François Robic : « J’ai l’impression qu’il ne faut pas avoir peur d’aller vers l’autre quand on fait des films »

Des Hommes désintéressés présenté cette année en compétition Contrebande, au FIFIB, est le premier long-métrage de François Robic. Son précédent court-métrage, Rien d’important, est en lice pour les César 2025. Il y filmait sa sœur dans le récit d’une journée buissonnière à la campagne. Accompagnée de sa cousine, elle fuyait son emploi d’éboueuse du dimanche pour déambuler dans son village natal. Rien d’important est un doux conte sur les espérances d’une jeunesse hagarde, bercé par une certaine nostalgie et porté par des questions introspectives sur l’avenir. Dans son nouveau film, Des Hommes désintéressés, François Robic revient sur la disparition de Julie Michel, survenu il a plus de 10 ans dans les Pyrénées ariégeoises. Avec tendresse et soucis du détail, il nous montre le quotidien de ses proches en quête de réponse pour qui l’affaire doit continuer. Entre routine et investigation, le film s’inscrit à l’opposée des représentations médiatiques usuelles des faits divers. François Robic dresse ici le portrait très personnel de ceux qui sont toujours là, qui attendent et qui espèrent.

Format Court : D’où est venue l’envie de parler de ce fait divers ?

François Robic : La genèse du film s’inscrit dans un moment un peu particulier qui est celui d’une thèse de recherche création que je fais à la Fémis, consacrée au rapport entre fait divers et territoire dans le cinéma documentaire – c’est un peu aussi la genèse du film qui m’a fait problématiser mon sujet de cette manière, les deux se sont faits à peu près en même temps – mais en tout cas, le cadre de production du film est à la base celui d’un film de thèse. Je m’intéresse à la question du fait divers depuis longtemps, en tant que spectateur mais aussi en tant que cinéaste, puisque j’écris un long métrage depuis plusieurs années sur une disparition dans les Pyrénées. Pour Des Hommes désintéressés, j’ai enquêté sur les disparitions autour de chez moi, pour voir laquelle je pourrais éventuellement traiter dans un film qui serait un documentaire, dans ma zone de travail qui est toujours celle où j’ai fait tous mes films : mon village et les alentours.

J’ai aussi vu un épisode d’une émission de fait divers à la télé sur cette affaire qui était traitée de manière très télévisuelle dans des codes qu’on connait, qui sont les codes des faits divers à la télévision. Dedans, il y avait la mère de Julie Michel (la disparue du film) qui témoignait, Betty Lefebvre, que je trouvais très touchante, et les enquêteurs bénévoles qui eux aussi prenaient la parole. Il y avait juste écrit « enquêteurs bénévoles » sur ma télé, et en fait, je me suis demandé qui ils étaient, pourquoi ils faisaient ça? C’est peut-être ça qui m’intéressait finalement, qui a agité l’envie du film.

Le fait que cela soit mon film de thèse, je pense, m’a aussi désinhibé parce que je ne sais pas si j’aurais osé, si je me serais senti légitime de faire un film sur ce sujet-là, de contacter des gens que je ne connaissais pas du tout, qui avaient vécu une chose si difficile. Là, je ne sais pas, ça m’a décoincé. Aujourd’hui, je suis content parce que j’ai l’impression qu’il ne faut pas avoir peur d’aller vers l’autre quand on fait des films même si ce sont des gens qui sont loin de nous, qui ont des problématiques qui ne sont pas les nôtres. Je pense que tant qu’on est sincère et qu’on est clair dans ses intentions il n’y a pas de problème.

Comment s’est passée la rencontre avec ces personnes ?

F.R : J’ai commencé par contacter Betty (la mère de Julie qui est la disparue du film) et je suis allé lui expliquer mon projet. Je ne voulais pas seulement qu’elle soit d’accord (si elle n’était pas d’accord, je ne faisais pas le film, c’était clair et net), je voulais vraiment qu’elle ait compris mon approche qui était de raconter une disparition et un fait divers d’un point de vue vraiment personnel et au plus proche de gens qui sont concernés, mais qui, en même temps, ne sont ni des avocats ni des policiers. Je ne voulais pas raconter ça depuis le prisme institutionnel parce qu’en fait, c’est presque tout le temps le cas dans la fiction mais dans le documentaire peut-être encore plus. C’est donc parti d’elle et après, j’ai rencontré notamment David qui est enquêteur bénévole depuis 6, 7 ans. Évidemment, la figure de l’enquêteur bénévole est quelque chose qui m’a beaucoup intéressé parce que je trouvais ça très mystérieux et j’avais envie de comprendre pourquoi il faisait ça.

« Des Hommes désintéressés « 

Ce film fait preuve d’une grande empathie envers ses personnages, ce qui contraste avec, comme tu le disais, ce que l’on voit d’habitude des faits divers à la télévision, une forme de voyeurisme en plus de quelque chose de très formaté. Comment as-tu abordé cette mise en scène et comment es-tu arrivé à créer cette proximité avec les personnages ?

