Avec impétuosité, la réalisatrice Mansi Maheshwari propose un film d’animation malicieux et rock and roll. Présenté à Clermont-Ferrand et lauréat du troisième prix de la Cinef à Cannes en 2024, son film d’animation Bunnyhood est un court métrage fougueux dans lequel l’adolescente Bobby découvre les vices du mensonge. Quelle pire trahison que celle d’une mère qui représente jusqu’alors l’honnêteté ? Suite à un guet-apens pour l’emmener à l’hôpital sans qu’elle le sache afin de subir une opération, le film de Mansi Maheshwari suit Bobby qui perd petit à petit confiance en sa mère. Elle ne comprend pas ce qu’il se passe, la panique s’empare d’elle et les personnages autour d’elles se transforment alors en lapins maléfiques. Rencontre.
Format Court : Dans quel contexte votre film de fin d’études a-t-il été réalisé ?
Mansi Maheshwari : Je voulais faire un film d’horreur qui soit aussi une comédie et qui s’inspire d’une histoire personnelle. Je ne voulais pas faire quelque chose de déprimant, car c’est souvent le cas avec les films d’animation. Je voulais que cela reste rock and roll et drôle. J’avais déjà l’histoire au départ, je savais ce que je voulais dire. Je me débattais également avec les mensonges et les raisons pour lesquelles les gens mentent, et cette histoire parlait exactement de cela. Je ne sais pas, un jour, tout m’est venu. Nous devions présenter deux histoires à l’école, la NFTS (National Film and Television School), mais je n’en ai présenté qu’une seule parce que j’étais sûre d’être capable de la réaliser.
Pourquoi s’intéresser à « Bunnyhood » et la psychose autour du lapin ?
MM : Bunnyhood est un film sur le passage à l’âge adulte. Il y a l’enfance, l’âge adulte et cet âge d’entre-deux est le « bunnyhood », c’est-à-dire le moment où l’on apprend quelque chose sur le passage à l’âge adulte. C’est donc l’âge où l’on devient un lapin.
Vous vous préoccupez aussi du corps, de sa déformation et de sa transformation. Comment avez-vous travaillé l’animation ?
MM : Honnêtement, je ne l’avais pas prévu quand j’ai commencé à animer le film. Mes amis de la NFTS sont brillants en morphing, ils prennent quelque chose et le transforment en quelque chose de complètement différent. Et j’ai beaucoup de mal avec ça. Quand « Mom » se transforme en lapin, c’est la première scène que j’ai animée, je crois. Je l’ai regardée et je me suis dit : pour se transformer en lapin, il lui faut des oreilles plus longues, alors j’ai juste déformé le sourire et allongé la tête pour faire les oreilles, c’est tout.
Cela a aussi un côté diabolique ?
MM : Le sourire fou et les yeux, c’est vraiment diabolique. Au début, je ne voulais pas montrer les lapins comme de simples menteurs. C’était comme le bon monde contre le mauvais monde. Bobby a été introduit dans ce mauvais monde et dans ce monde diabolique et crasseux. À la fin du film, Bobby, le personnage central, devait devenir le lapin maléfique. Elle a maintenant appris quelque chose sur la vie. À l’avenir, elle dispose de cet outil qu’elle peut utiliser dans la société.
Pouvons-nous parler de l’importance de la trahison dans le film et de la façon dont le personnage perd confiance en sa mère ?
MM : Je pense que c’est ce que font les mensonges. Vous savez, chaque fois que vous surprenez quelqu’un qui vous a menti, vous perdez confiance. Avec votre propre mère, ce qui est une vérité de la vie, vous êtes confronté à ce genre de situation à de nombreuses reprises, mais la douleur est la même à chaque fois, quelle que soit la personne. Cela me met toujours en colère, alors il fallait que j’en parle. Je ne dis pas que je suis toujours sincère, j’aime mentir pour le plaisir. C’est comme un mensonge sans conséquence. Vous sauriez évidemment qu’il s’agit d’une blague. Les vrais mensonges me font peur. Je n’y arrive pas. Ne pas mentir est en fait un mode de vie très facile, que je trouve tout à fait banal dans ma vie. Je n’ai rien à cacher parce que je ne mens à personne, je suis simplement moi-même. Et j’y crois vraiment : pourquoi mentir ? Pourquoi avez-vous si peur de la vérité ? Je fais la promotion de ce mode de vie facile.
