Quelques semaines après la clôture des Rencontres Internationales Henri Langlois, nous effectuons un retour sur les perles présentées en compétition. Celle-ci comprenait 45 films d’études (dont deux longs métrages), issues de 34 écoles, qui ne manqueront pas de taquiner les films professionnels dans les sélections de festivals cette année.
Si on vous épargnera la blague sur le motif récurrent de l’année à savoir la présence du gallinacé dans pas moins de cinq films pour une raison encore inexpliquée, quelques thématiques fortes ont préoccupé les cerveaux des cinéastes internationaux en compétition à Poitiers.
On oscille ainsi entre les grands classiques du genre chers aux jeunes adultes comme les romances adolescentes dont la plus représentative se situe sans aucun doute du côté de « Trucs de gosse » d’Emilie Noblet, les questions existentielles comme dans « Good stuff » de Neta Braun de l’école Sam Spiegel de Jérusalem, et des thématiques plus inédites qui tendent à prouver que les jeunes auteurs-réalisateurs se préoccupent de questions actuelles et universelles. Ils n’hésitent pas à prendre des risques en termes scénaristiques mais on peut regretter une certaine frilosité dans l’expérimentation de formes nouvelles.
Dans la compétition, on retrouve ainsi un seul film expérimental – « Achill » de l’allemande Gudrun Krebitz, une grande majorité de fictions (24 pour 45 films) et 5 documentaires. C’est encore une fois du côté de l’animation que l’on trouve les réalisations les plus audacieuses comme le petit ovni « Montenegro » de Luis Stockler du Royal college of Art (Royaume-Uni) qui présente dans une animation épurée la vie décalée d’un personnage moderne. Le film est d’ailleurs déjà sélectionné en compétition pour les prochains festivals Premiers Plans d’Angers et Indie Lisboa.
Les destins de femmes
Parmi les grands thèmes abordés cette année, s’il est un questionnement récurrent dans les programmes, il s’agit bien de celui de la place des femmes dans le monde. Plusieurs films s’attachent à mettre en évidence la force de la nature féminine face aux hommes. Il est ici question de couple, de déchirement et de choix. Les femmes sont dépeintes comme étant des êtres forts et capables de prendre des décisions fondamentales. Femmes radicales parfois comme avec le magnifique et déroutant « Buha r» d’Abdurrahman Oder de l’université Kadir Has d’Istanbul où l’on s’immisce dans l’intimité d’un couple modeste pour lequel tout va basculer en une fraction de seconde par l’action violente de la femme. Avec une mise en scène soignée et une image en noir et blanc, ce court métrage bouleverse les idées préconçues que l’on peut avoir de ce qu’est la soumission des femmes serties dans leur foyer. Les femmes se retrouvent aussi en proie au désir adultère, suivies de près par la caméra des réalisateurs des plus classiques « Les esprits que j’invoque » de Lena Knauss et « To whom it may concern » d’Aasne Vaa Greibrokk, ou encore dans le décalé « Josephine and the roach » où une épouse malaimée par son mari s’éprend d’un cafard musicien !
Il est aussi question de femmes qui décident de ne plus être femmes et soulèvent ainsi les questions du genre. « Boy » de la danoise Julia Berreza Madsen dépeint toute la force et la conviction nécessaires à son personnage féminin qui choisit à l’adolescence de devenir ce qu’elle ressent être depuis la naissance : un homme.
Et enfin, il y a ce récit de femme, « Ginette », documentaire animé de Marine Laclotte et Benoît Allard qui, en toute simplicité, narre la vie de Ginette de son enfance à sa vieillesse. Ici, rien d’extravagant, mais de la douceur et du quotidien capté avec beaucoup de tendresse par les deux réalisateurs.
Le passage à l’âge adulte, un classique maîtrisé
Au rayon des thèmes récurrents, le passage à l’âge adulte et ses rites sont des pépites à traiter pour les réalisateurs étudiants qui, sans avoir beaucoup de recul, sont plongés dans ces questionnements à l’heure de la réalisation de leurs films.
Le film le plus bouleversant de la compétition se situe dans cette thématique. « To guard a mountain » d’ Izer Aliu de la Norvégian Filmschool. Le jury en a d’ailleurs fait son grand prix ! Ce récit familial poignant narre le voyage initiatique de deux frères. Le périple évolue lentement, tragiquement et fait passer ce court, d’un film d’une banalité ennuyeuse à un objet auquel on s’accroche jusqu’au dernier souffle.
