Originaire d’Israël, Guil Sela émerge comme un talent au style et au point de vue uniques, lui qui a déjà œuvré en tant que photographe avec son exposition « La Note Bleue ». Avec Montsouris, lauréat du Prix Découverte Leitz Cine du court métrage à la Semaine de la Critique, il interroge la place du filmeur dans notre société, le tout avec un humour qui nous met dans un immense malaise. Le temps d’un entretien, il revient sur les origines de son projet ainsi que ses envies pour la suite.
Format Court : Si tu pouvais parler de toi et de ton cinéma, que dirais-tu ?
Guil Sela : Je ne sais pas trop… Je dirais que depuis que j’ai arrêté mon travail pour devenir réalisateur et photographe professionnel, je vois tout ce qui m’entoure à travers un prisme cinématographique. Mes travaux sont pour moi un refuge. J’adore ce chemin, toutes les étapes qui mènent à la réalisation d’un film et c’est réjouissant d’être à Cannes et de rencontrer des personnes pour qui le cinéma a la même importance!
Si tu pouvais pitcher Montsouris, que dirais-tu ?
G.S : C’est très difficile puisqu’il faut savoir que c’est un film que j’ai fait très vite, sans producteur, donc je n’ai jamais vraiment eu à me poser la question de comment pitcher le film, ou à écrire de note d’intention. Mais je pourrais dire que c’est à la fois un film sur l’acte de création, la recherche du sujet, et un film sur la quotidienneté et le hasard.
Qu’est-ce que ça te fait d’être sélectionné à la Semaine de la Critique ici à Cannes ?
G.S : Ça fait bizarre de voir toute cette émulation, de voir les gens autant réagir aux séances et de voir les personnes autour prendre le cinéma autant au sérieux. Ça me fait réfléchir à la question posée par le dernier film de Dupieux, le cinéma sert-il à quelque chose ?
D’où vient ton envie de faire ce film et de le situer dans ce décor qu’est le parc Montsouris ?
G.S : En fait, le parc Montsouris est un parc où j’allais beaucoup quand j’étais enfant, après mon arrivée en France. Cependant, ce n’était pas le point de départ du film. L’envie de faire Montsouris est venue d’une insatiable envie de tourner quelque chose. C’était à un moment où tous mes projets étaient en recherche de financement et j’en avais marre d’attendre. L’idée initiale était de pouvoir tourner rapidement. Je me suis dis qu’il fallait que je simplifie mon cinéma et que j’écrive un film qui se déroule dans un seul décor. Je cherchais le décor parfait pour la réaliser. J’ai choisi un parc parce que, pour moi, c’est un endroit paisible, où ont lieu de nombreux micro-évènements intéressants. Et le parc Montsouris, avec sa colline, offrait un point de vue panoramique dont chaque recoins me plaisaient.
On peut voir que c’est un film très direct aussi dans son propos.
G.S : Oui, c’était l’une des envies du film : faire un film très concret et puiser directement dans mes problèmes et dans mes questionnements, et il se trouve que mes questionnements se rapportent souvent à cette question du hasard de la création, et de ce qui est intéressant ou non.
Tu as pu qualifier Montsouris de film produit avec trois bouts de ficelle. Est-ce que, pour toi, cette contrainte est stimulante ?
G.S : Oui, et c’était d’autant plus stimulant pour moi et pour toute l’équipe de pouvoir faire un plan-séquence de 11 minutes, et encore plus en argentique, ce qui nous oblige à minimiser le nombre de prises. Même pour les comédiens, leur donner ce long espace de jeu leur a permis de vivre une expérience différente de d’habitude, et d’avoir le temps, de s’immerger dans le personnage, de s’auto-évoluer, et de se corriger au sein même d’une prise.
Comment s’est passée la préparation avec les comédiens ? Y a-t-il eu de la place pour de l’improvisation ?
G.S : En fait, nous étions principalement conditionnés par le dispositif de mise en scène. Sachant que nous tournions en argentique et que nous n’avions que quatre essais, il n’y avait pas de place pour l’erreur. En revanche, il y a eu un gros travail de préparation où nous avons fait des sessions d’improvisation pour ensuite adapter les personnages aux acteurs qui les interprétaient. Donc je dirais que le travail d’improvisation s’est fait en amont.
Dans le film, on peut retrouver Martin Jauvat, que l’on connaît pour son travail en tant que réalisateur avec des films comme Grand Paris. Comment es-tu arrivé à travailler avec lui ?
G.S : Martin est quelqu’un que j’ai eu la chance de rencontrer en festival. Son humour et son inventivité étaient évidentes. Ce qui m’intéressait avec Montsouris, c’était de le faire jouer à contre-emploi. Je sais que quand il a lu le scénario, il m’a dit qu’il se serait plutôt attendu à ce qu’on lui propose le rôle de celui qui se fait voler sa roue. J’aime bien, quand j’ai peur qu’un rôle soit trop caricatural, prendre un acteur et le mettre à contre-emploi. Cela donne un résultat plus vivant et incongru. C’est en ce sens que nous avons travaillé avec Martin. Et je le remercie encore de toute l’énergie comique qu’il a déployé pour le film.
Ton film va chercher dans le drame autant que dans la comédie. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce mélange des genres ?
