Présidente du Jury au dernier Festival du court métrage de Lille, Laetitia Masson ( « Je suis venue te dire », « En avoir (ou pas) », « A vendre », …) est une actrice/réalisatrice rebelle et contemplative inspirée par l’amour de l’être humain et la prise de risques au cinéma. Jeu de regards, jeu de questions.
Tu as fait la Fémis au début des années 90 alors qu’elle n’en était qu’à ses balbutiements. Comment voyais-tu l’école à cette époque ?
C’est un moment très important dans mon histoire. En tant que provinciale, originaire de Nancy, je ne connaissais absolument personne dans le cinéma. J’avais fait un court métrage avant de rentrer à la Fémis mais ça ne m’autorisait aucunement à penser que j’étais légitime dans la profession. J’étais assez timide et je sentais que j’avais besoin d’une structure. La Fémis a donc été salvatrice pour moi, d’une part j’y ai rencontré des gens de ma génération qui pensaient comme moi et pour qui le cinéma était très important, et d’autre part, j’ai appris énormément en ce qui concerne la technique. Par ailleurs, ce qui était intéressant, c’est que comme c’était le début, l’école se cherchait encore, expérimentait des choses, n’était pas figée. Je pense que c’est toujours mieux une institution qui doute qu’une institution qui est sûre d’elle. Maintenant, j’ai l’impression que l’école est devenue une sorte d’usine à fournir une industrie du cinéma et à fabriquer des gens qui vont faire des téléfilms. Nous, on était des rebelles, des idéalistes un peu fous. On se disait que le cinéma pouvait être une expression artistique en soi et pas seulement un métier. D’ailleurs, très peu de gens de ma promotion ont réalisé des films par la suite.
Aujourd’hui, en tant que cinéaste confirmée, que retiens-tu de ton apprentissage à la Fémis ?
Moi, j’ai pris l’école très simplement. Je voulais faire du cinéma. Je suis rentrée pour faire de l’image et je voulais naturellement faire des films. Le directeur et le créateur de l’école, Jack Gajos, un homme formidable et en même temps fort critiqué, repérait des individus à part, et au lieu de les faire rentrer dans le rang, il les mettait en valeur. C’était parfois injuste parce qu’il pouvait accorder de l’attention à des étudiants qui n’étaient pas dans la section réalisation, ce qui était mon cas.
En fait, mon histoire n’est faite que de rencontres avec des personnes qui à un moment donné m’ont repérée et m’ont fait confiance là où d’autres me trouvaient bizarre et nulle. Jack m’a donné l’assurance d’oser écrire, de développer une histoire, de choisir des acteurs, enfin, de réaliser un film. Très vite, à l’école, dès que je posais ma caméra, ce que je disais, la manière dont j’apparaissais provoquait rejet ou acceptation. Depuis, dans mon métier, ce comportement est plus ou moins resté.
Comment ton film de fin d’études, « Un souvenir de soleil », a-t-il été perçu ? Etais-tu encore dans cette idée de rejet, de marge ?
Oui. J’étais en département image et je faisais un film sur la lumière naturelle. Alors que tout le monde étudiait la manière de manier les projecteurs, je me disais qu’avant d’intervenir, il fallait regarder, observer les choses. A ce moment-là, j’avais été repérée par mon deuxième mentor, Caroline Champetier, une très grande chef opératrice qui fut ma directrice d’études, par la même occasion. Elle m’a protégée, comme d’autres. Une fois que je suis entrée à l’école, je n’étais plus seule.
Ton parcours est fort varié, il est fait de clips, de films de commande, de courts métrages, … Au bout d’un moment, tu t’es mise au long. Etait-ce parce que tu avais le sentiment de ne pas être prête ou parce que tu avais envie d’expérimenter plusieurs choses différentes ?
