Où voir du court ? La question se pose indiscutablement quand on s’intéresse comme nous au court-métrage. Par le passé, nous avons déjà attiré à plusieurs reprises votre attention au sujet de CIEL. Ne regardez pas en haut, mais plutôt droit devant : CIEL alias Cinéma indépendant en ligne est un site internet, un webzine coloré proposant tous les trimestres des films courts en ligne et en libre accès. Le projet lancé en décembre 2014 par Ciclic, organisme très actif dans la promotion du cinéma en région Centre-Val de Loire (France), valorise comme il se doit le court, format peu visible par excellence, via des numéros thématiques, des cartes blanches, des premiers films de cineastes faisant l’actualité, des entretiens, des liens utiles (critiques, interviews, …). Comme le propose le site dédié, CIEL, c’est « la fête du court métrage toute l’année ».
Lancé il y a peu, le dernier numéro, le 13ème déjà, s’intéresse au sport, à la musique et au cinéma et fait le lien avec deux festivals de type A (Cannes, Annecy), les événements sportifs (Roland Garros, la Coupe du Monde de football, le Tour de France) et les prochaines sorties de longs-métrages. Jusqu’au 25 septembre, CIEL vous propose aussi de voir et de revoir des films de qualité, qu’ils soient documentaires, animés, fictionnels, musicaux, récents ou plus anciens, très courts ou moyens-métrages.
L’exploration démarre avec 2 documentaires. En premier lieu, La Reprise du travail aux usines Wonder de Pierre Bonneau et Jacques Willemont en hommage au 50ème anniversaire de mai 68. Le court est une séquence retrouvée du film perdu Sauve qui peut Trotsky tourné en mai et juin 1968. Plan-séquence de 9 minutes, ce court militant est une immersion-vérité aux portes des usines Wonder où l’on voit une ouvrière refuser à tout prix de remettre les pieds dans son ancienne boîte à cause des « conditions dégueulasses » qu’elle y vit tous les jours. Film fort, film nécessaire, film documentaire aussi, La Reprise du travail aux usines Wonder est incontestablement notre coup de cœur de cette sélection.
Autre documentaire, consacré à l’école pour le coup : Espace d’Eléonor Gilbert, réalisé en 2014 et primé au Cinéma du Réel. Filmée dans un cadre fixe, une petite fille parle de ses déboires en cour de récréation. Déterminée, croquis à l’appui, elle explique à la réalisatrice que même si l’espace de jeu est censé appartenir à tout le monde, l’inégalité subsiste entre filles et garçons. Ces derniers « prennent toute la place, ils colonisent le terrain » et les filles peuvent à peine y jouer, et encore moins au foot. Cet état de fait est illustré de schémas, de traits tracés ou raturés, au crayon noir. Le constat est amer : les filles restent à la marge. Du terrain, de l’espace, de la société.
Côté fiction, CIEL s’intéresse dans ce 13ème numéro à plusieurs films. En premier lieu, Le Quepa sur la Vilni ! de Yann Le Quellec, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs et Prix Jean Vigo en 2013, et chroniqué par le passé sur Format Court. Ce moyen-métrage d’un peu moins de 40 minutes au casting sympa (Christophe, Bernard Hinault, Bernad Menez et Finnegan Oldfield) est une comédie “rassemblant autour du vélo une bande de bras cassés” dans laquelle interviennent un frimeur nommé Tarzan, un maire à dos d’âne, des syllabes à vélo, des jolies filles à fleurs, un ancien champion sportif, un point d’exclamation retardataire, et même un groupe d’hippies déluré sur fond de vie en jaune !
Comédie encore avec Tennis Elbow de Vital Philippot (2012), également repéré en son temps sur Format Court. Un père (Philippe Rebot, vu récemment dans Les Bigorneaux d’Alice Vial) et son fils (Marc Chaulet, bluffant dans Aglaée de Rudi Rosenberg) s’affrontent comme chaque année sur un terrain de tennis. En jouant, le père fait preuve d’une mauvaise foi jouissive, ne lâche rien, tant il est mauvais perdant, râleur, impossible. Son fils adolescent, lui, préfère à la raquette les joints, les filles et les copains. Le temps d’un match, ils s’affrontent devant Henri, le petit dernier, fan de tennis et de son père.
