Orbites de Sarah Seené

Selon Pasolini, la poésie ne réside pas dans les livres ou les films, mais dans la vraie vie où nous rencontrons des moments de pure émotion. Dans le documentaire Orbites, de Sarah Seené, nous accompagnons Marie-Christine, une jeune femme quebecoise qui a vécu toute sa vie plongée dans la poésie, qui a toujours vu de la beauté autour d’elle, qui s’est émerveillée devant les couleurs des fleurs et la lumière du soleil. Pourtant, Marie-Christine a perdu la vue il y a quelques années. Capable désormais de voir uniquement des perceptions lumineuses, elle cherche, depuis, à retrouver cette beauté avec la pulpe de ses doigts.

Orbites, film canadien réalisé par une cinéaste française, fait sa première mondiale au festival québécois Regard, le plus important rendez-vous du court-métrage en Amérique. Le film participe à la compétition officielle du festival et est éligible à 5 prix différents, y compris le Grand Prix Canadien.

Pour filmer le personnage, sa famille, son univers, et la nature, la réalisatrice Sarah Seené nous propose un contraste entre des images nettes et classiques et des manipulations de pellicule qui génèrent des vues floues, parfois semblables à des tâches ou à des cellules, unités fondamentales de la matière physique. C’est par cette matière qu’aujourd’hui Marie-Christine perçoit la beauté du monde, utilisant ses mains et non ses yeux. Ces figures forment des constellations, comme des planètes dans une orbite. L’image d’une éclipse solaire, passant de la lumière à l’obscurité, s’associe à celle d’un globe oculaire qui perd sa capacité de vision.

Dans le film, la narration et les visuels sont étroitement liés. Nous entendons la protagoniste parler de comment elle arrive toujours à voir le monde lorsque les images deviennent de plus en plus floues et les couleurs se perdent les unes dans les autres. Marie-Christine explique la passion qu’elle avait pour les pigments de la nature, et la réalisatrice dévoile ces tons à travers le grain du 35 mm, qui les rend non seulement encore plus magnifiques, mais nostalgiques, en accord avec ce personnage qui ne peut plus partager le plaisir visuel, mais qui garde en tête toutes les images qu’elle a vues pendant 30 ans. Le film est un exemple formidable de la manière dont la technique et la poésie se complètent en faveur de l’art cinématographique, le support de la pellicule étant utilisé en faveur du récit.

Les éléments évoqués possèdent aussi une importante dimension tactile : la neige, les fleurs, le soleil, dont la protagoniste aime sentir la chaleur sur la peau… Sa connexion avec la nature n’est pas perdue, mais se traduit via ses autres sens. Elle n’a pas besoin de voir le visage de son mari, car tenir sa main établit entre le couple une connexion qu’aucun autre sens ne pourrait former.

La musique méditationnelle nous plonge dans un état de rêve, le seul moment qui brise le silence visuel de Marie-Christine. Lors de son sommeil, elle voit toujours des images. Tout le court-métrage pourrait être, donc, un rêve de la protagoniste, où elle se contemple de l’extérieur, avec sa nouvelle condition, à redécouvrir le monde et à le partager avec son enfant.

Le film commence sur une note personnelle et même médicale, puis il passe en douceur au thème de la famille. Rester forte et positive devient pour Marie Christine un devoir, car cela ne l’affecte plus uniquement en tant qu’individu, mais en tant que mère. Elle doit rester solide pour donner un exemple à son fils, atteint de sa même condition oculaire, un glaucome congénital.

Orbites est un film profondément fragile et émouvant, d’une finesse émotionnelle et esthétique épatante. Il réunit tout ce qu’il y a de plus délicat : les fleurs, l’enfant, l’amour d’un couple, le toucher, la voix douce. La sensibilité de Marie-Christine à percevoir (avec les yeux, les mains ou le cœur) la beauté dans chaque recoin est contagieuse et a sans nul doute touché la réalisatrice Sarah Seené, qui nous plonge dans cet univers envoûtant.

Bianca Dantas

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