Pour entamer cette rentrée 2022, certains ont eu la bonne idée de conserver ce petit parfum de vacances… ou presque ! Le Festival Off-Courts présentait cette année plus de 120 films, dont 42 en compétition et mettait à l’honneur la rencontre France – Québec autour du film court qui demeure jusqu’alors le noyau dur du festival.
Lorsqu’il y a plus de 20 ans, Samuel Prat (directeur et fondateur d’Off-Courts) déambulait dans les rues de Deauville lors du Festival du film américain, la possibilité d’élargir le champ et d’offrir plus de visibilité au milieu du court-métrage se posa pour lui. Elle se posa si bien qu’il lui a dès lors suffi de traverser la Touques pour installer, au premier étage d’un bar à vin de l’époque, une salle de projection pour une douzaine de personnes et célébrer ainsi le film court de façon un peu plus… off ! Voici au passage l’histoire d’Off-Courts !
Une quinzaine de courts-métrages français, 16 en provenance de la Belle Province et 11 autres qui réunissaient divers nationalités européennes attendaient le jury et les festivaliers pendant huit jours, ponctués de nombreux rendez-vous autour du cinéma avec ceux qui le font.
De cette rencontre franco-canadienne est né il y a une vingtaine d’années, un petit module qui fait l’étincelle et le charme de ce festival : les Laboratoires internationaux de création, où plus de 200 cinéastes, artistes et technicien.nes venu.e.s du monde entier se réunissent autour de projets au pied levé, appelés « kino », qui sont tournés, montés et projetés sur place en l’espace de 48h. Le tout dans la joie et la bonne humeur pour créer, rencontrer et partager ensemble dans une ambiance chaleureuse aux effluves de camembert grillé.
Faisant partie du cercle des festivals cotés en France, Off-Courts n’en reste pas moins accessible aux jeunes réalisateurs.trices et fait surtout la part belle aux premiers courts (dont certains vivaient pour la première fois une projection publique). Sans être pour autant signifié, un fil rouge apparaissait clairement dans cette sélection 2022 avec des thématiques récurrentes, tout en offrant une différence de traitement selon les films sur chacune d’elle. Comme si au-delà de la compétition, cette sélection souhaitait nous montrer quelque chose de plus, comme si elle venait pointer du doigt certaines incohérences qui persistent encore et toujours dans ce bas-monde et que de jeunes cinéastes viennent ainsi effleurer, questionner, bousculer… et si certains pouvaient déplaire, chaque film trouvait sa place de manière cohérente au sein de la programmation.
Commençons par l’un d’eux qui a déjà fait parler de lui au cours de l’avant-dernière Semaine de la Critique à Cannes : Brutalia, days of labour du grec Manolis Mavris. Ce dernier instaure ici une analogie cocasse où le rapport femme/homme se retrouve télescopé avec celui de l’abeille et du bourdon, faisant donc de la ruche une allégorie de notre société où le statut de la femme est donc assimilé à celui d’une abeille ouvrière.
Outre un traitement qui s’inspire du documentaire animalier et les scènes improbables qui en découlent (donnant ainsi un effet très drolatique et pittoresque), Manolis Mavris sert surtout ici un discours sous-jacent très subtil où l’on voit apparaître en toute évidence les dérives patriarcales de nos sociétés. Les abeilles ayant des rôles et des fonctionnements bien précis tels que l’entretien, la production et la reproduction, on se retrouve assez vite à rire jaune en réalisant que, malgré les progrès existants, nos rapports humains ne volent parfois pas beaucoup plus haut que celui des animaux. D’une autre manière et passant cette fois par le film d’animation, ce propos est rejoint par le docu-fiction franco-slovène réalisé par Urska Djukic et Émilie Pigeard : Granny’s sexual life.
