À quelques jours de la cérémonie des César 2022, Format Court vous propose de (re)découvrir (après un premier reportage publié il y a un mois dans lequel seul Le Départ de Saïd Hamich reste en lice) un florilège de jeunes talents que nous avons le plaisir de suivre et dont les courts-métrages singuliers, profonds et émouvants, font preuve d’une grande diversité aussi bien stylistique que thématique.
Avec Les Mauvais Garçons (entre temps récompensé du César 2022 du meilleur court, depuis notre article), Elie Girard, auteur de nombreux courts-métrages, également en développement d’un projet de long, signe un premier moyen-métrage à la fois vif et mélancolique, sentimental et contemplatif, ayant pour sujet l’amitié entre de jeunes hommes se connaissant depuis le lycée, et qui approchent de la trentaine.
Un soir de février, Victor, Guillaume et Cyprien courent pour échapper à une forte pluie et trouvent refuge dans un snack au coin de la rue. Le « Milles et une Nuits » est l’adresse de leurs rendez-vous hebdomadaires, et ce soir comme tous les autres, ils s’attablent autour d’une bière et de plusieurs barquettes de frites. Tel un petit cocon chaleureux aux papiers peints oranges, ce lieu se rappelle de toutes les joies, malheurs et secrets confiés par notre trio d’habitués. Cet effet d’enfermement non-claustrophobique, très agréable au contraire, est subtilement rendu grâce aux plans filmés depuis l’extérieur à travers la vitrine. La caméra d’Elie Girard magnifie les clairs-obscurs de la ville nocturne, créant des beaux plans, qui rappellent par l’utilisation des couleurs l’ambiance conviviale du café de My Blueberry Nights de Wong Kar-Wai.
Sortant de son sac trempé une bouteille de champagne, Victor (Jonas Bloquet) annonce joyeusement la nouvelle à ses amis : sa compagne et lui-même vont bientôt devenir parents. Dès lors, leur équipe n’est plus au complet : le futur papa ne se rend plus au snack ni pour regarder un match de NBA, ni pour amener ses amis à la crémaillère de son propre cousin, malgré ses promesses. Guillaume (Raphaël Quenard) et Cyprien (Aurélien Gabrielli) se retrouvent alors dans un même bateau de célibataires. Durant leurs conversations, outre les regrets, les questionnements, les taquineries et les réévaluations, surgit une prise de conscience face à l’arrivée prochaine d’un bébé : les voilà maintenant, devenus des véritables adultes. Ils ont des choses à se dire, parfois difficiles, mais qu’ils devront assumer, car c’est là l’essence de toute amitié qui se cultive. Le moyen-métrage capte les dialogues nourris d’aisance frappante, sans jamais paraître bavard. Les acteurs Raphaël Quenard et Aurélien Gabrielli rendent palpable le lien fort qui unit leurs personnages, avec une interprétation tendre et sincère, dans un scénario qui évite soigneusement les clichés éculés du genre du buddy movie.
Avec Des Gens Bien, le réalisateur Maxime Roy (dont le premier long-métrage, Les Héroïques, est sorti en salle en octobre dernier), réussit un drame intimiste et charmant, tissé de réalisme. Diffusé à notre Festival Format Court 2021, le film raconte l’histoire de Manon (Clara Ponsot) enceinte de 8 mois, qui se débat au milieu des problèmes financiers, administratifs et familiaux. Ceux-ci pèsent lourd sur sa santé morale. Contre toutes recommandations qu’on fait généralement aux femmes enceintes, elle vit dans un monde où la tranquillité semble inatteignable. Les tribulations se succèdent sans lui accorder le moindre répit : Pôle emploi conteste le virement qu’elle vient de recevoir, son grand-père est sur le point de mourir, sa relation avec Ludo, le futur papa (interprété par Maxime Roy lui-même), est soumise à l’épreuve des difficultés financières. Arriveront-ils tous deux à résister au stress et à l’anxiété face à ces événements alors que la naissance de l’enfant se rapproche de jour en jour ? Contre toute attente, la fin du film laisse le spectateur dans l’expectative, mais laisse planer l’espoir. Co-écrit avec Clara Ponsot, elle-même criante de vérité dans le rôle de Manon, Des Gens Bien joue avec nos émotions, entre empathie, inquiétude et tendresse.
