Sirot-Balboni, le nom sonne comme un remède à la morosité ambiante et pour cause, à en juger leur dernier film qui revisite avec beaucoup d’humour le conte du “Petit chaperon rouge”. Sélectionné en compétition nationale au Festival du court métrage de Bruxelles, « La Version du loup » a reçu une Mention Spéciale pour le Prix Be TV. Rencontre avec le couple qui subit les influences positives de Gilliam, Fellini, Greenaway ou encore Abel et Gordon.
En venant de deux milieux artistiques différents, le cinéma pour toi Raphaël et le théâtre pour toi Ann, comment vous est venue l’envie de collaborer?
Ann: On s’est rencontrés sur des travaux qu’on avait faits chacun de notre côté. Raphaël m’a fait voir son travail de fin d’études “Les Habitants” et comme à cette époque-là, j’étais en train de suivre une formation d’écriture dramatique, je lui ai fait lire « L’oeil tambour”, une pièce que j’avais écrite.
Raphaël: En lisant la pièce d’Ann, je me suis tout de suite dit qu’il fallait l’adapter au cinéma. C’est d’ailleurs de cela que notre deuxième court métrage “Juste la lettre T” a été inspiré.
On vous décrit facilement comme amateurs de fables et de mythologies ordinaires. Pourquoi cet intérêt pour les univers décalés?
Ann: Je sais que ce qui nous intéresse là-dedans, c’est de traiter des choses banales, de traiter des situations que l’on peut traverser dans la vie réelle et de les enrober d’une atmosphère particulière.
Concrètement, comment travaillez-vous?
Raphaël: Ann écrit le scénario et moi j’en suis simplement le lecteur. Je suis le travail depuis le début, on en discute. On travaille assez séparément, finalement puisqu’Ann écrit de son côté. Pour la réalisation, on fait tout à deux. Après, c’est vrai qu’Ann est vraiment la garante, elle est un peu la colonne vertébrale des films parce qu’elle a écrit l’histoire. Par exemple, elle saura tout de suite quelle affiche il faudrait mettre dans tel décor. Moi, j’interviens davantage au niveau du découpage et au niveau du rythme.
Ann: Ce qui est intéressant dans le fait de travailler à deux c’est qu’on ne veut surtout pas être dans une logique de compromis, mais plutôt être dans une logique de plus de précision, plus d’exigence car il est plus difficile de convaincre deux personnes qu’une seule. Ce qui est bien quand on est deux c’est qu’on est déjà un petit public.
Raphaël: Mais ce problème de compromis arrive plus souvent au montage, en fait. En ce qui concerne le scénario et la préparation, on tombe facilement d’accord.
bande annonce « Dernière Partie » from Ann SIROT & Raphaël BALBONI on Vimeo.
Si on regarde vos trois films communs “Dernière Partie”, “Juste la lettre T” et “La Version du loup”, on constate que la musique a beaucoup d’importance. Au-delà d’illustrer, elle rythme l’action et la narration. Vous mettez en valeur des univers sonores qui font partie intégrante du récit.
Ann: Oui, c’est très important. Pour nous la musique est là pour nous aider à soutenir un univers. Par exemple dans “Juste la Lettre T”, on tenait vraiment à cette musique très mathématique de Bach. Parce qu’on est dans un monde un peu post-apocalyptique, devenu très codé, avec peu de ressources, un monde où l’on doit vivre dans une grande promiscuité. On voulait vraiment une musique très réglée et très sobre.
Raphaël: Cela permet de donner le ton aussi. Sur “Dernière partie”, c’est un peu différent car la musique vient très tard et vient plus comme accompagnement rythmique de la montée de cette partie éclatée de la fin. Mais dans “Juste la lettre T” et dans “La Version du loup”, la musique donne le ton.
Ann: En fait dans “La Version du loup”, cela donne la bonne distance au spectateur. C’est très intéressant car vu que c’est une adaptation du “Chaperon rouge” et que nous, on rigole avec ce conte, on voulait vraiment que le public fasse partie de cette blague et la musique de Django Reinhardt permet assez efficacement de mettre le spectateur à la bonne place. Dès les premières notes, on comprend un petit peu l’état dans lequel il faut regarder le film.
bande annonce « La Version du Loup » from Ann SIROT & Raphaël BALBONI on Vimeo.
Avec ce film, vous offrez quelque chose de beaucoup plus léger que ce que vous avez fait jusqu’à présent. Pourquoi?
Ann: Le projet est né d’une envie pressante de tourner. En attendant que “Fable Domestique”, notre prochain film, se fasse, on voulait absolument tourner quelque chose de différent.
