Semaine méditerranéenne à Cinemed

Le week-end passé, s’est clôturée la 46e édition du festival Cinemed. Du 18 au 26 octobre 2024, des court-métrages audacieux ont été diffusés en compétition, dans la section Panorama ainsi que dans le focus dédié au jeune cinéma marocain. Format Court revient sur trois coups de cœur.

Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? de Faouzi Bensaïdi (France/Maroc)

Dans son court-métrage sélectionné en compétition, Faouzi Bensaïdi fait le portrait d’un cheval acteur dont la condition et la santé importe peu à l’équipe de tournage qui n’a qu’un seul but : clore ce film au plus vite. Seules les performances du cheval comptent, à qui on ordonne, malgré la chaleur insoutenable du désert marocain, de galoper sans cesse devant la caméra. Sans surprise, le cheval finit par s’écrouler…

Sans artifice, sans musique, sans effet et avec seulement peu de montage, le réalisateur parvient à nous toucher et à nous transmettre de l’empathie envers le cheval. Ce dernier, véritable personnage principal du film, se trouve toujours au centre de l’écran. La caméra suit ses gestes et on ne lâche jamais du regard ses grands yeux expressifs.

Les humains, quant à eux, qu’il s’agisse des membres de l’équipe ou bien du vétérinaire venu doper le cheval, ne sont jamais cadrés entièrement. Lorsqu’ils sont au premier-plan de l’image, seuls leurs corps sont visibles, tandis que leurs têtes sont hors-champs, ou bien ils sont filmés de dos. Le médecin qui prépare l’énième piqûre du cheval, n’a que ses mains criminelles cadrées en gros plan, laissant paraître le cheval visible entièrement en arrière-plan. Les humains sont ainsi ironiquement déshumanisés. Ils n’ont pas vraiment de visages ni de corps et leurs dialogues sont uniquement portés sur des questions d’argent et de limite de temps au profit de la vie du cheval, reflétant ainsi leur monstruosité. Le cadre aride du désert renvoie à l’environnement hostile et inhospitalier dans lequel est exploité l’animal. Seuls les deux jeunes hommes chargés du cheval durant le tournage, et qui lui viendront en aide lorsqu’il sera considéré obsolète auront leurs visages cadrés au côté de l’animal au sein d’un très beau plan.

Dans Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?, c’est la subjectivité du cheval qui prime et qui, dans son parcours, révèle la cruauté et la cupidité des hommes. Sans être totalement manichéen, le réalisateur nuance son point de vue en filmant l’espoir et l’humanité qu’incarnent les deux hommes qui viennent en aide au cheval. Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? dévoile la manière dont on peut être obnubilé par des questions en réalité secondaires, jusqu’à en oublier notre humanité.

Catslands de Ana Čigon (Slovénie/Croatie)

Il ne faut pas se méprendre devant l’univers coloré, à première vue mignon, peuplé de chats qui communiquent en miaulant dans le court-métrage d’animation slovène Catsland réalisé par Ana Čigon, présenté dans la section Panorama de Cinemed. Le film se dresse en réalité en satire de l’Union européenne et de la manière dont elle traite les réfugiés.

L’animation s’ouvre sur un chat bleu taillant soigneusement sa haie et contemplant son jardin avec satisfaction. L’animal est néanmoins envieux du territoire de son voisin, spacieux, royal avec ses fontaines et statues félines monumentales. Dans cet univers, les chats sont soucieux de leurs propriétés et ne supportent d’ailleurs pas que des chats étrangers puissent fouler le jardin de l’autre. Lorsque des petits chats traversent les différents espaces des chats de Catsland, sans autorisation, le félin bleu est invité, avec d’autres chats au look élégant et chic, chez son voisin richissime pour décider du sort de ces étrangers.

Il n’est pas nécessaire de parler le langage « miaou » pour comprendre le contenu des conversations des chats aisés, représentant nos leaders politiques. Après s’être querellé pour savoir qui gardera les chatons sur son territoire, il est finalement question d’expulser totalement ces étrangers de Catsland. Cette situation résonne avec la politique de certains dirigeants en Europe, particulièrement aujourd’hui avec la montée des partis d’extrême-droite, où les réfugiés ne sont pas considérés comme des êtres humains (ou félins dans le contexte de Catsland) mais comme des fardeaux qui perturbent forcément l’équilibre apparent et dont il faut se débarrasser.

À travers la représentation des chats, le dessin très coloré et les touches comiques et absurdes, la réalisatrice Ana Cigon dresse un monde distant qui ne semble d’abord pas s’apparenter au nôtre. On sourit d’abord devant la manière dont ces chats personnifiés boivent leurs verres de lait dans des verres à cocktails et lisent leurs journaux rédigés en hiéroglyphes félins.

Lorsque l’on s’aperçoit, tout de même très vite, que la réalisatrice nous tend un miroir de la situation en Europe, la vérité est d’autant plus percutante. Le personnage principal, incarnant l’Européen de la classe moyenne aisée, obsédé par sa propriété, nous renvoie à notre propre statut d’Européen et nous pousse à questionner nos prpres privilèges.

Face à une Union européenne qui veut durcir la lutte contre l’immigration, face à la montée de l’extrême-droite dans toute l’Europe, il est nécessaire d’avoir accès à des œuvres originales et audacieuses capables de dénoncer des mesures antisociales. Dans Catsland, la caricature permet d’illustrer très clairement le contraste et l’injustice qui règnent entre les différentes classes sociales.

Ayam de Sofia El Khari (Royaume-Uni/Maroc)

Dans son court-métrage d’animation Ayam présenté dans le focus dédié au jeune cinéma marocain de Cinemed, l’artiste plasticienne et réalisatrice Sofia El Khyari met en scène trois générations de femmes préparant la cérémonie de l’Aïd al-Adha.

Lorsque la grand-mère découvre avec enthousiasme de beaux verres « Made in Morocco » dans sa cuisine, elle décide de servir le thé dans ces récipients pour la cérémonie. La forme se mêle alors avec le fond, le thé se meut en lettre de l’alphabet arabe pour former le titre du film « Ayam » signifiant « jours » en français, mais également « moment ». L’encre noire se dissout pour former les trois femmes principales.

Le titre « Ayam » renvoie donc au moment actuel précieux que partagent ces trois femmes mais également aux anciens jours dont elles se remémorent. La mère raconte la manière dont sa propre mère a dû elle-même subvenir à son éducation à travers les cahiers d’école de son frère. Les deux femmes évoquent l’éducation de leurs propres enfants qu’elles ont dû élever seules, avec un mari absent.

Le court-métrage rend hommage à ces femmes à travers leur courage, mais aussi à travers l’amour qu’elles ont transmis à leur fille et petite-fille. La voix-off de la narratrice évoque l’héritage précieux qu’elle a reçu, du rire, de la force et de l’amour.

Cet amour, on le ressent grâce aux plans sur les mains de la grand-mère, aux câlins chaleureux, et à la complicité qui lient les trois femmes. À travers une quasi-absence de cut et une animation très fluide, les liens familiaux et culturels circulent pour ne former qu’un.

Ayam est un très beau témoignage qui s’inscrit dans la lignée des films de Cinemed qui, au même titre que Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?, et Catslands, nous offrent des regards et des histoires sur différentes cultures issues du pourtour méditerranéen, à travers lesquelles il est possible de s’identifier. Des films qui nous émeuvent, nous font vibrer et continuent à nous faire ouvrir davantage les yeux sur ce monde qui entoure la mer méditerranéenne.

Laure Dion

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