L’Age tendre, réalisé par Julien Gaspar-Oliveri raconte l’histoire de Diane, 16 ans, une ado typique, qui cherche à s’émanciper au plus vite et explore les possibles dans l’excès et la provocation, en quête d’identité et de féminité. Son quotidien, entre la maison et le lycée, se remplit d’expériences nouvelles : les premiers flirts, une grosse soirée de camarades de classe, la peur face au sentiment étrange de l’éveil du désir. Bien que souvent livrée à elle-même, la jeune fille vit une relation fusionnelle avec sa mère, célibataire permissive et désinvolte, qui ne pose aucune limite. Si l’une préfère au rôle maternel celui de sa sœur ainée ou de copine et cultive leur ressemblance, l’autre cherche, au contraire, à se démarquer en colorant pour la première fois ses cheveux bruns en blond.
La couleur est ratée, métaphore évidente de la tentative d’émancipation encore trop précoce. Lorsque dans la scène finale, on voit Diane en pleurs se réconforter sur les genoux de sa mère, son portrait se complète d’une façon logique. Derrière la tenue vulgaire et les talons à paillettes, se cache une petite fille fragile en manque d’affection maternelle.
La jeune actrice Noée Abita (nommée pour le César 2022 du Meilleur Espoir Féminin, pour Slalom de Charlène Favier) parvient à exprimer avec justesse les frustrations et les tournements qu’accompagnent cet âge tendre, et même frivole, pourtant marqué par l’aquisition de nouveaux rôles et responsabilités. Bien que cette thématique soit suffisamment explorée par le cinéma français, son interprétation solaire inspire autant de l’énergie dans ce teen movie, qu’on aurait voulu voir les mêmes pistes scénaristiques posées dans un format plus long.
Dans son court-métrage d’animation Empty Places, Geoffroy de Crécy crée un monde imaginaire coloré, où les lieux comme les aéroports, les supermarchés, les bureaux, les restaurants et piscines, se retrouvent totalement vidés d’êtres humains. Le spectateur est exposé à travers une série de plans statiques, au ballet hypnotique des machines qui tournent en rond, tout comme le disque de La Sonate au clair de lune de Beethoven qui fournit la musique diégétique. Cette bande sonore vise à renforcer le sentiment de pensivité mélancolique, induite par les images animées et par un mouvement répétitif produit par les machines (imprimantes, escalators, arroseurs automatiques, tapis roulants …). Le temps semble s’étirer à l’infini pris au piège dans l’attente de quelque chose qui briserait enfin cette monotonie. Réalisé peu de temps avant le confinement, Empty Places acquiert une résonance particulière dans le contexte de la pandémie, et prédit, en quelques sortes, une nouvelle réalité.
Ces lieux « de passage » qu’on n’a jamais eu l’habitude de voir déserts, Geoffroy de Crécy les conçoit aussi en référence au peintre étasunien Edward Hopper. Ce dernier avait également un attrait particulier pour les espaces identifiés par l’anthropologue Marc Augé comme « des non-lieux », avec une absence de repères spatio-temporels, qui n’appellent pas à y rester indéfiniment.
Empty Places fait se succéder des machines privées des humains et prisonnières de leurs mouvements perpétuels. Derrière une aussi simple idée, se découvre un propos richement universel : le film cherche à mettre en valeur un mouvement utopique, qui touche du doigt l’idée de la mort. Le même cercle sans fin mortifère qu’étudiait en son temps le road movie classique hollywoodien.
Réalisé par Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck, Le Monde en soi est un court-métrage d’animation bouleversant, traitant de l’hypersensibilité de l’artiste. L’héroïne principale est une jeune peintre montmartroise qui prépare sa première exposition. Face à cet évènement important, tiraillée entre la nécessité de travailler dans l’intimité de son imaginaire et celle de ressortir dans la rue pour prendre les transports bondés, elle n’arrive plus à maîtriser le stress, la fatigue, l’exigence excessive envers soi-même, la peur de la page blanche … Les hallucinations inspirées par ses propres dessins surviennent et commencent à dominer son esprit fragile. Le dessin tout en aquarelles nous immerge pleinement dans la perception et les sensations de l’artiste et de son quotidien en pleine tempête : aux fragments de vie chaotique, se mêlent de soudains épisodes de lévitation. Doublement engloutie, aussi bien par une foule réelle que par un flot de couleurs, l’artiste est accompagnée par son alter ego, sous la forme d’une figure féminine dénudée, à la beauté parfaite. Le film donne lieu à une image très frappante, et une mise à nu de l’âme d’artiste.
Hospitalisée, la jeune femme est plongée dans un profond désarroi, indiqué par l’absence de couleurs chez elle, comme dans le décor blanc et stérile de sa chambre. Mais après avoir reçu une boîte à couleurs d’un patient anonyme, elle commence, grâce à l’objet à la fois dangereux et salvateur, à reprendre vie. La crise cède la place à la créativité. Le Monde en soi est une œuvre émotionnellement saturée, car décidément très personnelle, qui explore les puissances et les faiblesses d’un cerveau captivé par un talent extraordinaire.