Réaliser des films animés, pour Rory Waudby-Tolley, est un jeu d’enfants. Ce jeune adulte, diplômé du Royal College of Art, a fait de l’animation sa spécialité et ce faisant, il en est devenu maître en la matière. Ce qui frappe dans son cinéma, c’est ce subtil mélange des genres qui s’y opère : entre documentaire et fiction, le cinéaste oscille, surplombe des sujets d’actualité avec un recul suffisant pour lui offrir une vision des plus justes du monde actuel. Qu’il se fasse le porte-parole d’un vieux couple (sirène-triton) dans son « Merfolk » ou qu’il illustre le voyage dans le futur, d’un mammouth aux grandes défenses dans « Tusk », Rory Waudby-Tolley cultive une mise en scène épurée et maîtrisée sans manquer de caractère.
D’une ironie incisive, il tire des traits imparfaits sur une société troublée ; véritable personnage qui s’éveille sous ses coups de crayon, quelques fois grotesques. D’abord d’un calme éloquent, cette société prend, par la suite, des airs chaotiques et âpres où règne une cohabitation, pour le moins, erratique, entre lesdits, hommes ‘’civilisés’’ du monde occidental et des hommes venus, tantôt des mers tantôt de terres lointaines.
En 2012, avec « Merfolk », Waudby-Tolley touche même à cette forme fictionnelle qu’est l’anticipation, alors qu’il est en troisième année à l’université de Bournemouth. Dans une réalité alternative, les Merfolks -habitants de l’eau- sont forcés de quitter l’océan, pollué, et de vivre aux côtés des humains. Après dix ans vécus au Royaume-Uni, un vieux couple de réfugiés merfolk se confie sur leur adaptation dans leur nouveau pays. Les deux personnages, d’une sensibilité captivante, sont filmés à la manière d’un documentaire. Face caméra, ils livrent leur ressentis de réfugiés. Les couleurs chaudes qui véhiculent l’optimisme de ce couple contrastent avec la représentation d’images médiatiques, tels des archives, qui témoignent de l’hostilité infligée, à tort, à cette communauté.
Avec son « Tusk », gagnant du festival Short Short Story (meilleure mise en scène) et du festival international du film d’animation Golden Kuker (meilleur film étudiant), on retrouve cette veine anticipative. Une femelle mammouth sortie de sa léthargie, se réveille dans un monde qu’elle ne reconnaît pas. Ce véritable voyage astral nous décontenance – peut-être – plus encore que ce mammouth, qui se trouve comme coincé dans une suspension spatio-temporelle infernale. Ne sachant si les images qui défilent dans sa tête sont « des rêves ou des souvenirs ou des rêves de souvenirs ou des souvenirs de rêves ». Moqué et montré du doigt comme un malpropre car trop différent, le vieil animal pris pour un éléphant, nous rappelle, amèrement, les travers de notre société ; moqueries et railleries comme corollaires d’un monde où la xénophobie et/ou la discrimination sont profondément intériorisés.
En phase, donc, avec sa génération, Rory Waudby-Tolley, construit des satires explosives tant elles nous font rire et nous révèlent des visions d’un futur qui semble déjà être notre présent. Libre et fugace, le jeune Rory aime aussi à s’essayer aux très courts films. Réalisateur pour la boîte de production d’animation anglaise Beakus, il exerce son humour piquant avec des personnages aux courbes déliées et aux gestes imprévisibles dans des formats de type publicitaires, tels que « Lifebabble », « Doodles » ou encore « CMC Interstitials ». Il marque, ainsi, les esprits d’une touche unique, et pourtant, derrière la plume, c’est un artiste au cœur pudique que l’on découvre.
Dans un fin mélange des genres – qui se veut plus frappant dans son récent « Mr Madila Or The Colour of Nothing », Prix Format Court à Angers 2016 -, on est face au cinéma de Rory Waudby-Tolley, comme embarqué dans des terres inconnues où personnages mythologiques et préhistoriques ramènent à la surface les méandres des hommes ‘civilisés’ et ce, de façon simple et profonde.
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