Cette année, la Cinéfondation a choisi 16 titres parmi 1631 films présentés par les écoles de cinéma du monde entier. Sur ces 16 films en compétition, trois nous parviennent d’écoles françaises dont il n’est plus la peine de faire la réputation tant elles sont représentées dans la grande majorité des plus grands festivals. Il s’agit de La fémis, Supinfocom Arles et Le Fresnoy. Ces écoles, toutes trois de qualité, proposent un enseignement très différent avec comme but commun celui de s’atteler à la fabrication d’un film. Si bien que rien qu’avec la sélection de ces trois films français, on obtient un « pot pourri » de films résolument singuliers, une diversité tant sur le fond que sur la forme. Petit état des lieux de ces trois films français jugés dans les prochains jours par le Jury de la Cinéfondation présidé cette année par Abbas Kiarostami.
Home sweet home de Pierre Clenet, Alejandro Diaz, Romain Mazevet, Stéphane Paccolat (Supinfocom Arles)
Réalisé par d’anciens étudiants de Supinfocom Arles oeuvrant depuis aux quatre coins de la planète dans différents studios d’animation, « Home sweet home » est un film d’animation de dix minutes racontant l’histoire d’une maison – un joli pavillon en bois, à vendre – qui se déracine et part à l’aventure. Sur son trajet à travers les Etats-Unis, ladite maison va se lier d’amitié avec d’autres maisons et rencontrer quelques péripéties jusqu’à arriver à un lieu qui ressemble au bout du monde, un peu à la « Into the wild ».
À première vue, on pense voir un film tout droit sorti des studios Pixar, avec cette technique d’animation 3D si jolie, si arrondie de manière à humaniser n’importe quel objet. Certes, le rendu est très réussi et chaque détail semble travaillé, alliant humour et émotion. La musique de Valentin Lafort occupe une fonction importante dans ce film. Elle accompagne parfaitement ce voyage, mêlant banjo, guitare folk, guimbarde et accordéon, instruments assez typiques des westerns et des road trip nord-américains.
Comme de nombreux films d’animation, « Home sweet home » ne s’adresse pas uniquement aux enfants. Il reprend les codes du cinéma américain indépendant et traite du thème du départ, du voyage d’apprentissage ainsi que du détachement d’un certain conformisme capitaliste, d’une Amérique idéaliste.
Une vie radieuse de Méryll Hardt (Le Fresnoy)
Autre court sélectionné à la Cinéfondation, « Une vie radieuse », film ovni.Savant mélange de (science-)fiction, de documentaire et d’expérimental, « Une vie radieuse » est un petit bijou qui semble avoir nécessité un travail considérable au niveau de la recherche et de la mise en scène. On retrouve en effet Méryll Hardt à tous les postes : scénariste, réalisatrice, comédienne, musicienne, preneuse de son, monteuse. Autant dire que ce court-métrage possède largement sa patte.
En 1952, la Cité Radieuse reçoit ses premiers occupants dont la plupart espèrent beaucoup de cet idéal que propose Le Corbusier. Méryll Hardt imagine alors un couple qui fait l’expérience de s’y installer. Gilbert, le mari, semble bien s’accommoder à ce nouveau mode de vie, tandis que son épouse, femme au foyer d’une trentaine d’années, subit une dépression d’être confrontée à autant de rigidité, de stérilité. Pour elle, la vie est radieuse en surface, mais froide, lisse et impersonnelle comme le béton qui compose l’édifice de l’architecte visionnaire. A travers ce film, Méryll Hardt réussit non seulement à casser l’image de ce qui avait marqué un tournant dans la façon de vivre des Français au début des années 1950, mais également à faire réfléchir sur l’espace urbain d’aujourd’hui et de demain où l’individualité disparaît petit à petit.
L’utilisation de certaines images d’archives inscrit « Une vie radieuse » dans un propos architectural, insistant sur l’importance de la géométrie qui devait guider le quotidien des gens résidant à l’époque au « Corbusier ». D’autres images reconstituées à la mode des années 1950 font penser à une publicité pour le bon savoir-vivre que l’on était censé trouver au sein de la Cité Radieuse, avec un ton résolument pessimiste et satirique. Enfin, les images montrant des chorégraphies au son d’une musique concrète et au rythme du temps qui passe illustrent tout le côté finalement assez effrayant de la vie organisée, chronométrée, quasi déshumanisée promis dans cet espace.
Les Oiseaux-Tonnerre de Léa Mysius (La Fémis)
« Les Oiseaux-tonnerre » est le film de Léa Mysius . On y retrouve quelques similitudes avec son film précédent « Cadavre exquis », prouvant que la jeune réalisatrice possède d’ores et déjà son univers propre et ses thèmes de prédilection. Tout d’abord, la ressemblance entre les deux héroïnes. Dans « Cadavre exquis », une fillette d’une dizaine d’années, Maëlys, était arrogante et possédait ce fond mauvais qui la poussait parfois à agir de manière morbide. Dans « Les Oiseaux-tonnerre », Léonor est une adolescente vorace qui aime à chasser l’alouette pour la tuer à coup de bâton et asservir son entourage, particulièrement son frère. Toutes les deux sont insolentes et solitaires. Ensuite, il y a ce rapport au corps humain à limite du malsain pouvant à la fois être assimilé à de la bidoche ou à quelque chose de très sensuel, de sexuel. Enfin, la présence des éléments naturels qui ont une forte incidence sur les personnages créent une parfaite communion avec les protagonistes : l’eau, le feu, l’orage, les herbes, le sable, les marais, les animaux (oiseaux, chien), etc.
Si on se penche plus particulièrement sur « Les Oiseaux-Tonnerre », un film assez sombre, la réalisatrice emprunte les codes des films à suspense dignes d’Alfred Hitchcock. On pense bien sûr aux « Oiseaux » (1963) qui justement mêlait une nature déchaînée à une histoire d’amour et de haine. Il est vrai que Léa Mysius réussit à créer une ambiance tendue. On se demande sans cesse si les éléments naturels démontés influent sur les relations violentes et ambiguës entre les protagonistes ou bien si leurs agissements sont simplement dus à leur côté obscur, certains détails restant tout de même assez flous sur l’évolution des différentes liaisons entre Léonor et son frère Antonin ou entre celui-ci et une jeune fille.
« Home sweet home », « Une vie radieuse », « Les Oiseaux-Tonnerre » : chacun de ces trois films est très caractéristique de l’école qu’il représente (Supinfocom Arles, Le Fresnoy, La Fémis). D’une manière générale, ces réalisateurs maîtrisent déjà le langage cinématographique avec leur style bien à eux. Reste à savoir si ces films « made in France » plairont au Jury le 22 mai prochain.
Article associé : l’interview de Méryll Hardt