Cocteau par Almodóvar, tout feu tout flamme
Pathé a récemment édité un DVD du dernier court-métrage d’Almodóvar, adaptation de La Voix humaine de Jean Cocteau. Format Court vous en a proposé plusieurs exemplaires (*concours terminé).
Depuis longtemps, une pièce de Jean Cocteau obsédait Almodóvar. Il l’avait déjà adaptée en 1988, très librement, dans Femmes au bord de la crise de nerf, film qui lance sa carrière internationale. Le téléphone sonne, un homme appelle, il veut récupérer ses valises. Il quitte avec désinvolture celle qui l’attend enfermée dans l’appartement, celle qui répond au téléphone, celle qui l’aime. Ce simple nœud narratif hante l’œuvre d’Almodóvar qui a souvent dépeint des portraits tragiques et/ou burlesques de femmes seules. De la première adaptation le réalisateur garde quelques détails du décor, un tableau, des plantes sur la terrasse, et beaucoup de fougue. Mais au lieu d’une belle brune aux accents hispaniques, il préfère une blonde britannique. Et pas n’importe laquelle ! Tilda Swinton porte les couleurs d’Almodóvar avec merveille.
Avec cette nouvelle adaptation de La Voix Humaine, le joli duo, de feu et de glace, que forment le réalisateur espagnol et l’actrice anglaise livre un court-métrage d’une énergie rare. La prestation époustouflante de l’actrice ne laisse aucun répit au spectateur. Entre deux âges, d’une grande « pâleur », entre « folie et mélancolie » comme décrit fictivement dans le film, Tilda Swinton semble enfin trouver un rôle à sa carrure. L’intensité de son jeu tient d’une véritable performance. Seule actrice du film – quoique fidèlement accompagnée par un autre personnage, le chien – elle délivre le monologue déchirant d’une femme délaissée. Si le texte original est une lamentation tragique où la femme reste un triste objet jeté par l’homme aimé, Almodóvar choisit de rendre à cette femme sa dignité. Elle est maintenant celle qui se libère du joug d’un amour vain, celle qui détruit ce qui l’a détruite.
On ne pouvait pas faire un film plus almodóvarien que ce dernier court-métrage qui a eu la chance de sortir en salles en Espagne après une première à la Mostra de Venise ! On retrouve les vives couleurs primaires, le rouge, le bleu, le vert, fidèles de la palette du réalisateur. Ceux qui connaissent sa filmographie reconnaîtront les airs familiers d’Alberto Iglesias, thèmes musicaux qui nous rappellent d’autres drames féminins qu’Almodóvar nous a contés jadis. Ils reconnaîtront surtout dans Tilda Swinton le personnage féminin comme le réalisateur l’a toujours montrée : seule, impétueuse, intense et habillée de tenues extravagantes et chics (Almodóvar ne s’est pas abstenu de quelques partenariats avec les grandes marques modernes). Enfin, les tiroirs sont remplis de petites pilules, médicaments porte-bonheur dont ses personnages aiment abuser…
Le décor est familier aussi, rempli de couleurs et de détails qui font exister immédiatement l’univers particulier du réalisateur. Il ressemble étrangement à celui de son dernier film, Douleur et Gloire, et rappelle évidemment la construction scénique de celui de Femmes au bord de la crise de nerfs. À un détail près : Almodóvar ajoute un effet de mise en scène à La Voix humaine. Alors que Tilda Swinton sort de son appartement, elle quitte le plateau et erre dans un studio de tournage. L’appartement n’est qu’une reconstruction artificielle. Apparaît alors un nouveau décor qui tient lieu d’espace mental pour la détresse du personnage. Tilda Swinton y déambule enfermée dans un hangar vide et sombre. Parce que La Voix humaine raconte une relation amoureuse sans issue, Almodóvar déplace son personnage dans un espace clos. Autre subtilité de mise en scène : le film joue tout du long sur l’ambiguïté de la conversation téléphonique. La trouvaille est originellement de Cocteau qui écrit uniquement un long monologue (il use aussi de l’ingéniosité scénique du téléphone dans Le Bel indifférent adapté par Jacques Demy dans un court-métrage qui rivalise en couleurs avec celui d’Almodóvar). Au cinéma, l’impasse de la conversation téléphonique est rendue par une dérangeante absence de champs contre-champs. L’autre est absent et même son absence est invisible. Le téléphone loin, posé sur le comptoir de la cuisine, deux earpods vissés aux oreilles, Tilda Swinton parle dans le vide. Peut-être invente-t-elle cette conversation par désespoir, peut-être y-a-t-il une voix qui lui répond. Le spectateur ne se pose pas la question bien longtemps. Ce qui compte seulement, c’est elle, son désespoir, son amour et son courage.
Dès les premières images jusqu’au générique, on retient sa respiration, on a peur de cligner des yeux : on ne veut pas en rater une miette. Et quand c’est fini, on en demande plus. Heureusement le DVD édité par Pathé assouvit les pulsions scopiques. En bonus, 45 minutes de conversation entre Almodóvar et Tilda Swinton animée par Mark Kermode complètent le visionnage du film. Une petite originalité fait sourire : la conversation se déroule en zoom. Les nouvelles technologies qui semblaient éloigner les êtres dans le film ici les rapprochent. Le plus important reste ce que l’on apprend dans cette grande conversation : la promesse que fait Almodóvar à Tilda Swinton qu’ils travailleront ensemble dans le futur… Vivement !
La Voix humaine de Pedro Almodóvar, disponible en DVD et VOD depuis le 19 mars 2021. Film & bonus (conversation avec Pedro Almodóvar et Tilda Swinton). Edition Pathé Films
Almodovar qui adapte Cocteau, ce doit être encore un chef d’oeuvre. Que la chance soit avec moi !