« Il existe des formes cinématographiques minoritaires et alternatives qui participent d’un cinéma plus exigeant, plus rigoureux, plus novateur d’un point de vue formel », affirme Sylvain George, l’un des invités d’honneur du Festival Courtisane. Ce cinéma, davantage que les autres, souffre d’une diffusion marginale et reste souvent incompris du grand public. Chaque année, le festival gantois nous fait part d’une production éclectique et bien vivace. Dans la sélection, « Kopfüber im Geäst » (Hanging Upside Down In the Branches) de Ute Aurand et « Qu Da Hai De Lu Shang » (On the Way to the Sea) de Tao Gu, Prix Spécial du Jury Labo à Clermont-Ferrand, sont deux films qui interprètent le souvenir de façon personnelle et convaincante.
Kopfüber im Geäst (Hanging Upside Down In The Branches) de Ute Aurand
Ute Aurand serait née une caméra à la main que cela ne nous étonnerait pas tant elle aime filmer tout ce qui l’entoure. Pour « Kopfüber im Geäst », elle a rassemblé une série d’images récoltées au fil du temps et les a montées pour en faire un film, un journal intime, le portrait généreux et émouvant de ses parents tous deux disparus. Des vacances à la neige, aux soirées intimes entre amis, de la nature florissante aux mains vieillies et immobiles de son père, Aurand ne semble rien nous cacher et plus que dévoiler, elle révèle la souvenance de moments révolus. Sans doute une manière de surmonter l’angoisse du temps qui passe et de (re)faire vivre ce qui a été et qui n’est plus. En guise d’épitaphe, un magnifique hommage visuel, aussi subjectif que la mémoire, aussi muet et saccadé que le cinéma des premiers temps, aussi impressionniste que les documentaires de Storck ou d’Ivens. La cinéaste construit son film par bribes grâce à un montage non linéaire qui appréhende les événements par les fragments qui les composent. Et bien au-delà de l’effet stylistique et du sujet anecdotique, Aurand arrive à tisser des liens narratifs cohérents, à nous faire ressentir la vie de personnes que nous ne connaîtrons jamais. Paradoxalement, l’absence totale de son renforce l’échange avec le spectateur, devenu confident et l’oblige à se libérer du carcan confortable (et parfois abrutissant) dans lequel le cinéma moderne l’a cloisonné. Une écriture cinématographique délicate et poétique qui rappelle les portraits intimistes de l’Ecossaise Margaret Tait.
Qu Da Hai De Lu Shang (On the Way to the Sea) de Tao Gu
Difficile de témoigner de ce qui n’est plus, difficile encore de filmer l’irreprésentable. Pourtant, avec son film, le cinéaste expérimental Tao Gu signe un documentaire d’une pertinence remarquable sur le tremblement de terre qui a touché la région chinoise de Wenchuan le 12 mai 2008. En allant vers la mer, des fragments d’images fictionnelles se mêlent savamment à des images réelles qui nous conduisent dans des contrées surnaturelles et nous emportent pour une expérience sensorielle unique. Images et son restent volontairement en décalage, en désaccord, renforcent la dépendance de l’un à l’autre, soulignent l’importance de l’un et l’autre. Par une déconstruction narrative d’un montage mosaïque fait de sensations, d’impressions confrontées à d’authentiques archives, le réalisateur interprète de manière onirique ce qui a pu se passer, ce que ses parents ont sans doute vécu. Puisqu’il n’y était pas, il ne peut que se l’imaginer, comme le personnage féminin de « Hiroshima mon amour » qui n’a de cesse de dire qu’il a tout vu. La perte, le souvenir d’un traumatisme collectif est ainsi traité avec une grande sensibilité mettant en avant une temporalité multiple, Tao Gu montre à quel point la nature humaine est fragile et à quel point ce qui est construit peu soudainement disparaître en un brouillard poussiéreux et chaotique.
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