Ayant obtenu un César d’honneur en 2001, une Palme d’honneur à Cannes en 2015 et un Oscar d’honneur en novembre dernier pour l’ensemble de sa carrière, Agnès Varda, la grand-mère de la nouvelle vague aux allures de petite fille continue à faire parler d’elle, à près de 90 ans. Son dernier film Visages villages co-réalisé avec JR était en lice pour la 43ème cérémonie des Césars et la 90ème cérémonie des Oscars. Même si le tandem est reparti les mains vides, c’est tout de même l’occasion pour nous de retracer le merveilleux parcours de cette amoureuse de la forme courte.
Agnès Varda traverse le temps avec autant de facilité et d’engouement mutin, qu’Alice le pays des merveilles. Celle qui a eu trois vies artistiques complémentaires, photographe, cinéaste et plasticienne, marque son travail éclectique du sceau du plaisir et de la curiosité. Elle débute sa carrière en 1949 comme photographe aux côtés de Jean Vilar. Elle la poursuit en réalisant le film La Pointe courte avec Philipe Noiret et Silvia Montfort en 1954, ce qui fait d’elle l’un des précurseurs incontournables de la Nouvelle vague. Suivent une trentaine de films aussi bien longs que courts. A cela s’ajoute un goût particulier pour l’art qu’elle met, à partir de 2003, au service d’installations souvent cocasses, Patatutopia (2003) ou encore Les Veuves de Noirmoutier (2005).
Varda tous courts
S’il est un objet précieux à conseiller à celui qui voudrait approcher l’univers court d’Agnès Varda, c’est le coffret DVD « Varda, tous courts », produit par Ciné Tamaris, co-édité en 2007 avec le Scérén-CNDP et composé de deux DVD rassemblant l’ensemble de ses court métrages (16) réalisés entre 1957 et 2004. En bonus, nous retrouvons 14 films sur les 170 de la série « Une minute pour une image », diffusée sur FR3 de février à juillet 1983 ainsi qu’une conversation autour des courts métrages de Varda (« Du Coq à l’âne : Des mains et des objets ») et un livret de 20 pages illustrées et commentées.
Subdivisés en 4 thématiques distinctes (les courts « touristiques », « Cinévardaphoto », les courts « contestataires », «L’essai » et les courts « parisiens »), les films permettent de suivre l’évolution du monde enchanteur de la réalisatrice où l’on peut déceler certaines caractéristiques que l’on retrouve dans ses longs-métrages.
De la cinécriture à la cinéfiction
Aux côtés de fictions notoires La Pointe courte (1954), Cléo de 5 à 7 (1962), Sans toit ni loi (1985), Jacquot de Nantes (1991), foisonne un cinéma documentaire où Varda déploie le meilleur de son art. Un cinéma modelé de sa patte subjective et émerveillée qui fait appel à un(e) narrateur/trice qui nous prend par la main pour nous emmener vers un pays où les associations d’idées, les fantaisies visuelles et cocasses, les commentaires hors sujet sont monnaie courante et ont pour but d’égayer l’humeur du spectateur dont elle craint l’ennui. La narration peut prendre des allures de contes et l’on sent l’importance accordée à l’écriture.
La démarche documentaire de Varda est peu commune car elle s’amuse à habiller la réalité pour mieux la transfigurer. C’est ainsi que dans Ô saisons, Ô châteaux (1957) qui était une commande de l’Office de tourisme, elle n’hésite pas à balader le spectateur au travers de diverses réalités sans se limiter aux aspects exclusivement factuels. Les références aux poètes Rimbaud, Malraux, Ronsard, Villon, la volonté de montrer des mannequins au beau milieu des châteaux de la Loire provoquant un contraste volontaire, rendent compte d’une démarche éminemment subjective qui n’a de cesse de vouloir transformer la réalité en y ajoutant une petite touche personnelle.
On retrouve cette facture dans Du côté de la côte (1958), autre film de commande, où transparait son point de vue personnel sur la Côte d’Azur dans une réflexion sur l’Eden venant ponctuer le film. Même constat dans L’Opéra-mouffe (1958), Salut les Cubains (1962), Ulysse (1982) qui lui vaut le César du meilleur court métrage en 1983, et Les dites cariatides (1984). Dans chacun de ces courts métrages, au-delà, de la réalité qu’elle entend montrer (la pauvreté du Paris d’après guerre perçu par une femme enceinte, la frénésie qui régnait à Cuba après la Révolution cubaine, une réflexion sur la photographie, la mise en valeur d’un certain type de statuaire parisienne de la fin du XIXème siècle), la généreuse Varda donne un point de vue visuel. Ce sont autant d’autoportraits, tels des journaux intimes filmés, qui donnent à voir et à entendre ses préoccupations du moment, ses joies et ses peurs sans jamais toutefois trop en dire. Ce travail d’équilibriste, on le doit à une démarche artistique fort éloignée de tout académisme. Cette touche à tout à l’univers éclectique aime que le hasard trace la route de ses créations et c’est au gré de ses envies qu’elle les réalise.
