Grand Prix du Festival de Bruxelles, et sélectionné en compétition officielle, l’an passé, à Cannes, « Smáfuglar » de l’islandais Rúnar Rúnarsson traite de la perte de l’innocence et des prémisses de l’âge adulte, dans un contexte plus que délicat. Intense, pudique, et déroutant, le film est un véritable choc visuel.
Timide, il la regarde à la dérobée, n’osant soutenir son regard plus de quelques secondes. À une fête, influencé par un ami, il avale, tout comme elle, un comprimé de kétamine. Plus tard dans la soirée, le visage ruisselant de sueur et les yeux embués de larmes, il la retrouve, somnolente et étourdie, dans un lit. Il l’exhorte à s’en aller, et s’allonge à ses côtés en attendant qu’elle se relève. À son réveil, il est étendu dans le couloir. Il tourne la tête, ouvre péniblement les yeux, et la voit, inerte, en train de se faire violer. Incapable de bouger, il referme les yeux. Le lendemain, ayant repris ses esprits, il s’approche d’elle. Elle dort paisiblement, nue, sans se douter de ce qui lui est arrivé la nuit précédente. Il la considère quelques instants, avant d’ôter ses vêtements. Va-t-il imiter ses agresseurs ? Non, il se couche à ses côtés, la regarde tendrement, et caresse délicatement ses cheveux. En se réveillant, elle relève, par pudeur, le drap sur son corps. Leurs yeux se rencontrent. Elle ouvre la bouche : “J’ai été bonne ?” Il hoche doucement de la tête (faut-il lui révéler ce qui lui est arrivé ?) Elle poursuit : “Je suis contente que ça se soit passé avec toi.” Elle se rapproche de lui, ils se serrent l’un contre l’autre. Les “deux oiseaux” se sont rejoints.
Rarement, l’envie de parler d’un film dans son intégralité s’est fait autant ressentir qu’avec cette histoire d’amour, de tabou, et d’abnégation. Ces lignes pourraient se limiter au synopsis de « Smáfuglar », évoquer la jeunesse islandaise, les premiers émois, et la drogue, tout en omettant le viol et la chute poignante du récit. Sauf que la puissance du film repose sur plusieurs éléments de poids qui justifient une défense plus affirmée. Rúnar Rúnarsson adopte le parti pris de montrer explicitement l’agression, sans recourir au hors-champ, tout en maintenant une certaine distance et une pudeur dans son cadre. Fidèle aux thèmes du changement et du choix explorés à travers sa trilogie “Crossroads” (dont « Smáfuglar » est le deuxième volet), le réalisateur personnalise son scénario par le geste final du jeune garçon, son sacrifice, et sa préférence, le silence. Devant « Smáfuglar », ses échanges de regards gênés, son mélange de vulnérabilité et de rudesse, la blancheur de ses corps, sa superbe photo signée Sophie Ollson, et son silence écrasant lors des dernières minutes du film, le spectateur se sent démuni, dépossédé de ses certitudes. En proie à une émotion réelle, palpable, il vient d’expérimenter un film de ressenti.
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