Déjà sélectionné à Annecy, ce long travail documentaire reprend le témoignage de quatre grands-mères faisant part de leur expérience en tant que jeunes femmes et laisse apparaître le contexte des us et coutumes à l’égard de leur sexe lors de la première moitié du XXème siècle. Éducations puritaines, mariages de convenance, devoirs conjugaux, maternités imposées étaient les maîtres mots, où pouvaient se dégager ça et là quelques chemins discrets de liberté, qu’elles ont su se frayer au coeur d’un infériorité institutionnalisée… Autant de messages qui peuvent encore trouver une résonance amère aujourd’hui et dont le propos ici est renforcé par le pouvoir d’imagination apporté par les dessins d’enfants qui composent le film.
Représentation du féminin en collectif mais aussi par le biais de trajectoires individuelles, que l’on rencontre notamment dans le court-métrage français Hors-jeu de Sophie Martin où on assiste au parcours d’une jeune mère qui peine à élever son enfant entre un célibat éprouvant et un métier d’aide à domicile pas toujours gratifiant. Dans un univers proche de celui des Dardenne, on observe (grâce à un interprétation flamboyante de la comédienne Coralie Russier) la faculté de ces « petites gens » à encaisser les coups durs, les manquements, les échecs… poussées parfois jusqu’au déni pour finalement céder, le plus souvent dans la violence et l’impuissance, lorsque le langage vient à manquer.
Épreuve similaire traversée par le personnage de Sarah Suco dans En piste ! d’Emilie de Monsabert où une jeune femme, mère d’une enfant autiste, affronte les préjugés en société mais également les monstres qu’elle s’est elle-même créés avec le temps et la perception des autres.
De nombreux itinéraires de femmes jalonnaient donc cette sélection, mais l’enfance, sous plein d’approche et de sensibilité différentes, était également mise en exergue : La Soeur de Margot par la québécoise Christine Doyon mettait en image la faillibilité d’un soeur aînée à s’occuper de sa cadette, en situation d’autisme également. Le film est très habile à montrer l’attitude de la soeur aînée qui oscille entre prévenance et soutien dans le cocon familial, face à un abandon déloyal qui survient lorsque la dimension sociale de la cour de récré prend le dessus. Un personnage jeune, mais riche d’une complexité intime où l’ambition sociale peut déjà altérer l’intégrité de valeurs justes et bienveillantes récompensé du Prix du Public Québéc.
Valeurs auxquelles il faut tenir bon même lorsqu’on est un enfant persécuté par son père à propos de sa supposée homosexualité comme on le voit dans El Rey de las flores, court-métrage autobiographique espagnol, bref et percutant, réalisé par Alberto Vasco. Profondément épris de danse folklorique espagnole, le jeune Victor, âgé de dix ans, est en proie aux préjugés et aux propos homophobes de son père alité. Prenant un plaisir salvateur sur scène, le jeune garçon fait l’expérience du rejet à cause de ce qu’il aime le plus, une réflexion entre souffrance et passion toutes deux intimement liées dans le coeur d’un enfant.
Et puisque l’enfance n’a pas d’âge, c’est cette fois Branka d’Ákos K. Kovács, un court-métrage hongrois qui s’empare de l’histoire véridique et littéralement bouleversante de bébés laissés pour mort-nés, puis dérobés à leurs parents lors du conflit yougoslave au cours des années 1990. Jeune infirmière qui rejoint une maternité au large des zones de guerre, Branka intègre l’équipe des sages-femmes et observe progressivement la succession de nouveaux-nés déclarés morts-nés et enterrés devant des parents laissés en deuil. Face à ce scénario répétitif douteux et à un directeur de clinique faisant la sourde-oreille, Branka surprend alors tout un protocole d’acheminement des nouveaux-nés à destination de pays frontaliers dans l’espoir de leur donner une vie meilleure. Dans ce contexte de guerre où l’avenir des jeunes générations ne semble pas avoir sa place, quelle solution est la bonne ? Effondré, le personnage de Branka se retrouve alors pris dans une mécanique innommable qui laisse aujourd’hui encore de nombreux parents à la recherche de leur progéniture. Un court ayant reçu le Prix du Public Europe et Francophonie.
