L’Etrange Festival qui s’est terminé il y a 10 jours a proposé cinq programmes de courts métrages. Pour les deux premiers, pas moins de 18 films ont été diffusés, tous très distincts dans leur réalisation et leur écriture. Ils témoignent cependant d’une certaine cohérence de programmation, à savoir donner à des films différents et originaux la chance de trouver leur place auprès du public.
Le programme n°1 fait la part belle à l’expérimental venu d’Allemagne, avec notamment « Hex Suffice Cache Ten » de Thorsten Fleisch, spécialiste du genre et adepte de figures visuelles et sonores agressives et radicales (il est notamment l’auteur du court métrage « Energie ! », source d’inspiration de Gaspar Noé pour « Enter The Void »). Avec ce nouveau film, Thorsten nous invite à un voyage cérébral mêlant corps humain et machine dans un univers cyberpunk et industriel, quelque part entre Shinya Tsukamoto et Marc Caro.
Autre film venu d’Allemagne, « Hollywood Movie » de Volker Schreiner est, quant à lui, un mashup d’extraits de films hollywoodiens dont il se sert, en ne gardant que quelques mots et gestes, pour pervertir le sens original des films en question et transmettre ses propres réflexions ironiques sur le cinéma américain. Un poil trop répétitif à la longue, le film est plutôt habile et efficace.
Flirtant aussi avec l’expérimental, « Set in Motion » de Michael Palm prend la forme d’un dispositif chorégraphique avec plusieurs danseurs contemporains qui interprètent un ballet au milieu de meubles, dans un hangar de stockage. Très ludique, le film se laisse aller à trop de systématisme, vite rébarbatif, mais il est suffisamment original dans son propos, c’est-à-dire la création d’un rapport particulier entre l’être humain et le meuble, pour susciter un intérêt particulier.
« Placeholder » de Doug Bayne, lui, se sert des techniques du Motion Design pour mettre en scène des images cauchemardesques, comme l’apparition d’un chat dément au fond d’une gorge humaine, le tout dans un objet filmique déjanté d’à peine 30 secondes. Œuvre complètement folle et revigorante, Placeholder parvient à remplir son office de transition, sous forme de décharge d’adrénaline.
De son côté, « Flytopia » de Karni Arieli, d’après une histoire de Will Self, est un trip hallucinatoire qui s’inscrit dans une veine fantastique classique. Un homme, peu habitué à la nature environnante de la campagne, notamment à la proximité et au bruit des insectes, sombre peu à peu dans une folie obsessionnelle, après avoir été laissé seul pendant quelques jours par sa compagne. Les insectes commencent à lui parler en formant des mots avec leurs corps, puis remplacent petit à petit sa compagne à tous les niveaux. Il est alors amené à passer un pacte avec eux. Dérangeant et intriguant, le film manque d’un poil de crédibilité, mais bénéficie d’une belle musique composée par Adrian Utley (guitariste de Portishead).
« The Great Rabbit » d’Atsushi Wada est un film d’animation, produit par Sacrebleu, qui sous des dehors d’objet filmique non identifié, prend l’allure d’un conte japonais. Très abscons et austère, ce film laisse plutôt froid quand l’on ne possède pas de clés pour le comprendre, malgré tout le succès et les récompenses qu’il a pu acquérir en festivals.
« The Giant » de David Raboy est un film sur le passage à l’âge adulte, avec tout ce que cela comporte comme sentiments de mort et d’abandon. Sombrant à plusieurs moments dans le cliché et le pathos, le réalisateur fait malgré tout preuve de bon goût au niveau de la bande sonore avec une succession de titres de Mazzy Star, Deerhunter ou TV On The Radio.
Enfin, « Alice in the Sky » de Jonas Meier et Mike Raths est un clip surréaliste réalisé pour le groupe suisse Rusconi (avec une participation de Fred Frith), dans lequel plusieurs animaux et êtres humains se donnent en spectacle dans une suite de tableaux absurdes et poétiques. Un univers très envoûtant et une belle prouesse technique.
Dans le programme n°2 de l’Etrange Festival, le cinéma d’animation se retrouve à l’honneur avec pas moins de trois films animés dans la sélection.
