L’édition 2020 du Festival d’Animation d’Annecy, qui s’est déroulée entièrement en ligne du 15 au 30 juin, peut se targuer d’avoir été un véritable succès. Avec plus de 15.500 spectateurs, le festival a su attirer un très large public et ainsi réussir son pari en ligne.
Une version virtuelle qui a notamment profité au format du court métrage et qui a aussi permis de mettre en avant le talent des jeunes réalisateurs encore étudiants. Aujourd’hui, Format Court a le plaisir de vous partager ses coups de cœur et de vous faire un compte rendu entièrement dédié aux films de fin d’études.
Pour commencer en beauté cette sélection, nous avons été marqués par le court métrage japonais de Isaku Kaneko, The Ballon Catcher. Un personnage au corps humain ayant une hache à la place de la tête mène une triste vie emplie de solitude dans une ville peuplée d’hommes à tête de ballons.
Alors que le personnage ne demande qu’à être intégré voire aimé, les hommes ballons sont tous effrayés par la menace que représente sa tête tranchante pour leur vie. Isolé et victime de préjugés, il se retrouve malgré lui impliqué un jour dans une sombre histoire d’agression et se retrouve injustement accusé. Va alors s’ensuivre une course poursuite entre des hommes ballons et notre héros au visage de hache pour sauver sa vie mais surtout pour s’affranchir d’un monde qui le rejette.
Cette courte narration dessinée à la main et animée par ordinateur dépeint une histoire sublime visuellement d’une profonde tendresse ainsi que d’une simplicité désarmante. Autour de son personnage qui en appelle à notre empathie et à notre compassion, le réalisateur dénonce avec puissance mais aussi avec bienveillance les opinions infondées encore trop nombreuses qui concernent les minorités et offre une célébration de la différence.
The Balloon Catcher nous transporte dans un monde fantastique dont les imperfections et les injustices sont le reflet de celles de notre actuelle société, mais il nous fait aussi aspirer à un monde meilleur en montrant que la bonté réside souvent derrière la menace de l’inconnu.
Dans une atmosphère plus poétique, le fascinant court métrage Portret Kobiecy (en français « Portrait d’une Femme ») de Natalia Durszewicz est résolument sorti du lot.
S’inspirant de la poète Wisława Szymborska, Prix Nobel de littérature en 1996, la jeune réalisatrice polonaise, qui est sélectionnée pour la deuxième fois au Festival d’Annecy, propose une illustration animée de cinq minutes d’un de ses poèmes. Le court métrage dépeint en une riche et intense déclinaison de rouge, le portrait d’une femme par le prisme de ses émotions et des épreuves qu’elle traverse tout au long de sa vie.
Les concepts de mouvement et de corps sont omniprésents et littéralement au cœur du court métrage. En effet, sur fond de musique délicate, le corps de la femme s’anime avec grâce, il danse avec volupté et l’on insiste sur ses différentes parties ; son visage fermé, son corps nu recouvert par la végétation ou encore ses yeux qui s’emplissent de larmes… C’est dans un tourbillon fantastique et sensuel que le court métrage rend hommage à la Femme en représentant par les différentes étapes de sa vie à la fois ses désirs, ses peurs et ses angoisses.
Véritable quête d’identité, de réappropriation du corps mais aussi de liberté, Portret Kobiecy représente avec puissance et poésie le parcours d’une femme vers son émancipation.
Pour continuer, l’adorable court métrage The Fox and the Pigeon de Michelle Chua, récompensé du Prix YouTube, remis pour la toute première fois au Festival d’Annecy a lui aussi attiré notre attention.
Un narrateur raconte, tout en rimant, les aventures invraisemblables d’un Renard et d’un Pigeon rivalisant l’un contre l’autre pour la possession d’une glace. Les pages se tournent, les mots se décomposent et les lettres s’envolent au fur et à mesure que le conte est narré. Mais voilà que les deux animaux finissent par se rebeller contre ce narrateur autoritaire, qui prend un malin plaisir à leur faire endurer les plus terribles souffrances. Les deux compères contestent le pouvoir du narrateur, sortent du livre et finissent par prendre en main leur propre histoire pour vivre librement leur amitié.