Dernière thématique assez présente lors de cette compétition, toujours sous le prisme de l’enfance : les agressions et les cicatrices qu’elles laissent. Comédienne établie, Alix Poisson a décidé de passer derrière la caméra et réalise un premier court-métrage poignant où ressurgit chez son personnage principal, Max (bluffant Jérémy Lopez !), une blessure enfouie quelques dizaines d’années plus tôt. Ce dernier étant devenu comédien à succès, il apprend quelques minutes avant de monter sur scène qu’un vieux souvenir est chaudement assis dans la salle. Que faire alors lorsque l’on s’est construit en gardant au fond de soi une plaie béante, faut-il ouvrir la boite de Pandore ou vaut-il mieux prendre ses jambes à son cou ? Point de spoiler, il faut voir 1432 !
Plus tendre, le film d’animation belge de Margot Reumont : Câline remonte le temps de la jeune Coline par la reprise de contact avec un lieu et des décors qui ont été le théâtre de souvenirs douloureux. Les tons très doux, presque pastels, et la dimension quasi-inexprimée du sujet, un non-dit qui traduit le vécu de la jeune femme, transmet avec d’autant plus d’acuité l’unique choix de l’acceptation des souvenirs, de ceux dont on ne peut se débarrasser. Voici une ode douce qui invite à la résilience de ceux qui ont eu moins de chance que d’autres.
Enfin, un dernier film qui prend des allures presque de faits divers et qui dénonce le pouvoir des images et de leur interprétation parfois trop multiple. Petit cousin de La Chasse de Vinterberg, Ce qui vient la nuit, le film de Marion Jhöaner adopte une photographie spectaculaire au coeur des forêts vosgiennes. Lors d’une randonnée familiale, Sven joue à cache-cache avec sa petite nièce, Héloïse, laquelle tombe malencontreusement dans un lac en contrebas. La sauvant in extremis de la noyade par son oncle, il la débarrasse de ses vêtements trempés et l’étreint pour la réchauffer jusqu’à l’arrivée soudaine de la jeune fille au pair. Celle-ci mésinterprète gravement la situation et laisse Sven, rapidement dépassé par les évènements, dans une impuissance à clamer son innocence face à une rumeur qui se répand comme une trainée de poudre. Le spectateur se retrouve seul complice de son innocence, on assiste alors à la plongée abyssale des parents qui lui tombent dessus dans une accusation violente et sans aucun autre fondement qu’une vague photo prise sur le fait. La nuit commençant à tomber sur la montagne, l’occasion venue pour chacun des personnages de se perdre un peu pour mieux se retrouver et peut-être… faire éclater la vérité.
Un festival avec une programmation bien âpre, croirait-on ! Non, ce sont seulement des sujets graves et bien traités, et quand cela est bien fait, cela mérite qu’on en parle. Pour donner le change et égayer un peu ce panel, retenons Duos de Marion Defer (Prix du public France, Prix UniFrance et Prix Office Franco-Québécois pour la Jeunesse), un premier court français brillant mettant en scène deux comédien et comédienne pour quatre personnages, dans une situation burlesque implacable basée sur un comique de situation : un couple de vagabonds s’introduit par effraction dans une résidence secondaire élégante, mais lorsque les propriétaires surviennent, tous ne sont pas au bout de leur surprise. Voici un film que l’on retrouvera à coups sûrs dans de nombreuses sélections cette année !
Et mention spéciale pour Suzanne et Chantal de Rachel Graton, qui nous emmènent dans un pastiche de Starsky et Hutch version grand-maman, où deux doyennes de la police québécoise résolvent de façon peu conventionnelle et plutôt musclée une affaire de trafic de drogue… ou peut-être, est-ce simplement l’histoire d’une femme qui emmène sa vieille mère chez le coiffeur. À voir !
Augustin Passard