De plus, la communication est meilleure quand on est honnête l’un envers l’autre. Dans le film, si la mère et la fille avaient eu une vraie discussion, il y aurait eu moins de pression et de peur concernant ce qui se passe.
MM : C’est certain, il est toujours bon d’en parler. Mais parfois, c’est très difficile. « Mom »était dans une position où elle devait faire sortir sa fille de la maison. Ce n’est pas toujours facile et il n’y a pas de bon ou de mauvais choix.
Il y a aussi la question du consentement, surtout quand on est un enfant. « Mom » cache l’opération à sa fille et la lui fait subir sans son accord. Qu’en pensez-vous ?
MM : Oui, le consentement est un sujet important. C’est un film qui fait peur. Tout cela lui est arrivé à son insu. Parfois, les enfants deviennent des produits que les parents possèdent, comme si vous étiez un objet qui leur appartient et dont ils doivent s’occuper. Je pense que c’est ce qui se passe à la fin, lorsque « Mom » lui demande : « Tu me fais encore confiance ? ». Elle comprend qu’elle est une personne qu’elle a pu blesser, et elle réalise qu’elle aurait pu lui demander son accord. Je pense donc que c’est important, et c’est la raison pour laquelle ce film est resté dans ma mémoire, parce que cela m’est arrivé il y a dix ans et que j’en parle encore, probablement à cause du consentement. Si on m’avait demandé, il n’y aurait pas eu d’histoire, il y a une histoire parce qu’il n’y a pas eu de consentement.
Je pense que c’est un problème surtout lorsque qu’on est enfant. Les parents vous représentent.
MM : C’est comme si les gens ne vous écoutaient même pas sans un tuteur ou quoi que ce soit d’autre. C’est l’âge de l’adolescence où l’on devient une personne, l’âge du « bunnyhood », où l’on devient quelqu’un et en même temps non. C’est un âge de transition, c’est difficile pour tout le monde.
Comment avez-vous travaillé l’imaginaire du film, entre le monde réel et celui de l’introspection de Bobby lors de son opération ?
MM : Le monde extérieur et le monde intérieur sont à peu près les mêmes, sauf que le monde intérieur est de couleur rouge. Le monde extérieur est également composé de montagnes et de lignes plates. Je viens d’une ville où tout est agité et j’aime cela. J’aime que cet endroit ressemble à l’Amérique, avec ces montagnes et une route au milieu, puis plus rien pendant une éternité. Je voulais décrire tous les dialogues du film. Je voulais dire qu’elles vont quelque part, donc, il y a une route. Ensuite, je voulais raconter qu’elles pourraient aller chez Big Patty’s (un fast-food), alors il y a en a un. Cela me suffit. J’aime le montage, j’aime enlever les choses dont vous n’avez pas besoin. Même dans la cuisine, il ne se passe pas grand-chose. Elle (« Mom ») aurait pu cuisiner, elle aurait pu faire beaucoup de choses, elle est juste assise parce qu’elle a besoin de passer un coup de fil tout de suite. Je pense donc que la conception du monde est venue de commodité, de la quantité de choses que l’on peut dessiner et de la quantité dont on a besoin. Quant au style d’animation, je ne suis pas une très bonne animatrice. C’est ce que je sais faire, il n’y a pas d’autre raison. Je n’avais jamais fait d’animation auparavant, j’ai lu les premières pages et les premiers chapitres de livres sur l’animation et je me suis dit que c’était tout ce que j’avais besoin de savoir. On y parlait de spacing, d’action et je me suis dit que c’était suffisant, que je pouvais travailler avec. C’est tout, c’est pourquoi l’animation est vraiment bizarre. Ce n’est pas un choix stylistique, c’est tout ce que j’ai à offrir.
Et la technique ?
MM : Il s’agit d’environ 20.000 dessins que nous avons faits. Tout est peint à la main. Tout a été assemblé sur les celluloïds et sur les scans puis mis ensemble, il n’y a pas d’effets secondaires.
Et d’où vient l’énergie du film ?
