Le premier long-métrage de Felipe Gálvez Haberle, Les Colons, est sorti fin mai en DVD chez Blaq Out. Un western intense et original, qui nous entraîne dans un Chili lointain et méconnu.
Du Chili, nous connaissons bien sûr l’ère Pinochet, qui succéda un peu trop rapidement aux espoirs suscités par Allende et entraîna la mort de ce dernier. Le film de Felipe Gálvez Haberle nous montre que la violence politique au Chili ne date pas du XXe siècle. Il nous convie en effet à un détour par sa colonisation et les horreurs qu’elle a engendrées.
Ce récit d’appropriation, par des forces occidentales, d’une terre perçue comme sauvage puise à première vue dans les codes du western John Ford, première période : nous suivons en grande partie ces « explorateurs » persuadés de civiliser un continent farouche, mais fertile. La violence physique, avec les viols, les bras coupés et les meurtres à bout portant, participe de cet ancrage générique assumé. De même, les plans larges sur l’immensité des espaces inscrivent là encore le film dans les incontournables des épopées racontant la conquête de l’Ouest.
Pourtant, on l’aura compris, l’histoire se situe un peu plus au Sud que les westerns habituels. Il s’agit moins ici de chanter la geste des « pionniers » que d’interroger les massacres engendrés par cette aimantation de l’ouest et de la Terre de feu. La caméra délaisse ainsi volontiers les batailles pour nous livrer la vie quotidienne de deux colons et de la façon dont les perçoit Segundo, un jeune métis suspendu entre ses deux identités. Plus que le personnage principal – il n’y a pas, à proprement parler, de protagoniste principal – Segundo fait donc figure de témoin.
Camilo Arancibia, qui le joue, est magnifique de précision et de sobriété. S’il écoute et regarde ceux qui se présentent comme ses maîtres, il parle peu, exprime encore moins, tout en retenu, voyant pour nous, mais ne commentant rien. Les crimes dont il est témoin n’en sont que plus saisissants, cette simplicité nous les livrant sans fioritures, à la manière des viandes chevalines non cuites dont se repaît l’un des colons.
L’intérêt du film réside toutefois autant dans son esthétique, aussi âpre que délicate, que dans son propos. Les scènes qui voient Segundo écouter et regarder ses maîtres – Mark Stanley et Benjamin Westfall, très bons eux aussi – alternent avec de longs plans fixes sur des paysages sublimes, où les reliefs se découpent avec précision et dont les êtres animés – çà un cheval, là un homme – , minuscules, sont semblables à de tout petits points qui ne bougent que très progressivement. Ce travail sur les échelles symbolise à lui seul la vanité de cette conquête, en opposant l’immensité et la beauté des lieux à la petitesse des hommes. S’il ne fallait qu’une seule raison de (re)voir ce film, ce serait celle-là.
Mais ce DVD présente d’autres ressources : une interview d’une demi-heure avec le réalisateur et sa co-scénariste, Antonia Girardi, nous permet d’en apprendre plus non seulement sur la difficile création du film – qui fut, à elle seule, une épopée de neuf ans – , mais aussi sur la colonisation de la Terre de feu et les conséquences, toujours actuelles, de cette histoire vieille de plus d’un siècle. Felipe Gálvez Haberle et Antonia Girardi nous parlent de leur film avec sincérité et passion, comme d’un compagnon de longue date qui continue de les fasciner.