Déjà chroniqué sur le site, « Comme des Lapins » d’Osman Cerfon, produit par Je Suis Bien Content, suite du court métrage « Les Chroniques de la Poisse », voit l’homme à la tête de poisson (le même personnage que dans le premier film) participer à une fête foraine et redoubler de malchance dans tout ce qu’il entreprend. A mesure qu’il trébuche sur des obstacles, des bulles de malheur s’échappent de sa bouche et vont se loger au hasard sur plusieurs individus qui deviennent eux aussi malchanceux. Avec une idée de départ brillante et un humour caustique tout du long, « Comme des Lapins » était un sérieux choix pour le palmarès de cette année. Ce qui n’est pas le cas de « Lady and the Tooth » de Shaun Clark qui, malgré une histoire singulière qui utilise les dents comme bien le plus précieux dans la société, possède une animation particulièrement repoussante et assez éprouvante. Le style est bien entendu en accord avec l’ambiance générale assez malsaine, mais ne permet pas d’accrocher facilement.
« I’m Alone and My Head is on Fire » est, quant à lui, le nouveau délire hystérique de David O’Reilly, réalisateur très estimé, pratiquant un dessin numérique faussement naïf et hautement satirique. Cette animation d’à peine une minute, commandée pour une application iPad, raconte l’histoire d’un personnage avec la tête en feu qui traîne ce problème partout où il va, jusqu’à ce qu’il rencontre l’âme soeur, à l’apparence similaire. Au final, le fruit de leur passion deviendra un véritable jet de feu dévastateur. Même quand il doit composer avec les règles de la commande, l’univers de David O’Reilly reste toujours aussi drôle et irrévérencieux.
Le genre expérimental trouve également une place de choix dans ce programme n°2, avec notamment « Kreis Wr. Neustadt » de Johann Lurf, où dans un élan ludique et saugrenu, le réalisateur nous emmène à la rencontre de plusieurs dizaines de rond-points, vus depuis sa Vespa. « Last Day of Epsilon Eridani B » de Damon Mohl est, quant à lui, un film de SF plutôt alambiqué, qui voit un astronaute et son chien vivre leurs derniers instants sur une planète reculée et inhospitalière. « Trödelseide » de Simon Griesmayr relate l’histoire d’un propriétaire d’un magasin de curiosités, qui après s’être vu lui-même comme une curiosité, trouve un stratagème pour s’emballer de plastique et se mettre dans un coin, comme oeuvre à part entière. Le film est mal rythmé, cependant quelques images restent longtemps à l’esprit. Enfin, « Ahogo-IceCream » de Alisa Goddess, qui raconte la passion torride entre une crème glacée parlante et une fille, est un film musical expérimentant et jouant sur les textures, le rendu des couleurs et une symbolique sexuelle pas toujours de très bon goût.
Pour finir, deux fictions et un documentaire complètent cette sélection. « Elefante » de Pablo Larcuen est une comédie dramatique espagnole dans laquelle Manuel, looser magnifique, est victime d’une maladie pour le moins particulière : il se transforme petit à petit en éléphant. Alors que tout le monde le délaisse, son fils gardera intact son amour pour lui, au fil des années. Une comédie douce-amère, aux maquillages assez réussis, mais dont le propos aurait mérité d’être un peu plus creusé.
« The Voorman Problem » de Mark Gill est une fiction dramatique classieuse construite comme un épisode de la Quatrième Dimension. Le Dr Williams, interprété par Martin Freeman (« Le Hobbit », « Sherlock », « The Office »), doit examiner un prisonnier, M. Voorman, qui se prend pour Dieu. Alors que le septicisme est de mise pour le docteur, Voorman lui donne plusieurs preuves de sa bonne foi, notamment en rayant la Belgique de toute carte (private joke ou problème spécifique du réalisateur ?), et en échangeant sa place avec lui. Efficace et bien filmé, le récit aurait mérité d’être plus poussé, le film n’exploitant que très peu les possibilités de l’idée de départ.
Enfin, « A Story For The Modlins » de Sergio Oskam, évoqué au moment de Clermont-Ferrand (cf. critique), est un film documentaire fascinant qui, d’après une boîte d’archives retrouvées, retrace la vie d’Elmer Modlin et de sa famille, de leur repli sur eux-mêmes pendant des décennies et de l’obsession qu’ils ont nourrie autour de leur progéniture. L’idée brillante du film est de mettre cette histoire en parallèle avec l’information capitale comme quoi Elmer Modlin fut figurant sur « Rosemary’s Baby ». Quand on connait le mystère sulfureux entourant le film de Roman Polanski, notre imagination a vite fait d’associer tout cela au destin des Modlin et de favoriser une ambiance « d’inquiétante étrangeté ».
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