Au crépuscule de la 46e édition du Festival de Clermont-Ferrand, nous avons pu repérer l’émergence de nouvelles visions via des programmes thématiques annexes. C’est notamment le cas avec « Regards d’Afrique », une catégorie hors-compétition permettant de mettre en avant de nouveaux talents qui se réapproprient la culture ainsi que les problèmes sociaux et politiques d’un continent fertile de nouvelles histoires à raconter. Entre expérimentation, exploration d’une mythologie et récit féminin, la programmation (composée de deux séances) fait office de porte-étendard d’un narratif encore trop peu exploité au cinéma.
C’est ce qu’on peut voir par exemple à travers le film Katope de Walt Mzengi Corey. Il nous raconte le parcours d’un jeune enfant sculpté dans l’argile par sa mère et qui va entreprendre, au péril de sa vie, de mettre fin à la sécheresse qui dévaste son village. Nous sommes ici dans une exploration autour du conte et de la mythologie tanzanienne, avec un réel respect et connaissance envers cette dernière. Originaire de Tanzanie, mais ayant vécu une grande partie de sa vie aux États-Unis, Walt Mzengi Corey, se réapproprie la culture de ses parents à travers le fantastique. Cela transparaît notamment à travers le climax du film, une danse de la pluie, comme sacrifice de cette enfant aux origines mystiques.
Avec sobriété, ce climax nous plonge dans cette culture et dans ce rituel qui met en lumière toutes les questions que nous pouvons avoir en tant que spectateur sur le mutisme de son personnage principal. Ainsi, de par son dispositif de mise en scène intimiste et de son économie d’effet, le film réussit à nous surprendre dans l’incursion du fantastique. Nous laissant à la fin avec une image qui reste bloquée en notre tête, tant cette dernière évoque un imaginaire exaltant.
De surcroît, en abordant le problème de la sécheresse à travers le prisme du genre, le film décide de façon indirecte de parler de motifs sociaux. Ce n’est pas le cas du film Boussa de Azedine Kasri, qui décide de traiter ces sujets frontalement à travers la comédie. Meriem et Reda sont un couple de fiancés algériens qui se livrent un véritable parcours du combattant pour pouvoir juste se partager un bisou. Nous sommes ici en contrepoint de ce que nous pouvons voir dans un cinéma africain et politique beaucoup plus rugueux et contestataire. Le film rappelle ainsi un cinéma italien proche de celui de Visconti dans la réappropriation et le traitement de problèmes sociaux via un certain humour.
Une comédie qui passe avant tout par la superbe prestation de Mourad Boudaoud et Anaïs Lazizi dans les rôles respectifs de Reda et Meriem. De leur alchimie, sort une drôlerie et un ludisme appuyé par une mise en scène qui leur laisse de l’espace. En outre, Azedine Kasri nous montre avec Boussa ses talents dans la direction d’acteur, ce dernier ayant travaillé dans un premier temps en tant que comédien sous la direction de Kim Chapiron. Cependant, cet humour ne nuit pas au film en ce qui concerne le sérieux du sujet et la manière dont ce dernier a été traité. Il sert ici de motif d’espoir dans une Afrique et une Algérie en proie au changement.
En ce qui concerne la montée en puissance et la mise en avant de nouvelles voix féminines, il est d’autant plus frappant de constater que malgré la grande diversité créative qui émane d’Afrique, encore trop peu de femmes ont réussi à en émerger. Heureusement, nous trouvons de plus en plus de narrations féminines et féministes noires et la catégorie “Regards d’Afrique” n’en manque pas. Cela se reflète dans l’histoire contemporaine de Fatima, une jeune fille de 12 ans enlevée sous les yeux de sa mère, puis forcée par ses ravisseurs à porter une ceinture explosive pour attaquer les ennemis d’Allah. Avec L’envoyée de Dieu, Amina Abdoulaye Mamani met au centre de sa mise en scène un véritable combat féminin contre l’oppression, et ceci dès le plus jeune âge. De par son sujet, le film nous évoque évidemment une imagerie extrêmement violente sur la condition des femmes dans une société où le fanatisme religieux a pris le dessus.
Amina Abdoulaye Mamani s’attaque à un sujet lourd qui peut nous brusquer en tant que spectateur. Le film flirte avec un certain misérabilisme sans toutefois passer le pas et ceci grâce à un dispositif de mise en scène très simple et sobre dans le suivi des dernières minutes de la vie de Fatima. Cette dernière est interprétée avec brio par Salamatou Hassane, Sa performance silencieuse et délicate trouve toute sa signification lors de son climax. Un climax tout en ironie dramatique qui met en exergue la folie d’un monde d’homme et le sacrifice d’une femme.
Article associé : l’interview de Azedine Kasri