C’est en 1998 que débute la fabuleuse aventure des Lutins du court métrage, une association qui vise à promouvoir et à diffuser la forme courte à travers différents évènements, tels que le Tour de France des Lutins ou encore la Nuit des Lutins. En attendant le mois de juin et sa prochaine nuit étoilée, un DVD « Les Lutins du court métrage : 10 ans, 10 films » édité chez DVD Pocket retrace la décennie en 10 films de référence récompensés lors des éditions précédentes. Lumière sur 5 feux follets.
Acide animé de Guillaume Bréaud
Que peut-il bien arriver de fâcheux à une jeune provinciale malchanceuse ni contrainte ni forcée de passer la soirée chez un inconnu ? Bien des choses traversent l’esprit mais aucune ne ressemble de près ou de loin à l’univers animé de Guillaume Bréaud. Au fur et à mesure de l’avancement de la soirée, les petites pillules se dilluent dans les corps timides, les langues se délient et les masques tombent petit à petit. Le film donne à voir un pastiche enchanteur du « Magicien d’Oz » aux côtés d’une mémorable course à travers l’appartement bourgeois d’un amphitryon quinquagénaire. Comique et angoissant, « Acide animé » peut se targuer de confronter la mutine Ludivine Sagnier à l’effrayant Didier Bénureau. Acidulé comme un bonbon Napoléon, il possède une énergie stupéfiante qui dynamise le corps et l’esprit.
Alice et moi de Micha Wald
Avec « Alice et moi », Micha Wald choisit la voie de l’humour et de la légerté pour transcender le poids de la tradition et les clichés de la religion. Entre distance critique et empathie savoureuse, le film, lauréat du Lutin du Meilleur film européen en 2006, raconte un moment de la vie de Simon. Alors qu’il est obligé de conduire sa Tante Mala et deux de ses amies à la mer, Simon n’a qu’une obsession en tête : récupérer sa copine Alice. Comédie en noir et blanc aux intertitres didactiques, le film de Micha Wald traite du conflit des générations au sein de la communauté juive. Les cadres serrés sur les personnages face caméra renforce le huis-clos qui se joue à portes fermées, à l’intérieur d’une vieille Volvo où règne un parfum de mauvaise foi. Loin d’être une simple pochade, le film de Wald évoque le thème de l’appartenance à une communauté comme il aborde celui de la rupture. Jouant sur les généralités, le film évite la caricature grossière grâce notamment au personnage contrasté de Simon interprété par Vincent Lecuyer, pathétique et tendre, injuste et triste, rancunier et malheureux.
La Flamme de Ron Dyens
Deauville : son casino, sa plage et ses amoureux qui brûlent d’une même flamme… Nominé aux Lutins en 2002, « La Flamme » embrase dès le premier regard. Don Ryens s’amuse à y confronter le film et son support donnant naissance à un récit en décomposition qui ne manque pas d’humour noir. La présence du hors-champ face au champ idyllique d’une plage normande des années 30 pose une réflexion intéressante sur la disparition des êtres et des choses. Tout comme le cinéaste expérimental new-yorkais Bill Morrisson, Dyens reconsidère le film en tant que matière et offre une belle métaphore de l’impermanence du septième art.
Millevaches [expérience] de Pierre Vinour
« Millevaches », le film de Pierre Vinour est une expérience dans le temps et l’espace, un voyage immobile à travers les doutes d’un homme d’affaires qui n’en peut plus des chiffres. Un homme en proie à la fatidique crise de la soixantaine, un homme au bord du gouffre, un homme qui ressent le besoin de se ressourcer dans le petit coin de nature qui l’a vu grandir. Interprété par Philippe Nahon, le personnage retrace des moments de sa vie et des images fragmentées du Limousin captées au fil des saisons défilent sur le monologue à la voix pénétrante. A l’angoisse de l’être qui se remet en question, répond le plein d’images d’une nature immuable sans cesse renouvelée. Au sentiment d’être passé à côté de l’essentiel, répond celui du temps qui ne suspend pas son vol, du temps qui court comme le courant des rivières qui serpentent la campagne isolée. Fort d’un sujet riche à la forme atypique « Millevaches [expérience] » est un film d’une rare beauté sur la désillusion et le désenchantement infusés d’une tendre mélancolie.
Sales battars de Delphine Gleize
Sardine a 10 ans et se sent incomprise. La seule personne qu’elle aime vraiment, c’est Ben-Hur son grand frère handicapé. Grand gagnant des Lutins 1999 (Prix de la meilleure réalisation et des meilleurs costumes), « Sales battars » remporta aussi le César du meilleur court métrage en 2000. Dans son film, Delphine Gleize pose un regard tout à la fois tendre et rude sur les gens du Nord et révèle de façon profonde et délicate l’extraordinaire dans l’ordinaire en filmant avec beaucoup de franchise les relations au sein de la famille. Composée de personnages hauts en couleur (la mémère, le petit cousin Jérémie, le curé, la mère, Sardine) et admirablement interprété, ce petit journal d’une fillette de campagne évite le piège du sentimentalisme mièvre pour trouver une justesse de ton éloquente.
Article associé : l’interview de Stéphane Saint-Martin, directeur des Lutins du court métrage