Une autre histoire de fratrie qui tourne mal, plus classique mais tout aussi bien tenue est à mentionner : « We were wolves » de Mees Peijnenburg de la Nederlandse Film en Televisie Academie. Il est ici question du basculement de l’amour fraternel mis à mal par l’arrivée d’une fille. Un film à retenir essentiellement pour sa réalisation et son rythme particulièrement bien maîtrisés.
Le film de genre, le renouveau
Plus ou moins absents l’année dernière dans la sélection, cette année, trois films de genre semblent poser une nouvelle pierre à l’édifice au rayon des films d’études réussis. « Z1 » de Gabriel Gauchet (National Film and Television School, Royaume-Uni), « Babaga » de Gan de Lange (Sam Spiegel de Jérusalem, Israël) et « The fable of a blood-drained girl » d’Alejandro Iglesias Mendizabal (Centro de Capacitación Cinematográfica, Mexique) sont trois propositions forts différentes mais chacune ose travailler la tension, le bizarre, le non conventionnel. Sans débordement d’effets spéciaux, c’est sur la mise en scène, le rythme, l’ambiance photographique, le scénario que ces films fonctionnent à l’écran. On sent tout le travail intellectuel et technique mis en oeuvre par les étudiants pour réaliser des films aux budgets très serrés mais qui ne transigent jamais sur l’envie de faire ressentir des émotions fortes aux spectateurs. Il semble qu’une exigence supplémentaire porte ces trois films, sans concession. Avec « Z1 » Gabriel Gauchet (réalisateur de « The Mass of men ») signe un film de zombies dérangeant qui met en scène un enfant avide de sang, prêt à tout pour assouvir sa faim. Drame familial s’il en est, le film montre la lutte des parents et l’issue au goût de compromis presque sordide. « Bagaga » se situe, quant à lui, plutôt du côté du conte fantastique. Le film narre une histoire d’amour impossible entre une créature féminine au physique improbable qui vit reclue dans les bois et un beau jeune homme qui revient à la vie. Enfin, avec « The fable of a blood-drained girl », Alejandro Iglesias Mendizabal offre un pur moment de fantastique dans la programmation de cette année. Le film emporte le spectateur à travers l’histoire triviale et magique d’une jeune fille riche qui doit faire son entrée en société lors d’un grand dîner mais qui se verra contrainte par une branche qui lui pousse dans la bouche à s’automutiler pour pouvoir satisfaire aux exigences de son rang ! Le film dont la qualité et l’audace scénaristique sont certaines est également doté d’une très belle photographie. Le film est une jolie réussite.
Les pays phares de la sélection
Le cru 2013 fait la part belle à l’Allemagne avec pas moins de sept courts métrages (et un long métrage) en compétition. Ces films issus de cinq écoles différentes constituent un panel diversifié de ce qui peut se produire en matière de films d’études hormis en documentaire : un long métrage « L’étrange petit chat », un film expérimental « Achill », un film d’animation « The sunshine egg » et quatre fictions « Panihida », « 5 mètres jusqu’à Panama », « Chiralia » et « Still got lives ». Tous de qualité technique irréprochable, on s’ennuie un peu devant des productions aux sujets un peu convenus voir frileux. Seul « Achill » sort des sentiers battus et propose une patte d’auteur. A l’opposé, les deux films mexicains « La parka » et « Fable of a blood drained girl » percutent le spectateur là où il ne s’y attend pas. Avec un documentaire sur le travail d’un homme dans un abattoir et l’histoire d’une petite gosse de riche qui refuse les conventions, les réalisateurs mexicains prennent une longueur d’avance en matière d’audace.
Une mention spéciale peut également être décernée à la Belgique qui, en bon pays de l’humour, propose une des rares comédies de la sélection : « Welkom » de Pablo Munoz Gomez (prochainement visible au Festival de Clermont-Ferrand). Avec trois comédiens parfaitement drôles (Wim Willaert, Simon André et Jean-Jacques Rausin que nous avions rencontré à l’époque de Cannes), le film porte sur histoire toute bête de poulailler qui sous-tend un récit plus fort autour des tensions entre Flandres et Wallonie.
Ainsi, dans son intégralité, la sélection 2013 de la compétition internationale aura tenu ses promesses. Les films présentés portent en eux toute l’énergie de la jeunesse. Il y a là l’envie et la persévérance de ceux qui mettent de leur vie dans leurs films. Volontaires, engagés et audacieux, les jeunes réalisateurs étudiants nous ont captivés et proposé des films riches dignes de figurer dans les prochains programmes des plus grands festivals de courts métrages internationaux.