MM : L’énergie du film vient de moi. Je crois que j’aime les choses rapides. J’ai du mal avec le cinéma lent. J’avais aussi besoin de montrer de l’anxiété. Je voulais que le film soit un peu punky, c’est juste l’attitude rock and roll du film. Le personnage de la fille aussi, c’est une fille cool. Certaines personnes pensent que c’est un garçon, mais cela n’a pas d’importance pour moi. Pour ce que j’en sais, ce n’est qu’une adolescente. La personnalité de Bobby a été inspirée de mon frère, que je trouvais cool.
C’est drôle parce qu’au début, la fille joue à un jeu vidéo où elle tire sur des lapins, comment avez-vous pensé à cette idée ?
MM : Au départ, elle devait juste jouer à un jeu vidéo, pas à un jeu vidéo de lapins. Mais mon tuteur à la NFTS m’a dit qu’il n’était pas logique qu’elle commence à voir des lapins tout d’un coup, et qu’elle devrait donc en avoir au début. Et j’ai pensé qu’elle pouvait tirer sur des lapins dans le jeu vidéo, il s’agissait d’implanter cette idée et il était donc logique qu’elle en voie à nouveau et qu’elle veuille les tuer d’une manière ou d’une autre.
Ce projet a été entièrement réalisé par des étudiants, vous n’avez pas fait appel à des professionnels ?
MM : Il n’y avait que des étudiants. Notre école est une école de maîtrise et c’est un peu comme une société de production. Il y a tous les départements : montage, son, musique, composition, … . Un étudiant de chaque département se réunit pour former une équipe.
Comment s’est passé le fait de travailler avec des gens de votre âge ?
MM : C’était génial, c’était tellement cool et rock. J’ai adoré. Je pense que je me suis tellement amusée à faire ce film et je riais vraiment tous les jours. J’ai passé un excellent moment et c’est la raison pour laquelle je sais que j’aimerais faire des films. Il y a beaucoup de joie à créer quelque chose.
Le film a été présenté au festival de Cannes, qu’est-ce que cela a représenté dans le parcours du film ?
MM : Je pense que le fait d’être à Cannes a été très utile, non seulement pour le film, mais aussi pour ma carrière, car c’est mon tout premier film. C’est un film d’animation, mais je pense qu’après cela, les gens ne me voient pas seulement comme une animatrice. Honnêtement, je n’ai même pas les compétences pour le faire. Je ne pense pas que l’on puisse m’embaucher comme animatrice. Le film a déjà été présenté dans plus de 60 festivals, à Sundance, à Cannes, mais aussi dans de nombreux festivals d’animation, si bien qu’il a été vu par un grand nombre de personnes. Il a simplement attiré l’attention et je pense que ce que vous voyez est universel, tout le monde a une mère menteuse à laquelle on peut s’identifier, c’est pourquoi il est également devenu très international. Je n’ai pas eu à payer pour l’inscrire en festival, la NFTS l’a envoyé à de nombreux festivals et d’autres nous ont demandé le film, nous n’avons dépensé aucun centime pour postuler à ces festivals, cela grâce à Cannes. Ça m’a permis de me faire connaître. Nous avons rencontré tant de personnes extraordinaires au cours de ce voyage. La première dans un grand festival nous a beaucoup aidés.
Ressentez-vous une certaine pression pour vos prochains projets ?
MM : Oui, une grosse pression. Mais ce n’est pas à cause des gens, c’est juste moi. Je me suis amusée avec mes amis à faire ce film et je ne sais pas ce que j’ai fait de bien pour que les gens l’aiment. Mais le site Letterboxd m’a aussi aidé à garder les pieds sur terre parce que beaucoup de gens le détestent également. C’est donc une bonne chose. Mais je pense que pour mon prochain film, j’essaierai d’être moi-même et de faire quelque chose de différent, de ne pas faire un autre Bunnyhood.
Quels sont vos prochains projets ?
MM : J’aimerais faire un long-métrage sur la famille, car j’ai une grande famille. Je passe tellement de temps avec eux, j’ai passé plus de temps avec cette grande famille qu’avec mes amis. J’aimerais faire un road movie, peut-être en prise de vues réelles cette fois-ci, afin de pouvoir raconter l’histoire rapidement.
Propos recueillis par Garance Alegria