. A ce moment-là, tu te dis : « Aïe ». C’est peut-être con de ma part mais je me sens vexé. Alors, je me dis que je vais juste jouer mon rôle. Si ça se trouve, c’est ça qu’on me demande de faire. Si quelqu’un engage un peintre en lui demandant du rouge et que tu lui donnes du vert, il ne va pas accepter. En plus, le réal veut toujours que t’ailles chercher au plus profond de toi. Ça me rend méfiant de cette relation réal/comédien.
En même temps, on te contacte, tu choisis tes projets. Tu connais les réalisateurs, pourtant tu retravailles peu avec eux. Est-ce un moyen de toujours t’impliquer dans des projets différents ?
F.O. : C’est vrai, on ne me rappelle pas souvent (rires) ! En même temps, je ne suis pas mécontent de pouvoir autant me réinventer à chaque fois. Ça m’embête de me voir dans un film pour faire du « Finnegan ». J’aime de moins en moins me reconnaître dans les films, dans la façon de parler, dans les rôles. Quand tu veux que ce soit trop naturaliste, j’y crois pas. Il n’y a pas vraiment de méthode. Si [Maurice] Pialat m’avait proposé un film, j’aurais dit oui, mais je me serais demandé à quelle sauce j’aurais été mangé. En général, les réalisateurs ne sont pas des Pialat, loin de là, il y a des gens très sympathiques. Ça m’arrive souvent sur un tournage de ne pas reconnaître les gens que j’avais vu au café (rires), tout le monde bosse. Hazanavicius parlait de « dysfonctionnement social » sur un tournage. Sur les lieux d’un tournage, t’es chez toi en trois secondes. Ca fait un peu péter des câbles. Des fois, c’est intense avec des réalisateurs. Puis t’y repenses, et tu te dis : « Mais oui, c’était ça qu’il voulait que je fasse ! ». D’autres fois, t’y repenses, tu te dis que c’était pas cool. Faudrait que tout le monde fasse son taf, mais c’est peut-être pas français de vouloir ça. Ici, on est dans l’affect.
As-tu toujours eu envie de faire du cinéma ? Comment cela t’est-il venu ?
F.O. : J’ai toujours eu très envie d’en faire. Quand j’étais petit, à 10 ans, j’ai joué dans un court-métrage que j’ai adoré. Après, j’ai eu un rôle principal dans un téléfilm d’Arte, L’île Atlantique de Gérard Mordillat. Là, j’avais trente jours de tournage en Bretagne, et j’ai tout aimé. Je pouvais voler, casser des trucs dans une maison. Je me suis dit que c’est le rêve, que tout était permis. Petit à petit, j’ai continué.
Tu es un acteur qui exprime rarement la tension par le verbe, mais qui utilise beaucoup son corps. Tu as une attitude, tu n’as pas besoin de parler pour dire ta nervosité. Comment gères-tu cela sur un tournage ?
F.O. : Un tournage, c’est très fatiguant, c’est un vrai rouleau compresseur. Même dans Sauce à Part, avec l’un de mes meilleurs potes [Yoann Zimmer, le réalisateur du film], j’étais claqué, on tournait de nuit, tout était galère. Il n’y a pas une scène qui est facile, et je l’ai compris avec le film qu’on vient de finir de tourner avec Valérie Lemercier, L’Arche de Noé de Bryan Marciano. Même sur les scènes où tu te dis que tu vas y aller tranquille parce que tu n’as pas de texte, t’es mort de fatigue. Un tournage, c’est une machine, où tout le monde bosse en collectivité. Maintenant, mon rapport au corps, c’est que j’essaie de me ménager, je m’assois pour avoir l’énergie pour interpréter. Dans la vie, tout ce qu’on ressent passe par le corps. Quand tu as l’impression d’avoir perdu mes clés, ton ventre se crispe, tu te tends, tu deviens blanc, tu transpires, tu te mets en mode automatique. Je n’arrive pas encore à avoir complètement ce truc, je suis à la quête de ce truc corporel. Ce qui est bien avec Bryan Marciano, c’est qu’il nous a vraiment cherché dans des trucs simples. Il me disait « Respire, respire vite, sois là physiquement. » Ça m’a beaucoup aidé, et y arriver vraiment serait le Saint Graal pour moi (rires) ! Perdre ses clés, ça te transperce plus intensément que jouer un deuil. En vrai, il nous en faut peu pour être bouleversé.
Le fait de chercher justement à travailler les rôles et à les préparer, d’anticiper ton épuisement, ne te permet-il pas de te laisser du temps entre les projets ?
F.O. : Je pense qu’à partir d’un moment, tu t’adaptes. Ça fait longtemps que je n’ai pas enchaîné les longs-métrages, alors que c’est ce que font les têtes d’affiche. J’ai dit non à des projets, j’ai ma vie à côté, mais quand ça s’enchaîne tu te mets dans le bain. Certains acteurs deviennent très exigeants à cause de ça. Je vais être sincère, j’ai assez honte de dire que je suis acteur, parce que beaucoup d’entre eux sont relous, ne sont plus dans la réalité. A force d’enchaîner, tu deviens exigeant, chaque minute où tu dors va être importante… Alors que sur un tournage, peu de gens ont une loge, les techniciens et les chefs machinistes n’en ont pas. Peut-être que la seule différence, c’est qu’on ne leur fout pas une caméra sur le visage en leur demandant de jouer le bonheur. Il faut savoir dire qu’on a besoin de s’allonger parfois.