G.S : Je ne le vois pas comme un mélange des genres, mais plutôt comme une retranscription de la vie. Pour moi l’humour est partout, il se cache même derrière le drame. L’idée de Pierre qui se fait voler sa roue m’est venue du fait que je m’étais fait cambrioler à Naples et, quelques minutes après, je me suis surpris à avoir un fou rire à cause d’un détail. L’humour, pour moi, ce n’est pas vraiment des blagues, mais juste une prise de recul, c’est chaque situation prise en plan large.
Qu’est-ce que ton travail en tant que photographe t’a apporté en tant qu’auteur ?
G.S : En fait, mes films naissent souvent d’une idée visuelle, d’une image forte, et c’est de cela que découlent ensuite l’histoire et les dialogues. Pour prendre l’exemple de Montsouris, je savais dès le début que je voulais que ce soit un film de parc. J’avais l’atmosphère visuelle avant d’avoir les péripéties. Je viens aussi de l’argentique, donc je connais la valeur d’une bobine et d’un plan. J’ai toujours eu une fascination pour des réalisateurs-photographes comme Antonioni, car je me reconnais dans leur recherche du beau au-dessus de l’envie narrative. Personnellement, au cinéma, je ne m’ennuie jamais quand l’image est magnifique, même si l’histoire ne m’intéresse pas forcément, et cela, je le puise de mon rapport avec la photo.
Dans une époque du tout numérique, tu choisis l’argentique. Qu’est-ce qui t’y intéresse ?
G.S : Déjà, je tiens à dire que je ne me définis pas comme un anti-numérique. D’ailleurs, j’ai tourné un autre film en numérique récemment. J’adapte juste ces techniques à mes projets. Cependant, pour moi, à l’époque de l’argentique, le cinéma bénéficiait d’une plus grande aura car le procédé la détachait de tous ses cousins éloignés. La qualité des couleurs de l’argentique et son grain ne sont pas reproductibles. Mais comme je te l’ai dit plus tôt, ce qui m’intéresse avec l’argentique, c’est la rareté, c’est le moment avant de chercher une bobine ou de déclencher son appareil photo. Une rareté qui me met dans une réelle position de désir et de concentration quant à ce que je filme, et qui a le mérite d’extraire cette image du flux numérique constant.
Tu as pu étudier notamment à l’Inasup. Qu’est-ce que ça t’a apporté en tant que cinéaste ?
G.S : Je me suis dis que j’allais apprendre le cinéma via des livres, en regardant des films et en filmant de mon côté. Et pour l’Ina, c’est grâce à une amie qui m’a encouragé à passer le concours, mais c’est une école de production et pas de réalisation. Cela m’a été très utile pour connaître l’écosystème du cinéma et m’a permis ensuite, avec Montsouris, de réaliser un projet auto-produit. Je me pose beaucoup de questions sur ce que j’ai réellement appris en formation ou juste par l’expérience sur les tournages. Orson Welles disait que le cinéma s’apprend en une demi-journée et je trouve qu’il y a du vrai là-dedans.
Dans ton film, on peut voir, par sa mise en scène, une filiation avec le cinéma de De Palma et son film Blow Out. Était-ce une de tes inspirations ?
G.S : Je pense que mon film se rapproche peut-être plus de Blow-Up d’Antonioni que de Blow Out de De Palma, par l’utilisation de la pellicule. Je me souviens que quand j’ai vu Blow-Up, j’avais réalisé à quel point un film était bien plus qu’une simple histoire. C’était à un moment de ma vie où je voyais beaucoup de films américains à scénario, et le travail d’Antonioni m’a permis de découvrir d’autres propositions de cinéma presque irréelles. Après, cette thématique d’être témoin de quelque chose vient aussi beaucoup de mon travail photographique et de films comme Fenêtre sur cour ou de propositions plus politiques comme Aucun ours de Jafar Panahi.
Dans le film de Panahi, on retrouve aussi le même dilemme moral sur la place des images.
G.S : Oui, il y a dans Montsouris un questionnement sur ce que l’on fait des images quand on est un réalisateur ou une réalisatrice. Est-ce qu’on doit apposer un jugement moral sur l’image ou simplement la partager et montrer ce qu’il se passe dans le monde ? C’est un dilemme que je pense très important aujourd’hui, à un moment où l’on demande de plus en plus aux artistes de se positionner sur les grandes questions de notre époque. Cependant, je ne sais pas où me positionner par rapport à ce questionnement, tellement pour moi, le cinéma, c’est l’art de montrer et non de juger. C’est pourquoi, au départ, je trouve ça antinomique de juger quand on est cinéaste. Mais quand je vois toutes les atrocités dans le monde, je me dis qu’on ne peut pas rester dans nos tours d’ivoire à ne rien faire. Donc en résumé, je ne sais pas trop.
Qu’est-ce qu’on peut attendre de toi dans le futur ?
G.S : Mon film Santa Maria Kyoko, que j’ai co-réalisé avec mon ami Félix Loizillon, est sélectionné à Côté Court à Pantin. En ce moment, je suis en pleine préparation pour le tournage de mon prochain film, No skate! qui se déroulera dans la foule des Jeux Olympiques, avec Raika Hazanavicius et Michael Zindel. Et pour mon premier long-métrage, je réfléchis !
Propos recueillis par Dylan Librati
Article associé : la critique du film