Elsa (Megan Northam, nommée aux Révélations des César 2025) a 23 ans. Elle vient de perdre son frère Franck, astronaute porté disparu lors d’une mission spatiale. Perdre, ce n’est pas exactement le terme, car une entité venue des abysses de l’univers va lui proposer de le lui rendre. Néanmoins, tout se paye, pour les humains comme pour leurs voisins interstellaires.
Pendant ce temps sur Terre est le premier long-métrage en prise de vues réelles de Jérémy Clapin, réalisateur du film d’animation J’ai perdu mon corps (2019), lauréat du Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes et nominé aux Oscars outre-Atlantique. Avec ce film, Jérémy Clapin signe un hommage réussi à sa passion du cosmos, et partage avec nous une vision sincère et gracieuse de la vie et des relations humaines (mais pas que) sous toutes leurs formes. Sélectionné à la Berlinale dans la section Panorama, le film est produit par Marc du Pontavice, qui avait déjà accompagné Jérémy Clapin sur J’ai perdu mon corps. Le film, distribué par Diaphana, sera disponible en DVD et Blu-Ray le 15 novembre 2024.
Le film s’ouvre sur une conversation entre Elsa et son frère, une communication au son grésillant qui a eu lieu avant le départ de l’astronaute. Ils y parlent de l’avenir. L’avenir, c’est un thème central de Pendant ce temps sur Terre, habilement porté par un personnage principal réservé et au destin incertain. Elsa n’a aucun projet, aucune perspective depuis que son frère a disparu. On comprend, grâce à des séquences animées d’une beauté onirique nous offrant une fenêtre sur l’imaginaire d’Elsa, que la jeune femme dépendait beaucoup du soutien de son frère. Celui-ci, où qu’il soit, pense qu’elle étudie toujours aux Beaux-Arts, alors qu’elle occupe en réalité un poste d’aide-soignante dans la maison de retraite gérée par leur mère.
Megan Northam, interprète d’Elsa, incarne avec brio ce personnage replié sur lui-même, bloqué par les circonstances, à la recherche d’une issue au deuil de son frère. Cette issue se présente sous la forme d’une voix (Dimitri Doré) d’abord évasive, venue de nulle part. Elle résonne dans son esprit, claire et pourtant lointaine. Lorsque Elsa réussit à établir la communication avec l’entité mystérieuse, celle-ci lui affirme pouvoir lui ramener son frère sain et sauf. Pour le lui prouver, elle permet à la jeune femme de parler à Franck. Une fois certaine que son frère est en vie, un avenir se dessine. Elsa est investie d’une mission par la voix venue d’ailleurs, une mission qui va la mettre en péril et la forcer à affronter un parcours semé d’embûches.
L’entité qui s’adresse à Elsa est une forme de vie extraterrestre, capable de faire aller et venir les êtres humains d’un monde à l’autre. Pour revoir Franck, Elsa doit pactiser avec cet être, et payer le prix qui lui est imposé. Jérémy Clapin nous immerge dans cette aventure existentielle, intimiste, universelle. Il nous demande, en mobilisant un univers de science-fiction sobre et efficace, ce que nous serions prêts à faire pour rétablir ce qui s’est évanoui. Grâce à des dialogues simples et marquants, il arrive à mettre en place des rencontres qui permettent à Elsa d’avancer, toujours, malgré l’adversité. Ces rencontres sont naturelles et permettent un équilibre brillant entre humain et inhumain, entre ici et ailleurs. C’est cette collision qui nous est racontée, à la lumière de l’amour d’une sœur pour son frère qui traverse le cosmos.
Les séquences animées représentant l’imaginaire d’Elsa et son frère sont importantes : elles répondent à des plans qui la montrent en train de dessiner tout au long du film. Elsa est une artiste démotivée, mais une artiste. Elle écrit une B.D, qu’elle espère montrer à son frère à son retour, mais n’arrive pas à visualiser un monde où son frère et elle se retrouveraient. Au fur et à mesure que cette possibilité se précise, son carnet se remplit, au gré des rencontres. Les séquences d’animation survenant à des moments clés du film, impressionnantes de beauté et remplies d’émotions, permettent à Clapin de relever le défi de ce premier film en prise de vue réelle, de genre, et comportant quand même une partie animée.
Grâce à une mise en scène imaginative et élégante et à une écriture naturelle, Jérémy Clapin réussit à nous transporter dans une histoire exaltante à laquelle il est facile de s’identifier. Il arrive à nous faire part des peurs d’Elsa, de ses espoirs aussi. À travers un deuxième long-long-métrage confirmateur, il ouvre une porte sur son univers tout en élargissant notre propre perspective sur le nôtre.
Inclus dans ce DVD, un court-métrage d’animation réalisé par Jérémy Clapin en 2008 et qui témoigne déjà d’un univers esthétique à la fois vaste et maîtrisé. Skhizein raconte l’histoire d’un homme frappé par une météorite, qui se retrouve en décalage avec lui-même. Où qu’il aille, quoi qu’il fasse, il se trouve à 91cm (précisément) de son corps, et doit s’adapter à ce nouveau plan d’existence bancal et même périlleux. Grâce à une animation 3D fluide et à un style de dessin transmettant à merveille les émotions du personnage, on est plongé dans ce quotidien loufoque et émouvant à la fois, où le moindre geste est lourd de sens et de conséquences. Déjà, on distingue une nette passion pour le cosmos, qui se retrouve, comme avec Pendant ce temps sur Terre, inévitablement lié à l’être humain, dans un équilibre fragile mais décidément captivant.