Auréolée en 2010 à Clermont-Ferrand et à Annecy notamment, pour son court métrage « Sinna Mann », la réalisatrice norvégienne Anita Killi, fidèle aux méthodes traditionnelles de l’animation, aime opposer dans ses films une forme simple et naïve à des sujets forts, tels que la guerre ou la violence domestique dans le but de susciter le débat.
Ton style et ta façon artisanale de travailler restent en marge du paysage contemporain de l’animation. Quelles sont tes influences artistiques ?
Naturellement, comme beaucoup, j’ai été fort influencée par le travail du Russe Youri Norstein. J’aime beaucoup ses plans parce que, en tant que spectateur on peut choisir ce que l’on veut voir tant ces images sont travaillées et détaillées. J’aime aussi beaucoup la poésie qui s’en dégage. La notion de temps y est étirée, c’est un cinéma fort contemplatif. Mais quand j’étais étudiante, j’ai également été influencée par l’animation venue d’Europe de l’Est, de Tchéquie, par exemple.
Tu es venue présenter « Sinna Mann » à Anima, pourquoi avoir choisi d’adapter cette histoire ?
J’étais à la recherche d’une histoire et j’en ai lues beaucoup avant de tomber sur le travail de Gro Dahle et de son mari, l’illustrateur Svein Nyhus. Au départ, je voulais adapter un autre roman, « Kind » mais lorsque j’ai contacté Gro, elle m’a dit que le projet d’adaptation était déjà pris par quelqu’un d’autre. J’ai alors découvert « Sinna Mann » et j’en suis littéralement tombée amoureuse. Même si certains me disaient que c’était peut-être un sujet trop difficile à adapter, je trouvais au contraire que c’était très intéressant. J’avais envie de m’adresser aux enfants mais surtout aux adultes, aux pères abusifs, aux mères silencieuses qui pourraient éventuellement se remettre en question après avoir vu le film en se disant : « Je n’ai pas envie de ressembler à cela ». J’ai alors entamé des recherches sur la violence et je me suis rendue compte que dans les films d’animation, celle-ci était abordée par l’utilisation d’animaux pour camper les personnages. J’ai trouvé cela dommage qu’au XXIème siècle, on n’était toujours pas capable de s’adresser aux enfants sans passer par l’allégorie ou la métaphore.
En jetant un regard à ta filmographie, on constate très vite ton désir de faire passer un message fort à travers une animation « enfantine ». Pourquoi ce choix ?
Parce que le plus important pour moi, c’est de faire des films que les enfants puissent regarder en se posant des questions. Mais je pense que mes films, « Sinna Mann » et « The Hedge of Thorns » en particulier, sont des films d’enfants qui s’adressent principalement aux adultes.
Quelle est la réaction des enfants quand ils voient ces films ?
Ils ne sont pas effrayés. Pour eux, les thèmes que j’aborde (la guerre et la violence domestique) sont en quelque sorte naturels, j’ignore pourquoi mais en général, la réaction des adultes est souvent plus forte. Les enfants aiment poser des questions, ils se demandent pourquoi le père dans « Sinna Mann » est fâché ou encore pourquoi le père dans « The Hedge of Thorns » revient de la guerre avec une médaille. Certains disent que c’est parce qu’il a gagné la guerre alors que d’autres pensent que c’est parce qu’il a tué des gens. Les questions que ces films suscitent auprès des enfants m’intéressent beaucoup et motivent mon travail de création.
En quoi consiste ta façon de travailler ?
C’est assez artisanal. Cela s’appelle le « cut-out ». J’élabore un story-board détaillé, ensuite, je dessine tous les décors et les personnages, je les découpe et j’assemble les personnages afin qu’il puissent bouger leurs membres. Je réalise l’animation de façon chronologique en plaçant les décors et les personnages sous des plaques de verres de 60 à 90 cm d’épaisseur. J’ai environ une petite dizaine de niveaux de plaques de verre différents. Au-dessus de tout cela, je place une caméra 35 mm qui peut se déplacer verticalement et horizontalement.
Comment gères-tu l’arrivée des nouvelles technologies ?
Je ne sais pas du tout comment gérer cela. J’imagine que je dois intégrer ces nouvelles technologies, certainement plus rapides. D’autant plus que j’ai un projet de long et je me rends compte que ma façon de travailler coûte trop cher parce qu’elle prend plus de temps. Par ailleurs, je travaille un peu « à l’aveugle » puisque je ne peux pas toujours visualiser ce que je filme, d’une certaine façon, c’est un peu risqué. J’avoue que je suis fort partagée car j’ai l’impression que les gens ne trouvent pas le « cut-out » assez intéressant or j’ai envie de leur prouver le contraire.
Penses-tu qu’en abandonnant le « cut-out », tu perdrais un peu de ton art ?
Exactement, et c’est cela qui me fait un peu peur ; perdre les sensations et l’atmosphère que j’essaye de faire passer grâce à cette façon de travailler. D’un autre côté, je sais que cela pourrait être intéressant étant donné que je ne connais absolument rien en informatique, je peux juste envoyer des e-mails. C’est la raison pour laquelle j’aime beaucoup me rendre en festivals, pour voir des films et rencontrer des gens qui travaillent différemment. Je trouve cela très enrichissant.
Tu parlais d’un projet de long-métrage…
Oui, parce que mon père et mon mari me disent que je devrais songer à commencer à gagner de l’argent avec mes films, ce qui n’est pas vraiment le cas avec le court métrage. Le long est encore une adaptation. J’ai eu envie d’utiliser un personnage de la tradition norvégienne, celui du gnome qui apparaît pendant la période de Noël. Contrairement au Père Noël, il n’offre pas de cadeaux. Il est doux et prend soin des animaux et des hommes mais il peut aussi se montrer diabolique avec ceux qui ne respectent ni la nature, ni les autres. J’y ai volontairement ajouté le personnage d’une petite fille qui comme le gnome, refuse la société de consommation et la superficialité entourant la fête de Noël, aujourd’hui. De même, on peut y voir les différences entre la ville et la campagne. Moi, je viens de la campagne, nous avons une ferme. Dans le film, je voudrais montrer l’atmosphère de la vie à la ferme et essayer de rendre les choses plus réelles. Je trouve cela important, même en animation. J’aime l’idée que je m’inspire aussi de ma vie pour écrire des histoires.
Propos recueillis par Marie Bergeret
Article associé : la critique de « Sinna Mann »
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