Comment le monde peut-il être aussi dur que doux ? Dans la violence, Alexe Poukine trouve toujours la tendresse. Son film Palma, récompensé ce weekend du Prix Spécial du Jury national et du Prix Adami d’interprétation (meilleur comédienne) pour elle-même, au festival de Clermont-Ferrand, en témoigne…
La réalisatrice belge avait déjà surpris avec son long-métrage Sans frapper qui redéfinissait le témoignage de viol. Diffusé dans différents festivals en 2019 et 2020 dont le FIFF ou Premiers Plans, il étonnait par sa douceur vis-à-vis de la violence des témoignages. Après s’être effacée entièrement derrière la caméra pour recueillir des témoignages, Alexe Poukine dresse dans Palma un portrait d’elle-même. Non pas comme réalisatrice, mais comme mère.
Dans la classe de sa fille, Kiki fait office de mascotte. Tous les weekends, les familles des enfants se partagent la peluche à tour de rôle. A l’occasion, ils prennent une photo qu’ils collent dans un cahier, grand recueil des souvenirs partagés avec les enfants. Mais pour une mère en difficulté financière – c’est le portrait qu’Alexe Poukine fait d’elle-même – le cahier impose une compétition auprès des autres parents. Face au bonheur des autres, la mère doit se serrer la ceinture pour offrir à sa fille et à Kiki un weekend à Majorque. Alors, il faut cacher la pauvreté, cacher les immeubles laids de la ville espagnole. On cherche palmiers et eau bleue pour prendre la meilleure photo à coller sur le cahier. L’obsession tourne au vinaigre et ce n’est qu’en balançant la peluche sous les roues d’une voiture que la fille pourra retrouver sa mère – ultime caprice ou geste rédempteur ? Le talentueux jeu de Lua Michel parvient à contenir autant d’enfantillage que de gravité. Le portrait est réussi et l’actrice de six ans remporte le prix d’interprétation au festival d’Angers.
À l’égal d’héroïnes grecques sorties d’une tragédie, nos deux personnages essuient les revers et bravent fatigues et humiliations. Leurs déchirements, que ce soient caprices d’enfants ou fuites maternelles, sont de cruelles vérités sur la maternité. Mais sous la dureté advient la tendresse. Malgré la rudesse du portrait, le film fait de la relation mère-fille un trésor d’amour. C’est aussi que la réalisatrice réussit le pari de n’extraire d’une situation précaire aucun misérabilisme. Grâce à une réalisation parfaite, la misère n’est pas source de pathétique excessif. Le film saisit des moments de vie comme pris au vol (la scène de déambulation nocturne a d’ailleurs été en partie improvisée, inventée par les quelques gars qui se trouvaient là). Ce mélange de mise en scène et d’improvisation, d’acteurs et de non-professionnels, apporte beaucoup de justesse au film qui ne se soumet pas à de prévisibles schémas narratifs. La photographie, discrète et soignée, donne au film beaucoup de douceur (Colin Lévêque est le directeur de la photographie de Palma mais aussi celui des Particules de Blaise Harrison). En jouant sur du clair-obscur ou en misant sur des couleurs adoucies, les images montrent en transparence de la douceur. Le décor majorquin n’est pas mirobolant. Pourtant immeubles décrépis, plages bondées et terrasses sous filet font de beaux plans. Dans ce qui est laid, Alexe Poukine montre le beau ; et dans ce qui est méchant, l’amour.