Fiction toujours avec After school knife fight, projeté l’an passé en séance spéciale à la Semaine de la Critique. Ses auteurs, Caroline Poggi et Jonathan Vinel, ont par le passé co-réalisé Tant qu’il y aura des fusils à pompe (Ours d’Or, Berlin 2014) et terminent actuellement leur premier long-métrage, Jessica Forever. Avec After school knife fight, trois garcons et une fille, amis et musiciens, se retrouvent pour leur ultime répétition dans la forêt, la fille, Laëtitia, s’en allant pour d’autres horizons. Entre départs et sentiments, confessions à 2 et marches à 4, le film est cisaillé par l’avenir et les souvenirs, les pas en avant et ceux à l’arrêt, les notes spontanées et les mots qui n’osent pas se dire.
Côté animation, 3 films aux techniques et aux tons très différents se laissent (re)découvrir avec beaucoup de plaisir sur CIEL. Au premier chef, Yùl et le serpent de Gabriel Harel. Celui-ci vient de réaliser La Nuit des sacs plastiques que nous venons de repérer à la Quinzaine des Réalisateurs 2018. Yùl et le serpent (2015), lauréat du Cartoon d’Or en 2016, suit le parcours de deux frères confrontés à Mike, une ordure locale, et son chien tout aussi brutal, Tyson (bien joué, les prénoms des personnages!). Scénaristiquement et musicalement, le film se démène plutôt bien entre suspense, fantastique, détermination, angles de vues et retournements de situation.
Rhizome de Boris Labbé, Prix André Martin au 39ème festival d’animation d’Annecy fait également partie de cette sélection. Infiniment petit ou grand, interaction, recomposition, tourbillon, métamorphose, travail étonnant sur le son : ce premier film professionnel datant de 2015 est un voyage, une expérience étonnante, affolante, précise et hypnotique, à voir sur très grand écran, mélangeant le dessin et la 2D. L’œil, l’oreille ne savent plus à quoi se raccrocher, tant l’envahissement est étrange, fantastique, déroutant. À noter que le nouveau projet de Boris Labbé, La Chute, sélectionné cette année à la Semaine de la Critique est tout aussi curieux, expé et fascinant. Chroniqué sur Format Court à l’occasion de Cannes, le film vient de remporter à Annecy le Prix Fipresci et une Mention spéciale André-Martin pour un court métrage français.
On termine avec une capsule des animateurs-réalisateurs belges Vincent Patar et Stéphane Aubier qu’on adore. Dans Panique au village, la course cycliste (2002), Cow boy, Indien et Cheval participent à une course à vélo. En découvrant l’énorme coupe attribuée au gagnant, Cow boy et Indien cherchent à tout prix à se l’approprier, quitte à user et abuser de tous les stratagèmes possibles. En 5 minutes, ce court issu de la série Panique au village qui donnera lieu au long-métrage éponyme, fait mouche avec ses figures en plastique, ses couleurs criardes, son ton cocasse, son excellent sens du rythme et ses accents belges pas possibles. On en redemande !
Pour rappel, ces films et d’autres encore tels que Les Astres noirs de Yann Gonzalez réalisé en 2009 (avec Julien Doré, dans l’un de ses premiers rôles), Cadrage débordement d’Eric Savin (2013), avec le formidable Kacey Mottet Klein, Un amour de télés de Denis Walgenwitz (2008) avec Christophe Salengro récemment disparu, Paris de Justine Vuylsteker (2015) dédié à Robert Desnos avec la voix de Jacques Gamblin, … sont disponibles jusqu’au 25 septembre. Une bonne opportunité pour faire le plein de bons courts, de (re)voir ces films qui font echo avec l’actualité, d’effectuer en un clic des jolis bonds dans le temps (de 1968 à 2015) et d’en savoir plus sur tous ces univers singuliers grâce aux liens associés. En attendant le 14ème numéro de CIEL et la poursuite de la fête du court.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site internet dédié à CIEL : ciel.ciclic.fr.
Pour accéder directement au numéro 13 reprenant les films précités, cliquez ici : http://ciel.ciclic.fr/ciel13-sport-musique-et-cinema