Du 22 au 31 mars se déroulait la 46ème édition du festival Cinéma du Réel. Une programmation riche en propositions documentaires, avec des longs-métrages comme des courts, des visions inspirantes et atypiques, des expérimentations et des rétrospectives avec les réalisateur.ice.s Claudia Von Allemann, James Benning et Jean Charles Hue. Côté courts métrages, le jury a décerné le prix 2024 à The Periphery of the Base de Zhou Tao ainsi qu’une mention pour Light, Noise, Smoke, and Light, Noise, Smoke de Tomonari Nishikawa. Deux films expérimentaux, forts en perception et qui témoignent de la contemplation d’un monde vaste.
Dans The Periphery of the Base, le réalisateur choisit de filmer le désert de Gobi. Plusieurs personnes y évoluent, souvent seules au milieu de rien, dans une terre aride où pourtant la vie existe. Dès le début, le plan se fige sur deux ouvriers en train de manger. L’horizon est lointain, le paysage vide. La caméra se rapproche très lentement, les isolant encore plus. En premier plan, des véhicules flous défilent et rappellent qu’il y a bien des gens ici, que cette image désertique n’est pas inanimée. Les plans se succèdent et dévoilent toujours une nouvelle personne, quelqu’un.e qui marche, qui erre. Le but de chacune reste imperceptible. Ils et elles deviennent de plus en plus fréquents et le réalisateur filme leurs habitations. Sinueusement, la caméra se meut dans les recoins d’une tente, d’un matelas. Elle décrit la présence d’autrui. Elle n’est pas fixe, continuellement en train de chercher le détail. Comme le disait le réalisateur au cours d’un entretien accordé au festival : « Ce qui m’intéresse, c’est de filmer la façon dont les gens interagissent physiquement avec les lieux, leur présence. » Il émane quelque chose d’organique dans cette mise en scène, une sensation pesante. Une langueur accentuée par cette suite de plans séquences que constitue le film.
L’image est d’une perception nette, très précise. Elle s’aligne à des lignes naturelles formées par la terre et à la marche d’une personne. Les yeux divaguent, se perdent dans l’immensité du désert, les mirages de notre perception accentuent le sentiment de planer. Le réalisateur a choisi de filmer la périphérie, ce qui est au bord, la vie qui émane en surface de ce qu’on ne voit pas. Il approche ce lieu énigmatique avec la volonté de marquer le passage des gens, de filmer leur rapport au lieu.
Light, Noise, Smoke, and Light, Noise, Smoke, propose une série de feux d’artifice dont les images et le son ont été reportés sur une bande 16mm. Ce montage a quelque chose de cyclique, il s’agit de répétions et de frénésie. Une image qui implose sous les fusées lumineuses. On y perçoit une ressemblance aux vues kaléidoscopiques des films expérimentaux des débuts du cinéma. Comme dans le film précédent, il est question de contemplation. On observe les hauteurs et les explosions dans le ciel. Les plans saccadés font perdre les repères du mouvement. Tout devient abstrait. Un feu d’artifice peut être le souvenir d’un moment festif ou tout simplement l’observation de quelque chose de spectaculaire. Light, Noise, Smoke, and Light, Noise, Smoke est une suite continue de cette émanation. La pupille est exaltée par ce contenu, le regard saturé par cette intensité lumineuse, encore une fois l’esprit s’égare devant quelque chose de plus grand, de plus imperceptible.