F.R : Je pense que dans le documentaire il y a toujours du voyeurisme. Je pense aussi que la frontière entre voyeurisme, curiosité, intérêt et empathie, tout ça est poreux. Je crois qu’à un moment donné, quand on s’intéresse vraiment aux choses, ce n’est plus du voyeurisme. Les émissions dont on parle abordent ces sujets-là et ces histoires-là de manière peut-être plus succincte et l’idée n’est pas d’aller vraiment rencontrer les gens, de comprendre ce qu’ils ressentent, c’est de raconter des faits d’une manière qui est souvent très fictionnelle. Ce n’est pas forcément une critique, je suis évidemment grand consommateur de ce genre de contenu, si je suis amené à faire un film pareil, ce n’est pas un hasard non plus, même si je le fais différemment je pense.

Betty essaie aujourd’hui de trouver des réponses et les médias sont un peu son seul moyen d’action. Je savais qu’elle avait déjà participé à des émissions et je trouvais que c’était intéressant aussi de montrer quelqu’un qui, à cause de son histoire qui devient fait divers, est mis face au système médiatique qu’on connait du récit de ces faits-là, et ça, c’est très présent dans le film parce qu’on la voit se faire filmer par des journalistes, participer à une émission. Sinon, pour la question de la proximité, je pense que la grande différence, c’est la question du temps. J’ai filmé tout seul, avec un ingénieur du son qui m’a rejoint sur la moitié du tournage. J’ai passé plusieurs mois avec les personnes que je filme, j’ai filmé énormément de choses qui ne sont pas dans le film. Mon angle, c’était vraiment de raconter l’histoire de cette disparition mais toujours d’un point de vue personnel.

On parlait de l’aspect visuel, je trouve qu’il y a une certaine continuité à l’image avec un de tes précédents courts métrages qui est Rien d’important

F.R : C’est la même caméra et les mêmes optiques (rires) !

« Rien d’important »

Comment as-tu travaillé cette image ?

F.R : En fait, Rien d’important est un film que j’avais fait dans une économie très légère où j’avais travaillé pour le coup avec une cheffe opératrice qui s’appelle Pauline Doméjean, donc ce n’est pas moi qui filmait, mais on avait réfléchi ensemble à un dispositif très léger qui était celui d’un appareil photo avec des optiques argentiques dessus, pour avoir à la fois quelque chose de discret, malléable, qu’elle pouvait utiliser toute seule, mais en même temps qui avait un grain, une texture des objectifs qui nous intéressaient. On avait pensé ensemble cette configuration-là que je trouvais assez bonne. J’aimais bien l’image du film et on avait filmé en quatre tiers parce que Rien d’important, c’est un film qui, pour moi, est un film de gros plans et de plans larges et je trouve que le quatre tiers est vraiment le format de ces deux valeurs de plans. Là, quand je suis parti en tournage, un peu en catastrophe, tout seul, j’ai un peu repris la même configuration parce que je la connaissais, j’étais à l’aise avec et aussi, je pense que ça permettait à la fois une mise en scène du paysage de montagne, qui se filme bien en quatre tiers parce que c’est un format pratiquement aussi haut que large, donc c’est le bon format pour les paysages qui sont les miens, et puis ça invite à se rapprocher très près des personnes que l’on filme. Donc, cet aller-retour est intéressant et il me semblait bien correspondre au film que je voulais faire qui raconte cette affaire de disparition, ce lieu hyper particulier que je connais bien, et tout ça, dans une logique de grande proximité et de configuration caméra qui est malléable et qui correspondait à un tournage tel que celui que j’ai fait.

Quel était le rapport entre le fait de faire un film, donc l’objet filmique, et ce que ces personnes ont perçu de ce processus ?

F.R : Je leur avais vraiment expliqué avant la façon dont je voulais faire les chose. Mais, forcément, ce ne sont pas des cinéastes donc, ils avaient évidemment compris ce que je leur racontais, mais tout ça était un peu abstrait avant qu’ils voient le film. À la fin du montage, donc avant de finir la post-production et que les choses se verrouillent avec l’étalonnage, le montage son et le mixage, je suis allé leur montrer le film. Il n’y a pas eu d’écart entre ce que je leur avais expliqué, ce qu’ils attendaient et ce qu’ils ont vu. Je pense qu’ils ont vraiment senti que l’intérêt de ce film n’était pas uniquement de raconter cette histoire et de la médiatiser mais aussi, de la montrer d’un point de vue différent, qui est le cœur de ma réflexion de mise en scène. J’avais peur au début de filmer des gens qui connaissaient l’exercice audiovisuel du côté média et pas du côté cinéma, parce que je me disais qu’il y allait avoir des choses à déconstruire chez eux, sur la façon qu’ils avaient de me raconter l’histoire. Je ne voulais pas qu’ils me racontent les choses sous la forme d’entretiens face caméra. Je me suis dit qu’il y allait avoir des choses à déconstruire et, au final, pas tellement. Le fait qu’il y ait aussi eu au cours du tournage des émissions, m’a permis de montrer comment elles sont faites, j’espère pas trop de manière manichéenne non plus. Les journalistes qui viennent les interroger sont là pour faire du contenu, qui certes est très cliché à certains égards, pas toujours très fin et c’est du divertissement à partir d’histoires qui sont tragiques, mais pour des personnes comme Betty ou David, ce sont des choses qui leur servent aussi. Donc, c’est compliqué d’avoir cette subtilité dans la façon dont je les montre, aussi parce que c’est très violent de voir des journalistes qui travaillent avec des gens qui ont vécu des choses aussi dures. J’ai donc essayé de les montrer dans la violence de cet exercice médiatique, sans dénigrer non plus complètement cette chose.