J’ai effectivement fait des courts, des longs, j’ai même travaillé comme scripte. Je peux être créative dans mille situation, je m’en rends mieux compte maintenant. Aujourd’hui, je peux faire un film avec beaucoup ou avec rien. C’est pour cela que j’accepte les commandes, parce que je vois bien que je suis suffisamment forte pour les faire imploser de l’intérieur tout en gardant un cadre. En tant que cinéaste, j’ai avant tout besoin de créer, de créer et de créer encore…
Plus spécifiquement, quand on regarde ton cinéma, on s’aperçoit que certains de tes films (« Pourquoi (pas) le Brésil », « Je suis venue te dire »,…) ont des accents autobiographiques. Est-ce ta façon de prendre des risques ou cela répond-il à un besoin de te mettre en scène ?
Je ne sais pas, chaque film est différent. Selon le sujet, je ressens le besoin de faire passer les choses de façon souterraine, de ne pas m’exposer de trop et par moments au contraire, j’ai besoin de mettre mon corps en jeu pour prendre ce risque-là. Mais si je le fais, c’est davantage dans une optique comique. J’essaie de démystifier le rôle de l’artiste et du réalisateur, de dire que c’est aussi un être humain qui a ses doutes et ses névroses. Au moment où j’ai réalisé « Pourquoi (pas) le Brésil », c’était un moment très difficile pour moi, une période creuse. J’ai donc décidé de me mettre en scène et de montrer par exemple le producteur Alain Sarde en train de me démonter, de me dire : “votre cinéma, c’est de la merde”. J’avais besoin que les gens voient que les cinéastes sont aussi faits de chair et d’os. Après, il y a aussi le côté où j’ai besoin d’expérimenter le fait d’être acteur, de se mettre à nu, d’être filmé. C’est quelque chose d’assez violent d’être tout le temps regardé et jugé. Pas étonnant qu’ils soient tous dingues (ou presque) !
Comme tu joues parfois dans des films ou que tu te mets en scène, comment envisages-tu ta relation avec les acteurs au moment de les diriger ?
Avant tout, j’ai besoin de les aimer. Je ne pourrai pas tourner avec un acteur que je n’aime pas. Etant donné que je suis une cinéaste contemplative, je suis comme un peintre. Je regarde avec ma caméra, je peux filmer un visage pendant des heures. J’ai tourné avec de très grands acteurs comme Adjani qui peuvent tout jouer mais aussi avec des gens qui ont un créneau plus limité mais qui ont une personnalité très forte, tout comme j’ai tourné avec des gens qui n’étaient pas acteurs. En fait, c’est l’être humain qui m’intéresse. Par exemple, pour « Un souvenir de soleil », j’ai eu envie de filmer le coursier de la Fémis. Il avait un visage tout droit sorti d’un tableau du Louvre. Voilà, c’est ma façon d’être dans la vie. Par exemple, là, vous avez l’impression que je vous parle, mais je vous regarde aussi. J’ai des visions, des arrières-pensées qui apparaissent…
Tu as souvent fait référence à l’idée du ressenti des choses pour pouvoir les écrire et les réaliser. Est-ce toujours d’actualité ?
Oui, malheureusement. A cause de cela, il y des choses que je ne pourrai jamais faire, ni pour l’argent, ni pour la gloire. Il m’est arrivé de me disputer ou de refuser des collaborer avec des gens parce que je ne sentais pas que les choses étaient sincères. La liberté a un prix !
Tu es à Lille en tant que présidente du Jury. La notion de prise de risques, est-ce quelque chose dont tu tiens compte et que tu considères comme important quand tu vois les films des autres ?
Oui, absolument. Pour moi, la première chose, c’est prendre des risques. Pas pour prendre des risques en tant que tel, mais pour oser montrer quelque chose de personnel, de différent. Quelque chose qui peut-être n’existe pas encore mais qui exprime une certaine profondeur et une certaine sincérité. Il ne faut surtout pas essayer de plaire, mais bien de toucher.
Propos recueillis par Marie Bergeret et Katia Bayer
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