« A Trip to the Orphanage » (Voyage à l’orphelinat) fait partie de ces court métrages fascinants et énigmatiques dont la beauté poétique vous saisit à la gorge et vous coupe le souffle. En seulement quatre minutes, Guy Maddin parvient à nous propulser dans la puissance de son univers cinématographique. Entre vision onirique et force émotionnelle, le film nous mystifie par sa symbolique visuelle et la profondeur de sa dimension musicale.
Avec les films « Sissi-Boy Slap-party » et « Sombra dolorosa », « A Trip to the Orphanage » participe à une série de courts métrages de 2004 qui prépare la sortie de son long sorti en 2006, « The Saddest Music in the World ». Plus exactement, le film est l’extension d’une des scènes du long métrage. Il en reprend, cette fois-ci en musique, le court passage où un inconnu errant dans les rues embrasse le personnage incarné par Maria de Medeiros, lui assénant une réplique sorti du néant : « Goodbye Mother ! ».
Auteur prolifique d’expériences cinématographiques, Guy Maddin ne cherche pas de narration explicite mais préfère plutôt nous amener à ressentir intensément le trouble d’un homme qui n’a pas connu de mère. L’émotion est là, planant au centre du film. La structure est symétrique avec un voyage entre trois personnages : un homme arpentant lentement les rues hivernales comme happé par son monde intérieur, une femme aux yeux immenses débordant de gravité, et une chanteuse fantomatique au timbre dramatique et déchirant. Au milieu, un plan central montre un jeune enfant en pleurs. La voix vibrante de la chanteuse nous transporte dans une atmosphère nostalgique et bouleversante alors que, derrière elle, on devine la grille de fer de l’orphelinat. La neige et le vent s’abattent sur la scène comme le poids d’un souvenir glacé, contribuant au frisson général. Des voiles diaphanes planent en surimpression dans l’image, estompant les silhouettes des personnages pour mieux en appuyer le mystère. Les contrastes du noir et blanc sont puissants et renforcent un abîme entre la pureté d’un enfant dans la mémoire de sa mère et l’obscurité froide et solitaire de la nuit. Avec ce court métrage, Guy Maddin reprend et amplifie le thème de l’amour maternel perdu dans une œuvre surréaliste d’accès difficile mais à la charge émotionnelle intense et universelle.