J’ai avalé une chenille de Basil Khatir

C’est tout en délicatesse et en animation colorée que ce film, en compétition nationale au festival de Clermont-Ferrand, présente son histoire pourtant sombre : le coma d’un adolescent qui a, pour les beaux yeux d’une fille, pimenté son shot de tequila… d’une chenille. Accident tragique qui friserait presque le comique, si incongru que le héros lui-même l’assume à peine. « […] J’vais avoir l’air bien con à mon réveil […] » songe-t-il dans son lit d’hôpital, perfusé, immobile, mais l’esprit vif.

Le personnage est en effet extrêmement vivant, traversé de mille idées qu’il livre sans barrières, de pensées de lycéen futiles ou importantes. A-t-il encore une chance avec la jeune fille ? Va-t-il passer le bac ? Se réveiller ? Ces questions nous accrochent dès les premières secondes quand sa voix, une voix typique d’ado, nonchalante, un peu blasée voire familière, tranche les ténèbres de l’écran noir, happe notre attention, elle ne la lâchera plus. Attitude du médecin, gestes des infirmières, visites de sa mère, rien n’échappe au ton incisif du personnage, stéréotype du lycéen désabusé qui ne manque cependant pas d’humour et nous régale de ses remarques acides avec une honnêteté touchante qui fait irrésistiblement sourire.

Les images défilent, accompagnent les souvenirs, les espoirs et les humeurs du jeune homme qui se dévoilent tout en traits d’apparence simple. Leur enchaînement fluide s’adapte à ses mots, transforme le décor au gré des anecdotes, véritable échappatoire d’imagination. Dans son monde intérieur, pas de contraintes, il peut s’intégrer dans un film de guerre, faire danser les infirmières ou transformer son père en chaise. Sans être abstrait, le dessin ne s’attarde pas sur les détails, nous présente les contours du décor et des personnes, un peu comme le héros pourrait se les remémorer, légèrement flous. L’animation joue de ses possibilités visuelles, le moniteur cardiaque devient néon de lumière, les témoins de l’accident des taches de peinture bigarrées, le quotidien une frise de chenilles et d’infirmières. Cette vivacité appuyée de musiques entraînantes laisse aussi place à des moments de tranquillité, presque de sérénité comme lorsque le flot de pensées devient un fleuve que le héros parcourt silencieusement sur son matelas, oubliant presque sa situation.

Là est la seconde force du film qui tout en rendant attachant son anti-héros mangeur d’insecte, intègre petit à petit de légères couches de noirceur, tout en double sens et indices subtils. Sa voix qui nous hypnotise n’efface pas ce à quoi le spectateur a droit contrairement au personnage, les moments de réel. Disséminés presque dissimulés au milieu des divagations mentales du héros, ils marquent leur présence par des couleurs plus vives, des traits plus nets. Plus fades au premier abord à côté des idées amusantes du jeune homme, ils s’imposent alors que le temps s’écoule. Soudain les cheveux de la mère deviennent un peu plus blancs, soudains la saison change, soudain un ami vieillit… Le décalage entre cette réalité et les mots du héros créé un certain malaise, depuis combien de temps en fait est-il endormi ? Peu de contraste dans l’image mais des portions de décor noires apparaissent parfois comme les fauteuils qui semblent l’observer, l’ombre de la fenêtre qui défile au rythme de la musique mais aussi des jours qui passent. Ces petits éléments moins perceptibles au premier visionnage, apportent une nouvelle lecture plus sombre. Les pensées continues du héros qui faisaient rire par leur candeur frappent maintenant au cœur car il n’a pas évolué, devient étranger à son entourage figé à jamais dans sa mue d’adolescent. En parallèle, angoissante, la chenille s’aventure dans son corps, sa chrysalide bat comme un cœur, menaçante. Le héros qui comparait son coma à un désert auquel il opposait des éléments aquatiques, perfusion, verre d’eau, présence de bleu, est rattrapé par l’insecte et son cocon vert sur fond violacé inquiétant.

On se rappelle alors que malgré tout, il est seul, seul avec ses pensées, sa seule distraction, cousin moins dramatique de Johnny Got His Gun obligé de passer le temps comme il peut sans percevoir correctement l’extérieur. La musique du générique final, total entre-deux entraînante puis accompagnée d’accord plus graves, nous laisse sous le choc émus par cet ado criant de vérité qu’on a envie de voir sortir de là.

Rachel Laurand

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