Comme de coutume à Anima, une bonne part de la programmation de courts métrages en compétition se consacre aux films d’écoles. Position entièrement défendable, vu que le format court est après tout le principal medium d’expression employé dans le cadre scolaire, et que l’animation est le genre qui requiert le plus de connaissances techniques précises.
Premier constat : une grande partie des films ressemble plutôt à des expériences singulières en techniques d’animation, et, vu la prolifération exponentielle de celles-ci, leur exploitation au cinéma mérite assurément d’être encouragée. Ces films impressionnent donc sur le plan formel mais, en raison de leur parti pris de faire abstraction du contenu, ils laissent le spectateur sur sa faim. « Connan O’Brian » de Jacob Gilbreath (USA), par exemple, est un exercice de style en typographie cinétique fort louable, mais dont l’intérêt cinématographique, au-delà de l’illustration du discours d’adieu du présentateur américain, nous échappe. De même, « Graffitiger » (du Tchèque Libor Pixa), le tigre-graffiti déambulant sur les façades de la jungle urbaine pendant une dizaine de minutes, évoque et dépasse même le travail « mutant » de l’animateur italien Blu. Cependant, ici, on pourrait se poser la même question que dans « Muto » quant au manque de contenu cohérent en dehors de la technique prodigieuse.
D’autres films de la sélection montrent une tendance à associer le genre animé à un candide romantisme quasi enfantin. Ce resurgissement de l’héritage Disney paraîtrait pourtant anachronique. Dans cette veine passéiste se trouvent notamment « Reflet » et « Swing of Change », tous deux des projets collectifs de taille. Le premier, signé Josselin Bailly, Nastasia Bois, Jeremy Celeste, Thomas Dufresne, Brian Gossart, raconte le voyage d’une restauratrice des tableaux à travers le temps et l’espace (et les mediums) pour rencontrer le peintre de l’œuvre à laquelle elle est en train de redonner un nouveau souffle. Le deuxième, réalisé par Andy Le Cocq, Harmony Bouchard, Joakim Riedinger, Raphael Cenzi, dépeint le changement de cœur d’un très méchant monsieur raciste, lorsqu’il confisque la trompette d’un mendiant noir dans les rues de New York des années 30. Ces dessins et ce travail d’animation sont irréprochables, mais face à un tel manichéisme, on a l’impression que Scrooge vit toujours et que tout le discours sur la psychologie nuancée n’est que de l’hérésie postmoderniste.
Swing of Change from Swing of Change on Vimeo.
« Galeria » de Robert Proch (Pologne) est un court métrage délectable sur la société de la surconsommation, avec un dessin riche et une mise en scène soignée, et rythmé par une partition cocasse et sensuelle. Le travail formel, et notamment musical, est très réussi mais ne parvient malheureusement pas à combler les lacunes narratives ou à pousser la critique suffisamment loin. Le film reste au stade de l’esthétisation et son récit est dès lors d’autant plus fragilisé par le traitement frustrant d’un thème très pertinent et très courant.
Trois titres se démarquent toutefois du lot, en ce qu’ils réussissent de manière plus approfondie et plus aboutie à respecter un équilibre entre forme et contenu et à amener à l’animation toute la distinction dont elle est digne en tant que genre cinématographique à part entier.
« I’m Fine Thanks » de Eamonn O’Neill (Irlande) suit la vie d’un jeune homme pas comme les autres, dans un environnement hostile à sa différence. L’étudiant du Royal College of Arts de Londres dresse dans son film un portrait interpellant de la délinquance et des limites parfois très fines qui poussent un être au bord du gouffre. Comme dans « Ben X », « Elephant » ou plus récemment « We Need to Talk About Kevin », le résultat est aussi dramatique que crédible. Cependant, le ton reste particulièrement léger grâce notamment au dessin naïf, à un regard distancié et à un certain humour noir, qui parviennent à éliciter toute l’empathie du spectateur. Les questions de l’incommunicabilité et l’ostracisme et la socio-pathologie, ainsi que la juxtaposition de plusieurs scénarios tragiques, rendent la narration bien plus intelligente que ne laisse soupçonner l’image simpliste.
My Mother’s Coat (full version) from Moth on Vimeo.
« My Mother’s Coat » de Marie-Margaux Tsakiri-Scanatovits (GB/Irlande) se fait d’emblée remarquer par son image époustouflante, à laquelle s’ajoute un récit touchant et sobrement rendu. Largement (auto)biographique, ce documentaire se base sur le témoignage intime de la mère de la réalisatrice, qui à quitté Italie pour suivre son mari en Grèce. Là, elle a souffert du dépaysement et d’une certaine exclusion en raison de son statut d’étrangère. Le spectateur est surtout frappé par la ressemblance à la situation en Europe aujourd’hui, où ces formes de discriminations demeurent mais se sont déplacées vers d’autres sortes d’étrangers, la notion même d’expatrié ayant pris une connotation nettement plus positive que celle d’immigré. L’usage d’une voix-off dans un anglais articulé trahit une sensibilité au multiculturel chez la réalisatrice aux noms multiples. Le discours traduit admirablement le ressenti d’une femme qui raconte à sa fille adulte les difficultés rencontrées lors de son enfance, sans rancune ni doléance. Les dessins fins et élusifs en noir et blanc s’entachent subtilement de couleurs pour évoquer la tristesse, le passage du temps, le flou du souvenir. Telles les esquisses de Picasso, les plans laissent apercevoir les personnages seulement partiellement au lieu de les exposer. Ce n’est qu’à la fin, la narration en off terminée, qu’apparaît la live-action, pour donner enfin un visage à cette femme courageuse, qui pareille à un marsupial, protégea son enfant du monde inhospitalier derrière son manteau en fourrure.
« Conte de faits » de Jumi Yoon
Si les contes de fées sont nés dans la conscience collective humaine à partir d’un besoin d’échapper à la dure et laide réalité, le court métrage de Jumi Yoon est un exemple parfait du genre folklorique. Situé dans une maison close d’une Corée déchirée par la guerre 50-53, le récit suit les tentatives d’une mère de préserver l’innocence de son enfant face à la rapacité des GI envahisseurs. La petite, au prénom révélateur Nana, apprend très vite à se réfugier dans le monde imaginaire raconté par sa mère. Pour se sauver de l’emprise des clients saouls, elle plonge tête d’abord dans le décolleté ou les jupons de sa mère et des prostituées autour d’elle. Ces échappatoires, symboles matriciels à l’instar du manteau du film précédent, sont comme des portails permettant de passer d’un univers à l’autre. Au-delà du sordide, c’est la nature, l’idylle, et Nana est une biche qui savoure la beauté de ce monde. Yoon livre avec « Contes de faits » un magnifique tableau en peinture animée, mêlant esthétique, psychologie et social.
Consultez les fiches techniques de « I’m Fine Thanks », « My Mother’s Coat » et « Conte de faits »