Romain Roll, natif du Luxembourg, s’est fait connaître pour plein de trucs (critique, directeur de festival, producteur). C’est pourtant en tant que coordinateur de la Fédération du Festival du Film Fantastique Européen (plein de F, ça donne EFFFF) et organisateur du Méliès d’Or qu’il a été invité cette année au festival Court Métrange. Dans quel but ? Celui de juger si la manifestation de genre rennaise remplissait les conditions d’adhésion à la Fédération (la réponse est oui). Rencontre autour du fantastique, de l’éducation à l’image et de Georges Méliès.
Tu as commencé à œuvrer autour du cinéma via le ciné-club de ton école. Quel souvenir en gardes-tu ?
A l’époque des ciné-clubs, dans les années 70, c’était assez particulier au Luxembourg : chaque grande école avait son ciné-club. On choisissait les films (en 16 mm) d’après un catalogue très spécifique. Une fois par an, avait lieu un grand meeting avec tous les ciné-clubs : on discutait des films qu’on voulait programmer et si un même titre intéressait plusieurs écoles, on créait un circuit pour réduire les coûts de circulation. Dans mon école, on était à deux à faire la programmation, l’un de nos professeurs, un fanatique de cinéma, nous a beaucoup conseillé sur des films qu’on ne trouvait pas en dehors des salles commerciales. A cette époque, j’allais aussi beaucoup à la Cinémathèque et je suis très vite arrivé au fantastique.
Les ciné-clubs existent-ils encore au Luxembourg ?
Non, malheureusement, ça n’existe plus aujourd’hui. C’était une sorte d’éducation à l’image, les écoles y consacraient beaucoup de valeur. A l’époque, il n’y avait pas de festivals, la programmation des cinémas était très médiocre parce que les films arrivaient au Luxembourg assez tard.
Tu as mentionné le mot fantastique. Qu’est-ce que ce que cinéma a pu apporter à ton parcours ? En quoi est-ce une source de référence, d’influence aussi ?
Le fantastique reflète notre société dans diverses circonstances, dans ses hauts et ses bas. Ayant longtemps été directeur d’un festival fantastique, j’ai remarqué que des gens ont osé sortir de leur cocon et tissé des liens entre eux. Ces gens qui avaient des peurs et des faiblesses (peur de la société, de se dévoiler, …), qu’on retrouve dans leurs film, ne se sentaient plus prisonniers ou seuls et ont commencé à s’exprimer et à former petit à petit une grande famille. Je crois que je me suis retrouvé et que je me retrouve encore dans cet univers assez unique.
Comment est-ce que ça s’est passé quand tu as monté ton festival (The Luxembourg International Film Festival Cinénygma) ?
J’ai commencé début 92. On a vu dès la première édition que les gens voulaient découvrir un genre et des films qu’ils n’avaient jamais vus auparavant ou qui sortaient beaucoup plus tard après leur sortie en salle. Voir ces films en salle avec des invités (réalisateurs, producteurs, acteurs), c’était quelque chose qui n’existait pas au Luxembourg. Les amis du BIFF (Brussels International Fantastic Film Festival) m’ont aidé à créer un festival et à éduquer les gens à quelque chose de nouveau et les inciter à participer activement dans la salle. A Bruxelles comme à Luxembourg, les gens étaient libres d’applaudir, de crier, de s’exprimer devant le film qu’ils voyaient, si ils le voulaient.
Le projet de la Fédération du Festival du Film Fantastique Européen (EFFFF) est-il juste de réunir les festivals européens et de donner plus d’éclat au cinéma fantastique ? Ou bien ressentez-vous une fragilité, un besoin de lutter contre des a priori face au cinéma de genre ?
