« Attente d’une mort annoncée »
Pour Alina Rudnitskaya, le cinéma est témoignage. Dans son captivant « I Will Forget This Day », elle ambitionne de saisir les pensées des femmes cinq minutes avant leur avortement. Mention Spéciale à Courtisane.
Un entretien en caméra subjective dans un sobre noir et blanc rend compte du désespoir d’une jeune fille qui ne peut mettre des mots sur ce qu’elle vit. S’ensuit alors une série de portraits de femmes jeunes et moins jeunes, toutes filmées dans la même position, dans la même largeur de plans fixes. Elles attendent, le visage inquiet, anxieux et parfois défait. Ce qu’elles attendent, on l’ignore puis, on le devine peu à peu. Un pont sur la Neva, entièrement plongé dans une brume hivernale, fait alors étrangement écho au désarroi et à la solitude de ces femmes.
Pour traiter d’un sujet délicat, la réalisatrice a opté pour une mise en scène neutre et distanciée mettant en valeur un montage ingénieux. Le temps du film devient alors une donnée psychologique et l’attente est perçue avec une précision clinique. La réalisatrice joue d’ailleurs avec la notion de durée ; elle l’allonge, la rétrécit à sa guise, n’hésitant pas à répéter la même scène à l’infini tout en changeant de protagoniste. Ces duplications, au lieu de singulariser l’acte d’avorter, le pluralise et le place au sein d’une masse d’individu(e)s anonymes, uni(e)s dans la même souffrance.
Le tour de force de la documentariste est de faire ressortir l’intériorité de ces femmes par sa simple caméra. Leurs doutes et inquiétudes, leur angoisse et intimité se déploient dans chaque plan. Et pourtant il y a une vraie pudeur tout au long du film, car au-delà du dispositif, on sait le regard, de la réalisatrice doux et compatissant. Pour les scènes finales, elle décide de briser le contrat tacite qu’elle avait minutieusement établi avec son spectateur, elle boucle la boucle en montrant la suite des entretiens entre les patientes et la praticienne. Cette fois-ci, les jeunes femmes parlent et font éclater leur tristesse tandis que le personnel hospitalier ne cesse de leur faire prendre conscience de la gravité du moment. Mais ça, elles le savent, elles ne pourront d’ailleurs jamais oublier ce jour.
« I Will Forget This Day » capture superbement une certaine partie de l’essence féminine où vie et mort sont finalement si intimement liées.
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