« Des hommes désinteressés »

Parallèlement à cet exercice technique, à cette déconstruction, est-ce que ces personnes avaient aussi, même inconsciemment, des attentes avec ton film pour remettre en lumière l’affaire ?

F.R : J’avais très peur de faire le film et j’ai rencontré un documentariste qui s’appelle Didier Cros pour lui poser des questions, parce que je sais que c’est quelqu’un qui fait souvent des films sur des gens qui ne lui sont pas forcément très proches, parfois sur des sujets difficiles. J’avais vu un film qu’il a fait qui s’appelle La Disgrâce sur des personnes qui ont été lourdement défigurées. J’étais allé le rencontrer pour lui demander un petit peu comment il procédait, parce que moi j’avais juste fait un documentaire sur ma soeur donc c’était hyper particulier, c’était un exercice très différent, en tout cas dans l’approche des gens. Il m’avait dit : « Il faut comprendre pourquoi les gens veulent faire le film, quelle est leur raison, parce qu’ils en ont forcément une s’ils acceptent de faire ça. Il faut la connaître, l’accepter, mais il faut aussi leur expliquer pourquoi toi tu fais le film et ne pas leur mentir sur quoi que ce soit ». Au début, ils [Betty et David] n’avaient pas compris que c’était plutôt du cinéma que du journalisme. Ils m’ont dit « oui c’est bien parce que ça va permettre de médiatiser et nous on veut toujours médiatiser notre combat ». Je leur ai dit que je ne pouvais pas garantir que le film soit beaucoup vu. Je ne pense pas qu’il passera à la télévision, je ne peux pas garantir aussi qu’il sortira au cinéma, je n’en sais rien. J’espère qu’il sera vu par un public de cinéphiles dans des festivals de cinéma documentaire ou de cinéma plus généraliste. « Si vous acceptez de faire le film, vous acceptez aussi de le faire en sachant ça », je leur ai dit dès la première fois que je les ai rencontrés. C’était très clair dès le début et je pense que c’était quelque chose que je leur devais éthiquement.

Que peux-tu dire de l’exercice de passer du court au long ? Même si tu écris depuis un moment un long métrage…

F.R : C’était un tournage par session, ce n’était pas en continu donc je tournais une semaine, j’arrêtais une semaine, je repartais trois jours… C’est un film pour lequel j’ai pas mal sillonné la France : je suis allé en Bretagne, à Auxerre, en Ariège, en Espagne. Le montage du film a duré très longtemps. La monteuse était évidemment ma première collaboratrice dans l’écriture du film. On a dérushé après chaque session de tournage et on a écrit un espèce de scénario documentaire au fil du tournage. Je dois dire que le montage d’un film long, d’un film qui dure 1h, est une autre échelle dramaturgique que j’ai découverte en faisant le film et que j’ai trouvée différente en terme d’intensité et d’ampleur de narration de ce que j’avais pu connaître en court métrage.

« Des hommes désintéressés »

Il y a des chapitres dans ton film, on sent qu’il y a une trame narrative, comment cette écriture « fictionnelle » s’est constituée parallèlement à filmer le réel ?

F.R : En fait, l’enjeu de montage de Des Hommes désintéressés était d’arriver à traiter à la fois le récit du fait divers, qui est cette disparition, et en même temps, le portrait des personnes qui sont filmées, d’articuler l’émotion, le récit intime avec le récit de l’ordre de l’enquête. Ça, c’était vraiment la réflexion au montage, c’est un peu ce qui nous a guidés je crois. L’idée de chapitrer le film est venue en montage parce que c’était une manière de l’ordonner et aussi d’affirmer ma position de cinéaste et de narrateur de manière plus assumée et presque plus autoritaire. Le fait de chapitrer le film, c’est là pour nous dire : il y a un cinéaste documentaire qui a réordonné cette histoire et qui nous la raconte, ce n’est pas caché, et ça, c’était important pour moi.

Et maintenant, quels sont tes projets?

F.R : J’ai terminé l’écriture d’un long métrage de fiction qui s’intitule Le Royaume des aveugles, qui est en cours de production et que j’espère tourner l’année prochaine, au printemps, si tout se passe bien.

Propos recueillis par Garance Alegria

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