De l’engagement
Black Panthers (1968) et Réponses de femmes (1975) sont des films engagés qui mettent en exergue la volonté de leur auteur de traiter un sujet d’actualité de façon urgente ou originale. Pour le premier, Varda vivait alors à Los Angeles et voulait témoigner de ce qu’il se passait aux Etats-Unis à cette époque. Les manifestations pour les droits civiques des Noirs prenaient de l’ampleur suite à l’arrestation de l’un de leurs leaders, Huey Newton. Avec des images qui semblent être prises sur le vif, loin de ses habituelles mise en scène, la réalisatrice sent l’enjeu historique qui se joue et nous relate de façon journalistique les évènements de l’époque ce qui fait que le film est davantage un témoignage historique ce qui n’est pas le cas de Réponses de femmes (1975) qui est, quant à lui, très construit et mis en scène. Autant de femmes vêtues ou dévêtues qui donnent leur avis sur les questions féministes de l’époque. Plus de 40 ans plus tard, dans les vagues contestataires du mouvement #MeToo, le film et les questions qu’il soulève révèle une certaine stagnation des mouvements féministes de 1975 à aujourd’hui. Alors, Varda, féministe ? Pas plus qu’une autre à cette époque. Varda avant-gardiste plutôt. Davantage intéressée par l’expérimentation que par le sujet, elle n’hésite pas à passer d’une cause à l’autre.
De l’amour de l’art à l’art d’aimer
De l’expérimentation il en est question dans son unique essai cinématographique 7p., cuis., s.de b. (à saisir) (1984) avec Yolande Moreau avant les « Dechiens ». Comme pour l’écriture automatique, Varda laisse ici, libre cours à son imagination pour parler d’une famille bourgeoise dont le père est un brin despotique et la fille un doux oiseau rebelle. Mais c’est l’art qui la motive et la mène sur les routes de France et d’ailleurs.
Oncle Yanco (1967) nous entraîne à San Francisco en pleine période hippie à la rencontre de l’oncle de Varda. Artiste de profession et original comme l’est un oncle d’Amérique, il nous fait découvrir ses toiles sous la caméra intéressée de sa nièce. Plaisir d’amour en Iran (1976) est une fiction qui met en valeur la sensualité qui se dégage de l’architecture orientale, T’as de beaux escaliers, tu sais (1986) est un film hommage à la Cinémathèque française et à ses escaliers à l’occasion de ses 50 ans. Originale jusqu’au bout, Varda décide de prendre des extraits de célèbres films où l’on voit des marches d’escaliers. De Pépé le Moko en passant par Le Cuirassé Potemkine et en terminant par Adjani derrière ses lunettes noires. Ulysse (1982) est une réflexion sur la composition en photographie et sur le hors champ d’une image prise à un certain moment. Le temps a passé et Varda est allée retrouver les protagonistes pour les interroger sur cet instant décisif dont ils ne souviennent qu’à peine. On nous parle de l’acte de créer, de la création et des créatures, de la fiction et de la réalité.
Enfin, un court en particulier attire l’attention à la fois pour sa forme et son sujet, Ydessa, les ours et etc…(2004) La caméra de Varda se substitue aux yeux du spectateur et déambule dans les couloirs de l’exposition de Ydessa Hendless, « Partners Teddy Bear Project » à la Maison de l’art à Munich. Un projet avec des nounours et des dizaines, des centaines de photos d’enfants, d’hommes et de femmes qui posent avec la peluche. Si le dispositif est là pour nous donner le vertige, c’est pour mieux nous faire tomber de nos certitudes. La démarche artistique d’Ydessa se superpose alors à celle de Varda.
Ce qui anime l’avant, le pendant et l’après d’un film d’Agnès Varda, c’est le dialogue humaniste qu’elle entretient avec son sujet et le spectateur. En 64 ans de carrière, cette dépositaire d’un héritage cinématographique indéniable, cette artiste polymorphe a écrit, inventé et filmé des images de toutes sortes, aussi insolites que celle de Godard enlevant ses lunettes noires dans Les Fiancés du Pont Mac Donald (1961) faisant étrangement écho à JR qui enlève les siennes dans Visages villages (2016).
Coffret DVD Varda, tous courts, produit par Ciné Tamaris, co-édité en 2007 avec le Scérén-CNDP. Composé de deux DVD rassemblant l’ensemble de ses court métrages (16) réalisés entre 1957 et 2004.