Raphaël: “Dernière partie” aussi, on l’a fait parce qu’on ne voulait pas attendre que “Juste la letter T” soit terminé. “La Version du loup”, c’est pareil. Ce sont deux courts métrages faits avec très peu de moyens.
Ann: Oui, Dernière partie” était vraiment une espèce d’expérience, on est partis sans scénario, avec juste des balises et ensuite on écrivait les scènes sur place, pendant le tournage, c’est une expérience de formule alternative.
Raphaël: Il y a aussi le fait que l’on vienne de deux milieux différents. On a confronté un peu nos façons de travailler et j’ai été vraiment étonné de voir que sur mon film de fin d’études, “Les Habitants”, je me suis retrouvé à voir mes comédiens 2X 2h alors qu’An travaillait dans une Compagnie où il y a peut-être 3 mois de création où les comédiens et le metteur en scène se voient tous les jours. C’est centré différemment, au théâtre, les comédiens participent beaucoup plus. Et là, on s’est inspirés de cette façon de faire, on avait un lieu donné, des comédiens donnés, on avait une trame et on a construit petit à petit. C’est une expérience qui reste limite car on s’est retrouvés sur le tournage sans avoir la fin du film.
Ann: C’était une expérience vraiment intéressante qui nous a montré aussi que cette façon de faire n’était pas vraiment adaptée au cinéma.
Justement, dans la “Version du loup” particulièrement, on remarque ce mélange de théâtre et cinéma ce qui en fait un produit un peu hybride.
Raphaël: Oui, tout à fait. D’ailleurs les coulisses que l’on voit sont clairement des coulisses de théâtre. Le comédien qui se change seul par exemple, c’est aussi quelque chose qui au cinéma n’existe pas vraiment, c’est très théâtral.
Etait-ce pour rester dans le ton burlesque du film?
Ann: En fait, moi, ce qui m’intéressait dans l’histoire c’est que le loup est un personnage qui se déguise, qui fait semblant. Je trouvais cela assez fascinant. Du coup, on se disait que si ce personnage était un comédien, il fallait transformer l’histoire car on voulait que les deux fassent semblant. Et forcément, vu que les comédiens changent de costumes eux-mêmes, on trouvait intéressant d’utiliser des coulisses.
Et pourquoi ce conte plus qu’un autre?
Ann: Par rapport au personnage du loup notamment mais aussi parce qu’on voulait partir d’une histoire que tout le monde connaissait et comprenait car ce que l’on nous reprochait souvent c’était justement de n’être pas assez compréhensible dans ce que l’on faisait. Inutile de dire qu’avec “Le Petit chaperon rouge” on était certains d’être compris.
bande-annonce « Juste la Lettre T » from Ann SIROT & Raphaël BALBONI on Vimeo.
Dans le film, on revoit avec plaisir Jean-Jacques Rausin aperçu dans “Juste la lettre T” en même temps que l’on découvre la pétillante Ana Cembrero Coca. Ce sont des choix de casting?
Raphaël: Pas vraiment. En fait l’idée dé départ du film était de faire un troc de talents entre nous deux et un autre couple d’artistes, Ana (le chaperon) et Jorge (le chef-opérateur). Ils font des films de danse, elle est danseuse-chorégraphe, réalisatrice et lui est chef opérateur, réalisateur. Le troc consistait à partir à quatre quelque part et à réussir à faire deux films, chacun travaillant pour l’autre. Donc “La Version du loup” a été écrit en fonction d’Ana qui allait jouer le chaperon. Après, pour le loup, le choix de Jean-Jacques Rausin s’est vite présenté à nous vu qu’on l’avait déjà vu jouer.
En parlant des comédiens, Ann, dans “Dernière partie” tu joues mais tu n’as plus joué depuis. Est-ce un hasard ou une volonté?
Ann: C’est une volonté, parce que c’est assez compliqué d’être à la fois devant et derrière la caméra. Je sais qu’il y a pas mal de gens qui le font mais moi, je n’aime pas trop. J’ai joué une période mais le jeu était vraiment une transition vers l’écriture et vers la réalisation. Aujourd’hui, je sais que je me sens bien plus à ma place derrière la caméra que devant.
Quelques mots sur “Fable domestique” votre prochain film?
Ann: Cela se passe dans une maison, dans un univers onirique et métaphorique. C’est un voyage à travers le sentiment de jalousie. L’idée était de partir de quelque chose de banal, quelque chose que tout le monde a déjà vécu. Partir d’une réalité psychologique et ensuite de la traiter à l’aide d’une métaphore.
Raphaël: Pour ce film, ce qui est intéressant c’est que c’est un casting de gens qu’on ne connaît pas du tout. On tourne cet été. On est en repérage.
Propos recueillis par Marie Bergeret
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Article associé : la critique de « Juste la lettre T » et la critique de « La Version du loup »
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