Tu as énormément joué en dix ans. J’ai l’impression que tu fais partie d’une génération qui, même après des longs, continue de jouer dans des courts-métrages, des séries télé. Comment te retrouves-tu à la fois dans des grosses productions comme Coupez !, et des premiers films comme Gagarine ? Qu’est-ce qui te fait sauter le pas dans un projet, comment discutes-tu avec ton agent de ces projets diversifiés ?
F.O. : C’est sûr que le métier évolue beaucoup avec les nouvelles plateformes. Comment continues-tu à exister dans un cinéma qui marche beaucoup moins bien qu’avant ? Maintenant, les films se financent beaucoup moins bien, il faut être bankable. Avant le Covid, on faisait à la pelle des premiers films, où on pouvait tester de nouvelles choses. Maintenant c’est mort, c’est un miracle qu’on puisse faire un premier film avec un million. J’ai vu des projets auxquels je croyais beaucoup partir à la trappe. C’est dommage. Avec l’agent, la relation de collaboration est très importante, mais c’est l’acteur qui a le dernier mot. Parfois, tu lui demandes de te faire confiance sur des projets très risqués. J’imagine que si ça rate trois ou quatre fois, il faut changer d’agent. On est maître de son bateau, mais l’agent t’oriente aussi sur où tu veux être, à quel moment. Tu peux t’en foutre ou pas. Swann Arlaud, un ami à moi, me disait que tous les choix devaient être artistiques, et non pas marketing. Moi, je sais que j’aime être là où on ne m’attend pas forcément, pour ne pas toujours faire la même chose. J’ai fui des projets en me disant que ça ressemblait trop à ce que je fais en ce moment. Certains acteurs font ce qu’on attend d’eux et ça cartonne ; c’est rassurant, ils se perfectionnent dans ce qu’ils savent faire.
Tu refuses certains projets qui te correspondent trop. T’es-tu retrouvé face à des projets « ça passe ou ça casse »?
F.O. : Je suis comme un magicien, je ne vais pas révéler tous mes tours (sourire). Je sais qu’il y a des réalisateurs ou des comédiens avec lesquels tu ne peux pas refuser de projet. Quand j’ai tourné Le Poulain avec Alexandra Lamy, mon agence me disait que ça ne correspondait pas au genre dans lequel j’étais à ce moment. Je ne voulais pas « l’excellence » du cinéma français, je fais confiance et on y va. J’étais hyper heureux de tourner avec Alexandra et le réalisateur Mathieu Sapin, et j’ai adoré le film. C’est sûr qu’il y a d’autres projets dans lesquels je ne veux pas me retrouver. Ce qui est contradictoire avec notre époque, c’est qu’on a besoin d’être bankable pour faire des films, pour pouvoir faire derrière trois petits films. Olivier Nakache et Eric Toledano sont bankable, mais de bon goût. C’est dur de mener sa barque entre les films que je veux faire, que je dois faire, que je ne peux pas faire…
Tu as parlé des acteurs qui fonctionnent. Or, il y a aussi la réalité des acteurs qui ne tournent pas, il y a 100 bons comédiens et 2 qui vont tourner. Avec le festival Jean Carmet, qui récompense les jeunes talents et les seconds rôles, les nominations peuvent être un vrai coup de pouce pour ces comédiens. Tu es dans une sorte d’entre-deux, tu as continué le court. As-tu prévu de réaliser ton film un jour ?
F.O. : Justement, je vais réaliser un film prochainement. En ce moment, je travaille avec une scénariste. C’est un projet de court-métrage, et la difficulté est de raconter une histoire en 20 minutes, pour être adapté aux festivals. J’ai trouvé un producteur, je suis confiant et j’ai vraiment hâte de le faire. Je ne sais pas si je serai un bon réalisateur. Je choisis mes acteurs selon leurs aptitudes à bien raconter mon histoire, pas à être « juste » bons acteurs. Il faut comprendre les enjeux de chaque personnage. C’est quelque chose que j’aimerais comprendre aussi pour moi-même.
Penses-tu qu’écrire des rôles te permettra de mieux appréhender les rôles que tu vas recevoir ?
F.O. : C’est toute la question de la mise en pratique ; parfois, je lis le scénario et je ne sais pas comment je vais m’y prendre. Mais j’espère qu’à force de réaliser et de jouer, je comprendrai mieux comment diriger les acteurs. Quand je comprends que tout ne dépend pas de mes aptitudes à être bon acteur, et que j’arrive à bien écouter un réalisateur qui sait ce qu’il fait, le tour est joué.
Propos recueillis par Katia Bayer et Mona Affholder Retranscription : Mona Affholder