Ce court métrage nous offre là une fable digne de celles de Jean de La Fontaine à la fois contemporaine, presque parodique avec le choix de présenter un pigeon, mais surtout transgressive pour deux principales raisons. La première est que dans les fables de La Fontaine, le renard est généralement associé à un animal rusé et menaçant, capable des pires trahisons. Pourtant dans ce court, le renard refuse de s’en prendre au pigeon si bien que le réel « méchant » de l’histoire se révèle finalement être le narrateur lui-même. The Fox and the Pigeon est ensuite transgressif puisqu’il prend le parti de briser les codes du genre. En effet, si les fables de La Fontaine sont encore aujourd’hui apprises par cœur au mot près, la réalisatrice prend un tout autre tournant en allant à l’encontre du narrateur jusqu’à complètement l’effacer de sa fiction et ainsi minimiser l’importance du récit écrit.
Ce film court est alors un conte amusant aux couleurs éclatantes et au twist final joyeusement surprenant qui nous refait voyager avec plaisir dans les enchantements de l’enfance.
Un autre court métrage qui nous a particulièrement frappé est celui de la réalisatrice française Héloïse Ferlay, étudiante à l’ENSAD : À la mer poussière.
Ce film en stop motion, composé de personnages en laine met en scène les moments difficiles que traversent une famille sous un soleil d’été écrasant. Un frère et une sœur, Malo et Zoé, tentent tous les deux d’attirer en vain, l’attention de leur mère. Les pleurnichements de l’un tout comme les provocations et les méchancetés de l’autre résonnent comme des appels désespérés adressés à leur mère qui les ignore et les laisse à l’abandon. Cette mère apparaît comme insensible mais finit par se révéler être une femme épuisée, brisée par le départ de son mari et surtout incapable d’endosser son rôle maternel.
Le court métrage explore avec brio la complexité des relations familiales lorsque les liens se détériorent et interroge les rôles que chaque membre d’une famille se doit de jouer ; la mère qui se doit d’être dévouée à ses enfants, l’aînée censée être responsable ou encore le benjamin qui devrait devenir autonome.
Ce film narratif parvient à démonter progressivement ces cases sociales en montrant que ses personnages avant de faire partie d’une famille sont avant des individus avec leurs propres émotions et moments de faiblesse.
En se terminant sur une fin touchante qui amène ses personnages sur le chemin de la réconciliation, À la mer poussière parvient à nous émouvoir par sa triste tendresse et par la représentation d’une tragédie familiale aussi douce que brutale.
Pour finir, notre tout dernier coup de cœur de la compétition des films étudiants s’est porté sur le sublime court métrage russe Airship of Unknown Direction d’Alexandra Galitskova.
L’histoire est courte et simple. Un personnage ayant pour tête un nuage pluvieux incarne la Pluie elle-même et souhaite apprendre à voler. En l’espace de cinq minutes, cet homme fait de pluie s’élance avec obstination et vaillance vers son objectif sans jamais tomber dans le désespoir.
Comme dans une tempête agitée, des créatures fantastiques, des pages manuscrites tachées d’encre ou encore des paysages urbains peuplés d’immenses ballons dirigeables se mêlent aux multiples tentatives du personnage pour prendre son envol. La musique accompagne avec force ce court métrage dessiné à partir d’une encre aux couleurs terreuses qui finalement fonctionne comme un récit initiatique où les pages se tournent et où le personnage principal évolue jusqu’à apprendre à apprivoiser aussi bien son corps que son monde.
Plus qu’une simple narration, Airship of Unknown Direction est un véritable ravissement pour les yeux qui propose avant tout un voyage poétique nous transportant dans un imaginaire intemporel et irréel.