Chaque festival adhérent peut très bien se débrouiller sans la Fédération. Il a dans son propre pays son identité, sa place dans la vie culturelle, cela ne veut pas dire que sans la Fédération, il serait moins crédible. Par contre, en étant regroupés, les festivals sont beaucoup plus forts parce qu’ils s’entraident pour la programmation et peuvent faire circuler les copies de films qu’ils apprécient à moindre coûts. La Fédération marque aussi une amitié entre des gens qui se connaissent depuis très longtemps et a comme de devoir de soutenir avant tout le fantastique européen, raison pour laquelle on prime par le biais des Méliès d’or le meilleur long métrage et le meilleur court métrage européens.
Pourquoi ces prix ont-ils été appelés les Méliès ?
Georges Méliès est notre maître à tous. Pour certains, ce sont les frères Lumière, mais pour nous, Méliès est LE visionnaire, le maître du fantastique, forcément, on a souhaité donner son nom à nos prix. Il est protégé, mais la famille Méliès était ravie qu’on l’utilise pour ce prix. Lors de la première cérémonie du Méliès d’Or, à Bruxelles, en 1996, on a montré les vieux films Méliès en présence de Marie-Hélène Méliès et de son beau-fils qui accompagnait la projection au piano. C’était un moment magique qui reste encore aujourd’hui en mémoire.
Vous faites par cette occasion intervenir le fait que dès le départ, le cinéma était déjà fantastique…
Voilà, tout à fait. Dès le départ, le cinéma était un cinéma fantastique. Je crois que beaucoup de gens ont perdu cela de mémoire ou ne veulent pas le savoir. On le voit d’ailleurs à Cannes : il y a une salle Lumière (cf. Grand Théâtre Lumière), pourquoi n’y en a-t-il pas une consacrée à Méliès ?
Cette année, on a quand même montré « Le Voyage dans la lune », en version colorisée et musicale de Méliès à Cannes !
Oui, mais dans la salle Bazin. A Cannes, je crois qu’il faudrait absolument y avoir une salle Méliès, ce serait un vrai hommage à ce grand personnage qui a su révéler le vrai cinéma.
A la Fédération, vous avez d’abord soutenu les longs, puis les courts. Pourquoi remettez-vous dorénavant un prix dans les deux catégories ?
Au début, on n’avait que des prix pour le long mais on a évolué : beaucoup de festivals de notre réseau avaient des compétitions de courts et on voyait des choses vraiment magnifiques dans ce format-là. Avec ce prix-là, je crois qu’on peut aider de nouveaux talents à émerger et leur donner une chance pour poursuivre sa carrière.
Cette année, vous avez primé « Balada Triste de trompeta » d’Álex de la Iglesia et « Suiker » de Jeroen Annokkee. Le premier a émergé depuis longtemps, Jeroen Annokkee, par contre, c’est quelqu’un que vous allez suivre ?
Tout à fait, c’est le futur. On veut suivre des carrières comme la sienne, à l’image de celle d’autres jeunes réalisateurs qui ont remporté le Méliès d’Or et qui ont poursuivi dans le long métrage de manière intéressante.
Si un festival comme Court Métrange a envie de vous rejoindre, quelles sont les conditions d’adhésion ?
On soutient les grands festivals comme les plus petits si les critères sont réunis. Evidemment, le festival doit être un festival de genre ou comporter une très grande section de fantastique, avec une programmation européenne et une projection dans de bonnes conditions. Il doit avoir une visibilité, un public, et travailler autour de l’accueil des invités et de la presse.
En faisant ce travail depuis plusieurs années, trouves-tu que le public généraliste s’est ouvert de plus en plus au fantastique ? Est-ce c’est lié au succès de certains films ?
Oui. On a constaté une nouvelle approche vis-à-vis du fantastique avec à de très grandes productions, hollywoodiennes, comme « Le Seigneur des anneaux » mais aussi avec « Morse ». De façon générale, le fantastique devient de plus en plus important dans les pays scandinaves. Certains pays auxquels on ne pense pas sont en train d’émerger dans le fantastique. L’Afrique du Nord va bientôt suivre dans le domaine, et je suis certain que l’Inde aussi. On peut et on veut soutenir ces pays-là, via notre réseau.
Propos recueillis par Katia Bayer