Pour sa 31ème édition, le Festival Média 10-10 a fait preuve d’audace en élargissant sa programmation à des films inclassables, offrant par là même un espace ouvert aux créations filmiques en tout genre. Pour la première fois, une compétition OVNI (objets visuels non identifiés), composée de 16 courts atypiques venus d’un peu partout, a envahi les écrans de la Maison de la Culture. Généreusement représenté, le Portugal a coloré les projections avec cinq films et cinq artistes à la personnalité plutôt expérimentale.
Annual Report de Cristina Braga
« Annual Report », le film de Cristina Braga, étudiante à la Faculdade de Belas Artes de l’Université de Porto, basé sur une compilation d’idées, de données et d’informations personnelles, apparaît comme une représentation formelle jouant sur la simplicité analogique d’un contenu digital.
A l’aide de moyens modestes (post-it, cartes postales, animaux en plastique, boîtes en carton…), la réalisatrice établit une liste de faits et d’évènements s’étant déroulés au cours d’une année entière. Originale et récréative, cette animation expérimentale est une belle réflexion en miroir sur l’usage des nouvelles images dans la société actuelle.
Arise (Zona) de Pedro Maia
« Arise (Zona) » est un film réalisé avec des images non utilisées, et non montées issues du long-métrage « a Zona » de Sandro Aguilar.
Dès les premiers plans, un intertitre nous prévient, nous avertit que la démarche du cinéaste sert un cinéma inutile, rejeté, abandonné : un « cinéma-déchet »… Certes, on peut y voir une certaine provocation de la part de Pedro Maia mais s’y arrêter serait une lecture limitée de son travail.
Alors que le spectateur croit être baigné dans une nature sylvestre et champêtre, un ensemble d’images recyclées, renouvelées et réinventées défilent sans qu’il ne puisse s’attacher ni s’identifier à quoi que ce soit. Ces images brutes tendent au vide, à l’oubli et à l’abstraction. Figuré sur une pellicule monochromatique, carré blanc sur fond blanc cinématographique, le final oscille entre la plénitude et la vacuité, le tout et le rien, le souvenir et l’oubli.
Dans « Arise (Zona) », l’ambition du vidéaste est d’explorer le médium sans chercher à créer une quelconque logique narrative. L’absence de son renforce le refus de cohérence entièrement assumé par son auteur qui s’essaye à une réelle élévation formelle. Dans les interstices de la matière filmique, le mystère est suprême.
Cançao de amor e saúde (Chanson d’amour et de bonne santé) de João Nicolau
Un jeune fabricant de clés, solitaire dans une galerie anonyme d’une grande ville tout aussi anonyme, est en quête d’amour. L’amour serait selon lui la réponse au vide existentiel qui le dévore et qui le renvoie chaque jour à sa petite boutique, lieu d’accueil de jeunes filles en manque (de clés).
Sous une apparence des plus classiques, « Cançao de amor e saúde » opère des incursions intéressantes dans un univers lynchien mêlant réflexions philosophiques rohmériennes et absurde langagier ionescien. Ce cocktail explosif donne un produit hybride aussi éclaté que décalé. L’originalité de la forme et du contenu réside dans le trompe-œil d’histoire d’amour classique conduite par une narration partagée entre moments significatifs et dialogues incongrus.
Inanité et indolence coloraient déjà les couleurs mélancoliques de « Rapace », le précédent film du cinéaste portugais également sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs. Elles sont reprises avec la même impertinence dans ce court au caractère loufoque.
Corrente de Rodrigo Areias
Délicat et poétique, ce petit film en noir et blanc évoque la vie d’un ouvrier dans un Portugal intemporel. L’expression, proche du cinéma avant-gardiste russe, montre l’univers de la mine dans un montage qui rappelle celui d’Eisenstein. Le son, entre silences, réverbérations et saturations, berce l’ensemble dans une nostalgie toute westernienne où l’individu est en éternelle confrontation avec une réalité hostile.
Après son travail abrutissant, l’homme descend la colline et traverse la rivière à la nage. Tel un rituel, il se débarrasse de ses vêtements et plonge tout son être dans le cours d’eau. Livré à lui-même dans cette nature silencieuse et virginale, il se laisse emporter par le courant. Sur la rive, une femme; belle, sauvage et libertine. Finalement enlacées, les deux solitudes se laissent entraîner par les flots les emportant là où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.
Montanha fria de Luis Alves de Matos
Sur l’écran noir d’une ville blanche, la vie poussiéreuse file à l’allure d’une bicyclette. Des images abstraites et poétiques tentent de narrer le quotidien de gens, perdus au pied d’une montagne.
A nouveau, la nature questionne l’homme, à nouveau son pouvoir mystique pénètre l’âme humaine étalant ses doutes sur des images énigmatiques. « Montanha fria » suggère un vieux cantique chinois dont on murmure l’air sans se souvenir des paroles.
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