Récompensé à Clermont-Ferrand, mais aussi à Fréjus ou encore à Angers, le second court métrage d’Antoine Bigeard vient d’être édité en DVD par la Fnac, qui en a fait son « Attention Talent » de l’année 2008. Diffusée dans les magasins de la chaîne de distribution de biens culturels (sic), cette édition, conçue par le réalisateur, permet de découvrir ses deux films et quelques bonus où il se met en scène, pour le meilleur et pour le pire.
« 664 km » est un polar étonnant et abouti. Et il l’est, à plus d’un titre. L’intrigue repose sur les ingrédients classiques du polar : deux types, un jeune et un vieux (un apprenti naïf qui croit que le monde est à portée de mains et une ordure prête à tout pour s’emparer du monde en question), une histoire de billets de banques à retrouver dans une station-service abandonnée, on ne sait plus laquelle, des aires de routes désertes, un bar quelque part, par là-bas, un peu paumé, une serveuse dans le bar, tout aussi paumée… Le tout avec une sorte de réalisme cru qui habite les personnages et les décors. Le jeu du jeune comédien Vincent Rottiers, petite frappe à la fois fragile et orgueilleuse, est à ce titre excellent. Cette intrigue, dont on pourrait se dire qu’a priori, elle nous fatigue pour l’avoir fréquentée trop souvent au cinéma, est ici tenue par une maîtrise stylistique imparable. Grâce à une très belle ambiance sonore, à force de plans d’ensemble horizontaux et de travellings lents et fluides, le film installe une ambiance hypnotique et tendue. Et puis, peu à peu, « 664 km » dérive lentement de cette intrigue de polar, de rivalité entre deux hommes et de qui arrivera à arnaquer l’autre, vers une autre histoire, celle de ce personnage secondaire interprété par Anne Coesens. Il évolue alors vers une histoire d’amour et de trahison, de blessures et de vengeances. Abandonnée sans espoir d’une vie meilleure dans ce bar miteux, la jeune femme se prend à rêver en présence de ce jeune homme fougueux à d’autres horizons, à une seconde chance, un amour et des rêves jusqu’à présent confisqués par une réalité pesante. Mais le prix à payer pour réinventer sa vie est lourd. En véritable film noir, « 664 km » suit des personnages englués dans un réel âpre et aride qui prennent leurs rêves pour des réalités et y risquent leur peau.
Si « 664 km » est vraiment étonnant et réussi, son style, parfois esthétisant, et l’écriture très maîtrisée, gomment un peu le trouble qui en émane. Et c’est la vision du film précédent d’Arnaud Bigeard, « 21h11 » (oui, encore des chiffres, il s’en explique dans les bonus du DVD) qui permet d’en prendre la mesure. Plongeant pourtant dans la même recherche esthétique, faite d’ambiances sonores, de silences pesants, de lents mouvements de caméras, de gros plans anxieux et de plans d’ensemble inquiétants, de temps morts et suspendus et d’ellipses narratives, « 21h11 », bien moins maîtrisé, plus tortueux, tâtonnant et maladroit, est bien plus âpre et troublant par ce qu’il ébauche comme pistes cinématographiques et par tout ce qu’il laisse en suspens. Dès ce premier essai, Antoine Bigeard s’attaque déjà au polar : un type rentre chez lui et assiste par la fenêtre à un viol dans la rue. Il s’empare de son caméscope et menace les agresseurs de les avoir filmés pour les faire déguerpir. Mais il se retrouve victime à son tour quand les deux hommes viennent jusqu’à la porte de son appartement menaçant de lui faire la peau. S’il ne se laisse pas intimider, la peur s’immisce, peu à peu, dans son quotidien. L’univers familier que composent sa rue et son appartement devient hostile et ce d’autant plus qu’il découvre que l’événement a vraiment été filmé par quelqu’un en face de chez lui, quelqu’un qu’on ne verra pas et qui continue à le filmer. Les images de ce film d’amateur, troubles et inquiétantes, viennent alors se mêler à la matière cinématographique de « 21h11 ». Cette fenêtre, en face, qui l’observe, devient une sorte de trou noir absorbant et réflexif, bien plus effrayant que tous les agresseurs entrevus par la fenêtre ou entendus derrière les portes. Ce qui menace, peu à peu, est devenu sans corps, insaisissable, n’est plus qu’un regard, là-bas, sans origine, n’est plus que ce qui regarde.
Arnaud Bigeard, qui semble avoir tout fait sur ce DVD, des bonus jusqu’à l’animation des écrans, se met en scène dans son lieu de travail pour raconter, avec pas mal d’humour, son parcours de musicien et de cinéaste qui aura mis un peu de temps pour passer des films de commandes à la réalisation de ses histoires. Certaines explications sur son travail sont tout à fait passionnantes. D’autres petits bonus tout à fait inintéressants : des déconnades entre potes qui nous laissent de marbre parce qu’elles ne nous concernent pas. Cet esprit potache est lassant et nous ferait presque douter de la profondeur d’une démarche cinématographique par cette manière un peu faussement modeste de prendre les choses à la légère. Mais peu importe, ce prix de la Fnac à Clermont-Ferrand permet de découvrir en effet un jeune talent dont on regardera le prochain film avec beaucoup d’attention, et c’est une petite lucarne au court métrage qu’on souhaiterait plus grande encore.
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664 km d’Arnaud Bigeard. Prix Talent Fnac du Festival de Clermont-Ferrand 2008 – Edition : Fnac