« C’était comment avant ? » demandent les enfants à leurs grands-parents. La question reste parfois sans réponse. Alors, à l’âge adulte, ils partent à la recherche de ces histoires que les grands-parents n’ont pas racontées. Cette quête, c’est celle de Dinah Ekchajzer dans son film Vas-y voir. Pour ce court-métrage de fin d’études de la Fémis qui vient de remporter le prix Égalité de Diversité au festival de Clermont-Ferrand, la jeune réalisatrice a composé selon une contrainte, celle d’utiliser des images d’archives. Facile pour Dinah Ekchajzer dont la grand-mère était férue de cinéma. Facile, vraiment ? Le grenier est rempli de cassettes audio, de films, de photographies et surtout de mystères. Madeleine quitte la France sur un coup de tête avec sa fille, Félicie. Toutes deux parcourent l’Afrique de la Coopération. Elles sont accompagnées d’Abdou, domestique de la famille originaire d’un petit village du Niger. C’est l’histoire de la grand-mère de Dinah Ekchajzer, c’est aussi l’histoire de l’après-colonisation, de la coopération, de l’indépendance des pays africains.
Le film est fait d’assemblages d’images et de sons récoltés durant ces années de voyages. La petite-fille réalisatrice utilise ces archives abondantes pour créer un film de traces : vestiges des souvenirs familiaux, stigmates de la colonisation. Dinah Ekchajzer cherche un visage parmi les photographies, les sensations d’un lieu, d’un moment. Elle veut aussi comprendre ce qu’est la coopération et ce que cette relation diplomatique entre pays d’Afrique et pays d’Europe pouvait engager comme complexités entre blancs et noirs, entre français et nigériens. Mais au lieu de fournir des explications, les archives familiales révèlent un nouveau mystère, celui de la relation entre le « boy » noir, Abdou, et la patronne blanche, Madeleine.
Le film d’animation Souvenir souvenir de Bastien Dubois, un autre court-métrage récompensé à Clermont-Ferrand (prix du meilleur film d’animation francophone), raconte une histoire familiale liée à la colonisation française. Mais à la différence de Dinah Ekchajzer qui profite d’une abondance d’archives, le réalisateur fait face au silence de son grand-père. Ancien combattant français, celui-ci refuse de lui raconter la guerre d’Algérie. Alors tout est possible et imaginable, même les pires horreurs. Ce vide devient une terrible obsession pour le petit-fils également cinéaste qui comble avec d’autres images, fictionnelles mais inspirées de faits réels. Ces images fantasmées des violences de la guerre tentent de remplir le manque mais ne peuvent remplacer le témoignage du grand-père. Les représentations des soldats français qui évoquent les dessins animés d’adultswimm contrastent avec la douceur des images à travers lesquelles le réalisateur se met en scène avec sa famille.
Les deux réalisateurs, Dinah Ekchajzer et Bastien Dubois, ont ceci de commun qu’ils enquêtent sur les mystères de leur famille respective. Pourtant, leurs films sont tout à fait opposés. Souvenir souvenir est une investigation sans preuves, sans victimes, sans témoignages. Vas-y voir, une fouille archéologique dans une multitude d’images et de récits. Pourtant, les deux films voyagent côte à côte. La logorrhée visuelle de l’un est aussi opaque que le mutisme de l’autre. Absence et foisonnement sont tous deux des barrières à l’enquête. Il faut alors composer avec : les cinéastes inventent des stratagèmes pour chercher du sens. Ils construisent les images, soit par le collage de différentes photographies, soit par l’invention. L’enquête devient vaine : sa seule résolution possible est l’inachevé. Chacun à sa manière, Dinah Ekchajzer et Bastien Dubois, accepte que les mystères ne puissent être dévoilés. Les secrets de famille restent secrets car les morts partent avec leur histoire. Mais lorsque les failles de la mémoire sont acceptées, le silence du passé n’est plus tragique mais apaisé.